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Thérapeutique

Publié le 15 mai 2020Lecture 6 min

Comment évaluer une contre-indication du traitement anticoagulant oral chez le patient âgé ?

Éric PAUTAS, Flora KETZ, service de gériatrie aiguë polyvalente, hôpital Charles Foix, Ivry-sur-Seine, GH Pitié-Salpêtrière-Charles Foix, APHP ; Facultés de médecine, université Paris 6, Sorbonne

L’incidence des pathologies thromboemboliques artérielles et veineuses augmentant avec l’âge, la prescription des anticoagulants oraux (ACO) est une problématique fréquente chez les patients âgés. Sans qu’un patient âgé puisse être défini par son seul âge chronologique, le seuil de 75 ans et plus peut être artificiellement retenu comme représentant la population gériatrique. Dans cette tranche d’âge, les comorbidités chroniques, les pathologies intercurrentes aiguës et la polymédication compliquent l’utilisation des AOC chez des patients à haut risque hémorragique et thrombotique. Elles n’amènent en revanche que très rarement à contre-indiquer un ACO, y compris pour les patients les plus âgés, que ce soit pour un événement thrombo-embolique veineux ou pour une fibrillation atriale (FA) qui sont les deux indications très majoritaires.

Une sous-utilisation des ACO est toutefois observée, en particulier dans la FA, le plus souvent par une surestimation du risque hémorragique au regard du risque thrombotique, qui mène à des « pseudo-contreindications »(1,2). Il est cependant maintenant établi, notamment dans la FA, que le bénéfice clinique net des ACO est d’autant plus important que le patient est âgé, et cette balance bénéfice/ risque favorable a été retrouvée pour les anti-vitamine K (AVK) comme pour les anticoagulants oraux directs (AOD)(3-5). Bien entendu cette donnée, issue d’études de grandes cohortes, est valable pour la population gériatrique générale, et n’évite pas une estimation individuelle des risques que nous allons tenter de synthétiser dans cet article. Les vraies contre-indications Elles ne sont pas spécifiques des patients âgés et sont communes à tous les ACO. Ce sont des situations plutôt hospitalières, assez rares et transitoires pour beaucoup d’entre elles : hémorragie majeure évolutive ou situation à très haut risque hémorragique (ulcère gastro-intestinal récent, tumeur maligne, notamment cérébrale, à haut risque de saignement, chirurgie neurologique ou ophtalmique récente, hémorragie intracrânienne ou médullaire récente, etc.). La décision d’anticoaguler est alors affaire de spécialistes, et est prise au cas par cas, le plus souvent après une concertation pluridisciplinaire. Nous avons déjà vu qu’il n’est pas licite de considérer l’âge chronologique seul comme un frein à la prescription d’un ACO, mais les situations majorant le risque hémorragique sous traitement sont beaucoup plus fréquentes en pratique gériatrique, et sans être des contre-indications, justifient d’une évaluation systématique. Diminution de la clairance de créatinine évaluée selon la formule de Cockcroft Dans les essais thérapeutiques évaluant les ACO, les patients sont sélectionnés sur leur chiffre de clairance de créatinine (ClCr) calculée par la formule de Cockcroft, à tort considérée comme reflet d’une insuffisance rénale chronique (en prenant une ClCr < 30 ml/min comme limite d’insuffisance rénale sévère). Nous ne détaillerons pas le débat du choix de cette formule pour évaluer la fonction rénale. Il est préférable de considérer le chiffre de ClCr selon Cockcroft comme un stigmate de « fragilité pharmacologique » puisque faisant intervenir âgepoids-créatininémie, critères associés aux variations pharmacologiques d’un très grand nombre de médicaments chez le sujet âgé. Avec ce bémol, et en tenant compte d’une élimination rénale significative des AOD, étaient exclus des essais les évaluant les patients avec ClCr Cockcroft < 30 ml/min pour le dabigatran et le rivaroxaban et < 25 ml/min pour l’apixaban. La quasi-absence de données cliniques pour ces patients, a fortiori pour les plus âgés, est contradictoire avec les recommandations