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Valvulopathies

Publié le 18 avr 2017Lecture 8 min

TAVI sans chirurgie cardiaque sur place : le changement, c’est maintenant ?

Philippe DURAND, Hôpital Saint-Joseph, Paris

L’implantation de bioprothèses aortiques par voie percutanée connaît un essor très important en France et dans le monde. L’amélioration des prothèses et l’expérience des équipes ont permis d’atteindre un très haut niveau de sécurité et de très bons résultats. Compte tenu d’un taux désormais faible de complications et d’un recours encore plus faible à la chirurgie cardiaque en urgence, les procédures de TAVI pourraient-elles raisonnablement être réalisées dans des centres de cardiologie interventionnelle ne disposant pas de la chirurgie cardiaque sur place ?

C’est un sujet tabou et le statu quo actuel est bien entendu âprement défendu par les centres de référence qui perdraient plus de la moitié de leur recrutement si les procédures de TAVI pouvaient être réalisées dans les structures hospitalières ne disposant pas de chirurgie cardiaque sur place. La France se compare régulièrement à l’Allemagne sur le plan économique et le monde politique a les yeux rivés sur les résultats de notre voisin d’outre-Rhin. Pourquoi ne pas tirer les leçons de l’expérience allemande où près de 10 % des TAVI sont réalisés dans des centres ne disposant pas de chirurgie cardiaque sur place et comment expliquer cette évolution dans un pays où le pragmatisme et la rigueur sont des maîtres mots ? Pourquoi envisager les TAVI dans un centre sans chirurgie cardiaque sur place ? Il existe plusieurs situations où la question se pose. Les patients formellement récusés pour la chirurgie Les patients récusés de manière formelle pour la chirurgie valvulaire après un staff médico-chirurgical en présence d’une heart team au complet ne seront pas opérés en cas de complication majeure relevant de la chirurgie cardiaque. Dès lors, pourquoi transférer ces patients souvent très fragiles dans un centre disposant de la chirurgie cardiaque puisqu’ils n’y seront pas opérés ? Par extension, il en sera de même pour les patients à très haut risque chirurgical que les chirurgiens ne voudront pas opérer en cas de complication majeure car ils les auront récusés pour la chirurgie. Comment peut-on justifier la nécessité de transférer des patients inopérables récusés par les chirurgiens dans un centre simplement parce que celui-ci dispose de la chirurgie cardiaque sur place ? La nécessité de transférer des patients fragiles dans un centre parfois très éloigné Elle pose des problèmes d’organisation aux patients et à leur famille avec un impact psychologique souvent délétère chez des patients âgés et vulnérables. Le risque d’infection nosocomiale se trouve bien évidemment augmenté à cette occasion or les infections sont une cause fréquente de réhospitalisation dans les 30 jours qui suivent la réalisation d’un TAVI. L’organisation du transfert, de l’hospitalisation et de la procédure vont consommer du temps médical, paramédical et du secrétariat ce qui aboutit à surcharger les emplois du temps des uns et des autres. L’existence de listes d’attente pour des patients en état cardiologique précaire Il s’agit là d’une réalité qui se traduit par des complications et des hospitalisations pour certains patients nécessitant l’implantation percutanée rapide d’une bioprothèse aortique avec parfois un décès au terme d’une attente trop longue. Sur le plan médical, cela paraît inacceptable en 2017 et pourtant la situation n’a guère évolué. La maîtrise de l’offre par les tutelles au travers des centres de référence aurait-elle pour but de limiter la demande et donc le développement trop rapide de la technique ? Il est permis de se poser la question mais cela est politiquement incorrect. Les tutelles qui maîtrisent l’offre via les centres de référence voudraient- elles limiter la demande et donc le développement trop rapide de la technique ? Le coût économique du transfert et des hospitalisations multiples Transférer un patient en ambulance, VSL ou taxi conventionné dans un centre éloigné de 50 ou 100 kilomètres coûte cher. Mais un transfert de quelques kilomètres a également un coût non négligeable. Cette prise en charge nécessite au minimum deux hospitalisations : l’une dans le centre où est réalisé le bilan puis l’autre dans le centre où le TAVI sera réalisé. Le coût de la prise en charge des patients adressés pour TAVI dans un centre de référence qui multiplie les transferts sanitaires et les hospitalisations n’a jamais été chiffré… Parfois une poursuite de la prise en charge sera organisée avec un retour nécessaire en hospitalisation dans le centre initial en raison de complications chez des patients âgés et fragiles. Ce coût n’a jusqu’à présent jamais été évalué mais mériterait de l’être car environ 2/3 des patients bénéficiant d’une procédure de TAVI dans l’un des 50 centres français de référence proviennent d’autres centres ce qui représente environ 5 000 à 6 000 patients par an et bien plus dans un futur proche. L’impact pour les cardiologues interventionnels qui se déplacent pour traiter les patients dans d’autres centres L’organisation de ces procédures hors site est, bien entendu, très chronophage pour les cardiologues interventionnels qui se déplacent dans un centre parfois très éloigné. La consommation de temps médical est donc très importante et ne va faire que croître avec le développement de cette activité. En pratique, c’est une demijournée de travail perdue pour le cardiologue interventionnel qui se déplace pour réaliser généralement 1, ou plus rarement 2, TAVI. Ou alors faut-il envisager de déléguer totalement la réalisation des TAVI à des collègues cardiologues interventionnels travaillant dans les centres de référence ? L’expérience allemande du TAVI Le registre allemand AQUA a