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Coronaires

Publié le 01 juin 2018Lecture 6 min

L’inflammation dans l’infarctus, une nouvelle cible thérapeutique ?

Benoît LATTUCA*, Mariama AKODAD**, François ROUBILLE**, *Université de Montpellier, Département de cardiologie, CHU de Nîmes, **PhyMedExp, Université de Montpellier, INSERM, CNRS, Département de cardiologie, CHU de Montpellier

Pendant de nombreuses années, l’athérosclérose a été considérée comme un phénomène passif, par le développement de la plaque d’athérome, directement corrélé à l’accumulation des lipides et à l’obstruction mécanique de l’artère, soit de manière progressive (conduisant typiquement à l’angor stable), soit lors d’une déstabilisation de la maladie majoritairement secondaire à une rupture de plaque et responsable du syndrome coronarien. Néanmoins, malgré l’avènement de la reperfusion coronaire, l’optimisation des traitements médicamenteux et la prise en charge drastique des facteurs de risque au centre desquels le LDL-cholestérol s’est imposé, le risque de récurrences ischémiques au cours du suivi reste important. L’implication de phénomènes inflammatoires dans la survenue et l’évolution de la maladie coronaire s’est progressivement imposée jusqu’à considérer l’athérosclérose comme une authentique maladie inflammatoire(1-3) développant ainsi une cible thérapeutique potentielle(4).

