Publié le 16 mar 2010Lecture 7 min
Le point de vue du gériatre sur la prévention du sujet âgé
C. TRIVALLE, Hôpital Paul Brousse, Villejuif
Les Journées européennes de la SFC
La prévention chez le sujet âgé(1) reste encore, en général, un domaine largement inexploré en médecine. Pourtant, c’est déjà aujourd’hui un problème de santé publique. Cependant, il faut bien reconnaître que c’est en cardiologie que nous avons le plus de données chez les plus de 75-80 ans.
Le vieillissement de la population est tel que les spécialistes sont maintenant contraints de se former sur la prise en charge des malades âgés. Il existe un livre en français(2) et des DIU sur ce thème (exemple du DIU « Maladies cardiovasculaires du sujet âgé » de Paris XI, Paris VI, Paris V). En 2050, il y aura dans le monde 394 millions d’octogénaires (86 millions actuellement). Dans les pays développés, la proportion des centenaires est comprise entre 0,02 % et 0,05 % de la population. En France, ils étaient moins de 200 en 1950, ils sont 20 000 aujourd’hui et ils seront probablement de 80 000 à 165 000 en 2050. On parle même de « super-centenaires », c’est-à-dire de personnes ayant dépassé 110 ans.
Il est bien sûr important de rappeler la définition du mot prévention (prendre les devants) : il s’agit de l’ensemble des mesures qui permettent d’éviter l’apparition, l’aggravation et l’extension de certaines maladies. On distingue habituellement trois niveaux de prévention :
- la prévention primaire qui vise à prévenir ou retarder l’apparition de la maladie (exercice, vaccinations, etc.) ;
- la prévention secondaire qui est une détection précoce de la maladie (dépistage ou screening) ou une prévention des récidives ;
- la prévention tertiaire vise à prévenir les complications liées à la maladie, y compris iatrogéniques (misuse, underuse, overuse).
Des traitements préventifs sous-utilisés
Un des problèmes actuels semble être la mise en pratique de traitements curatifs et préventifs qui ont fait la preuve de leur intérêt dans de grandes études prospectives internationales. La pathologie cardiovasculaire représente, chez les plus de 75 ans, 44 % des maladies déclarées et 40 % des causes de décès, alors qu’il existe de nombreux moyens de prévention efficaces. Ainsi, le traitement de l’HTA réduit de 35 % le risque de survenue d’accident vasculaire cérébral (AVC) non fatal et de 36 % la mortalité par AVC, et aurait un rôle préventif sur la survenue d’une démence. Pourtant, un quart seulement des hypertendus sont correctement traités.
De même, l’utilisation d’un traitement par antivitamine K à faible dose chez les patients en fibrillation auriculaire réduit de 60 % le risque d’AVC. Pourtant, seulement 50 % des patients âgés à haut risque embolique sont sous anticoagulants.
Enfin, l’utilisation de traitements hypocholestérolémiants chez les patients coronariens diminue significativement le risque d’infarctus, d’AVC et la mortalité, et pourrait également avoir un effet préventif de la survenue d’une démence. Pourtant, ces traitements sont encore sous-utilisés en prévention gérontologique.
Les paramètres à prendre en compte avant de prescrire
L’objectif de cet article est de présenter les critères de décision à utiliser pour décider d’un traitement préventif chez le très âgé (> 75-80 ans) à travers 3 traitements à visée cardiologique : les antihypertenseurs, les anticoagulants et les statines.
Quel vieillissement ?
Tout d’abord, il faut prendre en compte le type de vieillissement observé chez le patient : réussi, usuel, avec fragilité ou pathologique. Depuis les années 80, il est évident que de plus en plus de personnes ont un vieillissement réussi et qu’il y a un décalage du vieillissement pathologique vers les âges les plus avancés. Si, dans les années 80, une majorité de patients âgés de 80 ans avait un vieillissement pathologique, aujourd’hui les octogénaires ont majoritairement un vieillissement usuel. On pourra donc leur donner un traitement préventif, ce qui n’était pas le cas il y a 30 ans. Cette évaluation du vieillissement peut être faite dans un centre d’évaluation spécialisé dans le cadre de l’évaluation gérontologique standardisée. Il est important de rappeler que la fragilité caractérise les patients qui consultent ou sont hospitalisés pour chute, confusion ou perte d’autonomie.
L’espérance de vie
Parmi les paramètres à prendre en compte, il y a aussi l’espérance de vie à un âge donné. Ainsi, pour une femme de 85 ans, l’espérance de vie moyenne est de 5,9 ans, elle est de 6,1 ans pour celles qui sont en bonne santé et de 4,5 ans pour celles qui sont malades. Pour un homme de 85 ans, l’espérance de vie moyenne est de 4,9 ans, de 5 ans pour ceux qui sont en bonne santé et de 3,8 ans pour ceux qui sont malades.
Les pathologies associées
Un autre paramètre important concerne les pathologies associées ou comorbidités. Ainsi, dans la tranche d’âge 65-74 ans 22,2 % des patients n’ont aucune pathologie ; ils ne sont plus que 12,2 % chez les ≥ 85 ans(3). Concernant les patients qui ont 4 pathologies associées ou plus, ils sont 18,9 % chez les 65-74 ans et 31,4 % chez les ≥ 85 ans. Il est donc très important de tenir compte des comorbidités avant d’introduire un nouveau traitement (exemple de la maladie d’Alzheimer). En outre, la comorbidité sous-entend une polymédication avec un nombre moyen de médicaments de l’ordre de 5 par jour. La iatrogénie serait responsable de 10 à 20 % des hospitalisations de personnes âgées. Il faudra bien sûr tenir compte du risque d’interactions médicamenteuses (cytochrome P450 avec les statines par exemple) et des modifications pharmacocinétiques (clairance de la créatinine principalement) et pharmacodynamiques (bêtabloquants).