inclus 17 919 patients ayant bénéficié d’une procédure de TAVI dans 97 centres hospitaliers allemands entre 2013 et 2014. Parmi ces 97 centres, 22 hôpitaux ne disposaient pas de la chirurgie sur place et ont traités 1 332 patients. Parmi les hôpitaux ne disposant pas de la chirurgie sur place, certains bénéficiaient de la présence d’un chirurgien cardiaque visiteur et du matériel chirurgical nécessaire fourni par un établissement voisin. On aurait pu s’attendre à ce que l’absence de chirurgie cardiaque ouvre la voie à une sélection moins rigoureuse des patients, par exemple des patients plus jeunes, ayant moins de comorbidités ou relevant de la chirurgie. Il n’en est rien. Les patients traités sans chirurgie cardiaque sur site étaient plus âgés, plus souvent en classe NYHA III ou IV, plus souvent coronariens et plus souvent porteurs d’une artériopathie périphérique. Ces patients étaient donc à risque plus élevé que les patients traités avec chirurgie cardiaque sur site. Les données ont été présentées par Holger Eggebrecht à l’Euro-PCR 2016. Il n’y a pas de différence significative de mortalité entre les patients traités avec ou sans chirurgie cardiaque sur site et aucune différence significative en termes de complications per et postprocédurales notamment en termes d’accident vasculaire cérébral, d’infarctus du myocarde et de complications vasculaires (tableaux 1 et 2). Les complications relevant d’une chirurgie cardiaque en urgence – mauvais positionnement ou embolisation de prothèse, rupture d’anneau aortique, dissection aortique, occlusion coronaire et tamponnade – sont survenues chez 3,4 % des patients traités sans chirurgie cardiaque sur site et chez 3,9 % des patients traités avec chirurgie sur site (p = 0,421). * CC : chirurgie cardiaque. * CC : chirurgie cardiaque. Les patients traités dans les centres ne disposant pas de la chirurgie cardiaque sur place sont plus âgés et à plus haut risque. H. Eggebrecht a également évoqué les aspects « politico-économiques » du débat. En effet à l’heure actuelle, les chirurgiens cardiaques sont inquiets car le TAVI leur enlève une part de recrutement. Les cardiologues interventionnels disposant de la chirurgie cardiaque sur site sont en revanche très contents de voir arriver un flux de patients transférés par d’autres établissements tandis que les cardiologues interventionnels travaillant sans chirurgie cardiaque sur site souhaiteraient développer cette activité sur place pour leurs patients. Cette situation n’est pas sans rappeler l’époque des débuts de l’angioplastie coronaire. L’organisation actuelle de la prise en charge des TAVI hors Allemagne rappelle les débuts de l’angioplastie coronaire. Les recommandations 2012 de l’ESC restreignent l’activité de TAVI aux seuls centres disposant de la chirurgie cardiaque sur place mais, en 2014, la Société allemande de cardiologie a autorisé les hôpitaux sans chirurgie car diaque sur site à réaliser les procédures de TAVI à deux conditions : - avoir une convention avec un service de chirurgie cardiaque externe ; - avoir des algorithmes de prise de décision thérapeutique interdisciplinaire (heart team) en place. H. Eggebrecht souligne que la coopération étroite avec la heart team est la clé du succès en l’absence de chirurgie cardiaque sur place. Alors finalement serait-ce aussi simple ? La réponse est bien entendu négative car plusieurs conditions indispensables à la réalisation des procédures de TAVI doivent être réunies. La réalisation de TAVI ne peut être confiée qu’à des opérateurs formés et entraînés. Il faudrait donc valider une formation ainsi qu’un certain nombre de cas en tant que premier opérateur, le but étant de garantir la sécurité des procédures et des patients. La présence d’un médecin proctor serait souhaitable pour démarrer l’activité. Nul doute que cela ne serait pas simple à organiser et que les centres de référence ne verraient pas forcément cette évolution d’un oeil bienveillant. La réunion régulière sur site d’une heart team complète est également indispensable pour valider l’indication de TAVI, optimiser la prise en charge médicale et anticiper certaines complications. En pratique, cette organisation serait complexe pour certains centres isolés. Le risque de complications vasculaires qui diminue au fil des années avec la miniaturisation des prothèses reste cependant bien réel et nécessite une organisation sans faille sur site : Gestion des complications accessibles à un geste percutané par le cardiologue interventionnel luimême s’il est compétent en vasculaire interventionnel ou par un radiologue vasculaire sur place. Gestion des complications vasculaires relevant de la chirurgie par un chirurgien vasculaire présent sur place. Une convention spécifique avec un centre de chirurgie cardiaque serait bien entendu requise mais les chirurgiens cardiaques d’autres centres accepteraient-ils cette responsabilité ? La présence d’un anesthésiste en salle serait également indispensable ce qui n’est pas le cas dans nombre de services de cardiologie interventionnelle hospitaliers. Une USIC et une réanimation médicale ou chirurgicale sur place sont également indispensables pour la prise en charge et la gestion des complications éventuelles. Conclusion Peut-être est-il trop tôt pour autoriser la réalisation de TAVI dans les centres de cardiologie interventionnelle ne disposant pas de la chirurgie cardiaque sur place tant les conditions paraissent encore difficiles à réunir. Cependant, la révolution doit se mettre en marche tant les enjeux médicaux mais aussi économiques sont importants. En effet, le nombre de TAVI réalisés en France par million d’habitants reste bien inférieur à celui d’autres pays développés. Une vraie réflexion doit être menée sous l’égide de nos sociétés savantes. "Publié dans Cath'Lab"

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