Implication de l’inflammation dans la physiopathologie de l’infarctus L’inflammation intervient à tous les stades de l’athérosclérose, 1/ très précocement en contribuant à la formation des stries lipidiques riches en macrophages spumeux ou le développement des lésions fibro-musculaires contenant des cellules musculaires lisses dans la chape fibreuse, 2/ mais aussi en tant que déclencheur du syndrome coronarien aigu par la déstabilisation de plaque via l’activation des métalloprotéinases matricielles(5) et la formation d’un thrombus occlusif par contact entre le sang circulant et le noyau lipidique contenant du facteur tissulaire et des particules pro-coagulantes(6). Enfin, au décours de cette phase aiguë, l’activation des processus inflammatoires peuvent induire fibrose myocardique, remodelage ventriculaire et insuffisance cardiaque à plus long terme. Les patients avec diverses maladies inflammatoires, et tout particulièrement la polyarthrite rhumatoïde, présentent un sur-risque cardiovasculaire, qui demeure malgré un contrôle optimal des facteurs de risque et de la maladie inflammatoire. La prévention primaire reste ainsi complexe malgré l’identification des patients les plus à risque à partir de certaines caractéristiques cliniques désormais bien connues telles que le diabète, l’intoxication tabagique, un terrain vasculaire multiple, une atteinte coronaire multitronculaire ou de certains biomarqueurs tels que les interleukines 1b et 6 ou la CRP ultrasensible (C-reactive protein)(7,8) décrits comme associés à un moins bon pronostic. De même, en ce qui concerne la prévention secondaire, il est primordial de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques pour limiter les conséquences d’un événement aigu tel que l’infarctus du myocarde, mais aussi tenter de limiter les récurrences ischémiques responsables d’une importante morbi-mortalité résiduelle de la maladie coronaire. Comment lutter contre l’inflammation et quelles cibles thérapeutiques ? Parmi les anti-inflammatoires les plus anciens, la plupart au mieux n’exercent aucun effet antiathérosclérotique, au pire s’avèrent même délétères. C’est en particulier le cas des corticoïdes et des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) qui apparaissent clairement contre-indiqués dans les recommandations internationales en particulier en cas d’insuffisance cardiaque associée. L’aspirine, pierre angulaire de la prévention secondaire, n’est utilisée que pour ses propriétés antiplaquettaires et non anti-inflammatoires (à des doses quotidiennes 30 à 40 fois plus importantes). Il existe par ailleurs un surrisque cardiovasculaire démontré pour les autres AINS(9) pourtant largement prescrits bien qu’il existe toutefois des différences selon les molécules(10). De nombreuses autres voies se sont ainsi développées ces dernières années. • La colchicine, tout d’abord, avec de nombreux essais fondamentaux et cliniques en cours évaluant sa place en post-infarctus et dans la maladie coronaire stable (tableau) avec des études néanmoins d’envergure variable avec des effectifs ou des suivis cliniques souvent limités. Pour pallier ces limites, l’étude internationale multicentrique COLCOT (NCT01551094), actuellement en cours, est la plus attendue de ces différents essais avec la randomisation de 4 500 patients entre placebo et colchicine à dose réduite (0,5 mg par jour) pendant 2 ans à la suite d’un syndrome coronarien aigu reperfusé avec succès et en association au traitement médical optimal habituellement recommandé. Le critère de jugement principal évaluera la survenue des événements cardiovasculaires majeurs associant décès cardiovasculaire, infarctus du myocarde, AVC, arrêt cardiaque ressuscité et revascularisation coronaire répétée ainsi que des critères de tolérance en particulier sur le plan digestif. Ces résultats qui fourniront, sans aucun doute, des données essentielles pour le positionnement de la colchicine chez les patients coronariens sont attendus pour 2019-2020. Compte tenu d’un phénomène impliquant de nombreuses voies avec de nombreuses interactions cellulaires et moléculaires, de nombreuses autres cibles potentielles, schématisées dans la figure 1, sont en cours d’évaluation dans l’optique de limiter l’inflammation résiduelle et le risque de récurrences ischémiques. BNP = brain natriuretic peptide, CPK = creatine phospho-kinase, CRP = C-reactive protein, FeVG = fraction d’éjection du ventricule gauche, IL = interleukine, IRM = imagerie par résonance magnétique, MACE = major adverse cardiac events = événements cardiovasculaires majeurs (décès cardiovasculaire + infarctus du myocarde + accident vasculaire cérébral), SCA ST+ = syndrome coronarien aigu avec sus-décalage du segment ST. Figure 1. Représentation des différentes voies impliquées dans le processus inflammatoire et les cibles thérapeutiques potentielles. • L’interleukine 1ß (IL-1ß) apparaît comme une cible idéale étant donné son rôle primordial dans l’amplification de la réponse inflammatoire systémique après un infarctus avec des effets multiples, à la fois sur les cellules de la paroi vasculaire et sur les éléments figurés du sang(11). Le premier grand essai prospectif sur un médicament anti-inflammatoire dans l’athérosclérose a ainsi été reçu avec beaucoup d’enthousiasme lors du dernier congrès de l’ESC. L’étude CANTOS(12), étude multicentrique, internationale, randomisée, en double aveugle a testé le canakinumab, anticorps monoclonal ciblant l’IL-1b, en prévention secondaire. Les patients inclus avaient un antécédent d’infarctus, étaient sous hypolipémiant et devaient avoir un taux de CRP ultrasensible au-dessus de la normale (> 2 mg/L). Ils recevaient le placebo ou différentes doses de cette biothérapie en sous-cutané. Ont été inclus 10 061 patients coronariens avec un âge moyen de 61 ans, 26 % de femmes, 90 % sous statines, avec un suivi médian de 3,7 ans. L’incidence du critère de jugement principal, qui associait décès de cause cardiovasculaire, infarctus non fatal et AVC non fatal, était de 3,86 événements pour 100 patient-années dans le groupe canakinumab 150 mg en comparaison à 4,5 événements pour 100 patients-années dans le groupe placebo (HR 0,85 [IC95% : 0,74-0,98] ; p = 0,021) indépendamment du risque lié au LDL-cholestérol. Plus récemment, l’analyse secondaire des données de CANTOS a montré que les patients « répondeurs » avec la plus importante réduction de la CRP ultrasensible après la première dose de canakinumab, sont ceux qui tirent le plus de bénéfices du traitement chronique, avec une baisse du taux d’événements de 25 % et de la mortalité totale ou cardiovasculaire de plus de 30 %(13) (figure 2). Sur le plan de la tolérance, le canakinumab était en revanche associé à une augmentation de l’incidence des infections mortelles ou des sepsis (0,31 % dans le groupe 150 mg vs 0,18 % dans le groupe placebo, p = 0,02). Bien qu’il n’ait pas été mis en évidence de bénéfice sur la mortalité toutes causes dans la population totale, cette réduction des événements ischémiques majeurs dans l’étude CANTOS semble confirmer la théorie de l’inflammation dans la maladie coronaire. Des analyses complémentaires sont néanmoins nécessaires pour confirmer la place du canakinumab en pratique clinique quotidienne et individualiser la prise en charge avec une meilleure sélection des patients pour une balance bénéfices-risques optimale. Figure 2. Représentation des résultats principaux de l’étude CANTOS. À partir de Ridker PM et al. NEJM2017 et Ridker PM et al. Lancet 2018. Conclusion et perspectives Les participations majeures de la thrombose, des produits du métabolisme lipidique ou encore du système rénine-angiotensine-aldostérone sont parfaitement connues dans la physiopathologie cardiovasculaire en particulier dans la maladie coronaire. L’inflammation apparaît désormais comme un nouvel acteur interagissant avec les précédents, mais aussi jouant son rôle à part entière. Bien que des analyses complémentaires et l’évaluation d’autres molécules apparaissent nécessaires, cibler les processus inflammatoires en post-infarctus semble une voie prometteuse qui pourra sans doute s’associer, parallèlement à la lutte contre le LDL-cholestérol, à l’ensemble de l’arsenal thérapeutique actuellement disponible. En association à la reperfusion coronaire, au traitement antithrombotique ainsi qu’à la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire et tout particulièrement du tabac et de l’intoxication grandissante au cannabis, une évaluation individualisée du risque résiduel du patient pourrait ainsi être proposée pour cibler prioritairement la voie du LDL-cholestérol ou celle de l’inflammation dans l’optique de limiter la progression de la maladie coronaire et les récurrences ischémiques directement corrélées au pronostic à long terme. En pratique Malgré l’essor de la reperfusion coronaire, la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire et un traitement médical optimal, persistent des récurrences ischémiques directement corrélées au pronostic des patients. L’inflammation joue un rôle central dans le développement de l’athérosclérose et la progression de la maladie coronaire et apparaît comme une cible thérapeutique potentielle. Bien que des analyses complémentaires soient nécessaires, l’inhibition de la voie de l’interleukine 1 a confirmé l’implication de l’inflammation en démontrant une réduction des événements ischémiques majeurs (étude CANTOS). De nombreuses autres stratégies thérapeutiques prometteuses sont en cours d’évaluation et pourraient permettre de réduire le risque résiduel au décours d’un infarctus du myocarde.

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