L’absence d’évaluation des thérapeutiques chez les sujets âgés
Pour ce qui est des traitements utilisés en prévention, à l’instar des autres traitements, il existe très peu (voire pas du tout) d’études chez le sujet très âgé (> 75-80 ans). Dans les études existantes, les critères de sélection sont tellement sévères que la population étudiée ne correspond plus à celle vue en consultation par le médecin généraliste ou le cardiologue.
Il faut donc être très prudent avant d’utiliser un médicament récemment mis sur le marché chez un patient de plus de 75-80 ans, et dans bien des cas il vaut mieux continuer d’utiliser des molécules anciennes dont on connaît bien les avantages et les inconvénients. Il est important de noter que la plupart des molécules commercialisées depuis 10 ans (antibiotiques, antidiabétiques, antiparkinsoniens, etc.) qui ont été retirées du marché ou ont eu des restrictions d’utilisation, l’ont été pour des effets secondaires survenus chez des malades âgés chez lesquels elles n’avaient pas été testées.
Les traitements antihypertenseurs
Depuis l’étude Syst-Eur, il existe de nombreux arguments prouvant l’efficacité du traitement de l’HTA systolique du sujet âgé. Cela a été confirmé par l’étude HYVET publiée en 2008(4). Cette étude versus placebo a inclus 3 845 patients d’âge moyen 82,5 ans. L’analyse per protocole montrait une diminution de 35 % des tous les AVC, de 28 % de la mortalité totale et de 72 % de l’insuffisance cardiaque. Il est donc justifié chez le sujet de plus de 80 ans de traiter toute HTA systolique > 160 mmHg avec comme objectif d’abaisser la pression artérielle en dessous de 150 mmHg.
Dans cette population, il ne faut pas dépasser plus de 3 anti-hypertenseurs et éviter le risque d’hypotension (HAS).
Le traitement anticoagulant
L’utilisation des anticoagulants dans la fibrillation auriculaire a été évaluée chez les sujets de plus de 75-80 ans dans l’étude BAFTA(5). Cette étude qui a comparé la warfarine à l’aspirine (75 mg) chez 973 patients de ≥ 75 ans (moyenne = 81,5 ans) a montré un avantage en faveur de l’anticoagulant : 24 événements primaires contre 48 dans le groupe placebo (p = 0,003). Ces médicaments sont évidemment à utiliser avec beaucoup de prudence chez les patients très âgés compte tenu du risque hémorragique. Pour s’aider dans la décision de mettre en route un traitement par AVK, on peut s’aider du score CHADS2(6) qui évalue le risque d’AVC pour 100 patients-années (de 1,9 % à 18,2 %) et du score HEMORR2HAGES(7) qui évalue le risque hémorragique (de 1,9 à 12,3 %).
L’âge > 75 ans étant présent dans ces deux scores, il n’a finalement aucun impact. Ainsi, chez patient ayant un risque d’AVC dans l’année estimé à 12,5 % pour un risque hémorragique estimé à 5,3 %, la décision serait plutôt en faveur des AVK. En revanche, si le risque hémorragique est à 10,4 % et le risque d’AVC à 4 %, on utilisera plutôt l’aspirine.
Les statines
En prévention secondaire surtout, la situation est moins claire car il n’existe pas véritablement de données après 80 ans. Même si le gain relatif d’espérance de vie semble proportionnellement plus intéressant à 85 ans (75 %) qu’à 65 ans (23 %)(8), ce pourcentage est très surestimé dans cet article qui sous-évalue l’espérance de vie moyenne à 85 ans (2,8 ans alors qu’elle est de l’ordre de 5 ans). Quoi qu’il en soit, même si on peut espérer un gain moyen de 2 ans avec les statines, il n’existe aucune étude où l’âge moyen des patients soit > 80 ans(9). Si on utilise une statine, il faudra débuter le traitement à faibles doses, choisir la molécule qui a le moins d’interactions médicamenteuses et le moins d’accumulation rénale, et surveiller régulièrement les enzymes hépatiques et les CPK.
La prévention non médicamenteuse
Il s’agit en particulier de l’exercice physique, dont les bénéfices en termes d’espérance de vie sont supérieurs à ceux des statines, quel que soit l’âge. Un auteur américain a même évoqué la possibilité que la pratique régulière d’une religion ait un effet équivalent à celui d’un traitement par statines(10). Cet article, assez provocateur, a fait l’objet d’une correspondance abondante. On peut aussi citer une étude sur la musicothérapie (1 session de 45 min par semaine pendant 10 mois) qui réduirait significativement le nombre de poussées d’insuffisance cardiaque chez des patients âgés ayant des pathologies cérébrovasculaires et démentielles (35 % vs 10 %, p < 0,02)(11).
En pratique
Il n’y a pas d’âge limite pour continuer à faire de la prévention.
Nous disposons de suffisamment de données après 75-80 ans concernant les antihypertenseurs et les anticoagulants, mais nous manquons d’études sur les statines.
Dans tous les cas, il faudra tenir compte d’un certain nombre de paramètres : espérance de vie, qualité de vie, comorbidités, traitements associés, risque de iatrogénie, autonomie et état cognitif.
On choisira toujours la stratégie la plus simple et la plus sûre. Dans les situations difficiles, il ne faut pas hésiter à demander l’avis d’un gériatre.
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