d’utilisation des instances françaises ou européennes et des sociétés savantes cardiologiques internationales : si le dabigatran est contre-indiqué en cas de ClCr Cockcroft < 30 ml/min, le rivaroxaban pourrait être utilisé avec prudence et à faible dose (15 mg/jour) si la ClCr est comprise entre 15 et 29 ml/min, et l’apixaban pourrait être utilisé à faible dose (5 mg/jour) jusqu’à une ClCr de 15 ml/min(6,7). Pour les patients âgés, il peut paraître plus prudent de ne pas utiliser un AOD pour une ClCr Cockcroft < 30 ml/min, même si le risque hémorragique d’un AVK est aussi majoré dans ce cas, mais avec l’avantage d’une surveillance biologique de l’anticoagulation. En tout état de cause, quel que soit l’ACO choisi, une surveillance très régulière de la ClCr est indispensable pour les patients âgés anticoagulés, par exemple en s’astreignant à un dosage de créatininémie tous les 3 mois. Risque de chute Marqueur important de fragilité chez le patient âgé, la chute est un événement fréquent et potentiellement grave chez le sujet âgé. Cependant, les données concernant l’utilisation des ACO chez des patients chuteurs ou à haut risque de chute, montrent que le bénéfice en termes de prévention du risque embolique dépasse la possible augmentation d’accident hémorragique, notamment intracrânien(8,9). Avant de prendre une décision sur le traitement ACO d’un patient âgé chuteur, il est toujours utile de faire une évaluation gériatrique avant de discuter une abstention thérapeutique dans les cas rares de chutes très fréquentes, régulièrement traumatisantes, et sans cause réversible retrouvée. Dysfonction cognitive Autre marqueur majeur de fragilité du sujet âgé, les troubles neuro-cognitifs majeurs (ou démences) sont très fréquents en population gériatrique et touchent près d’un million de patients âgés en France. Environ la moitié de ces démences ont une participation vasculaire, plus ou moins associée à des éléments neuro-dégénératifs. Il est donc contradictoire de penser qu’une atteinte cognitive puisse êt re une contre-indication à un traitement anticoagulant limitant le risque d’accidents thromboemboliques, notamment cérébraux. Il est cependant absolument nécessaire de détecter un trouble neuro-cognitif avant toute prescription d’ACO. Cela implique au minimum l’utilisation d’un test mnésique, par exemple en faisant retenir 4 ou 5 mots au patient et en lui posant quelques questions d’orientation temporo-spatiale. Au moindre doute, une évaluation gériatrique devra être prévue et tous les moyens d’assurer l’observance du traitement anticoagulant devront être assurés (aide professionnelle ou de l’entourage). Une forme particulière de démence vasculaire, l’angiopathie amyloïde cérébrale, peut cependant être individualisée, car elle représente dans certains cas une véritable contre-indication à un traitement antithrombotique et oblige à une concertation pluridisciplinaire ; souvent de découverte fortuite à l’occasion d’une IRM cérébrale dans un contexte de troubles neuro-cognitifs ou d’accident vasculaire cérébral, son diagnostic repose sur la mise en évidence de micro-saignements et de dépôts d’hémosidérine plus organisés, principalement dans les régions corticales cérébrales, ou de séquelles d’hématomes parenchymateux lobaires(10). Co-médications La polymédication est très fréquente chez les sujets de 75 ans, le chiffre très élevé de 9 médicaments présents en moyenne sur leur ordonnance pouvant être retenu à partir d’une enquête récente(11). Cette polymédication, outre ses effets délétères sur la morbi-mortalité des plus âgés, est reliée à une plus grande fréquence des accidents hémorragiques sous anticoagulants, en partie via des interactions médicamenteuses(12,13). Ces interactions médicamenteuses potentielles sont bien plus nombreuses pour les AVK que pour les AOD. Quel que soit l’ACO prescrit, il est obligatoire chez un patient âgé de vérifier tous les médicaments de l’ordonnance ; ce peut être l’occasion de prévoir une révision spécialisée de l’ordonnance pour laquelle l’avis d’un gériatre peut être requis. En pratique Les contre-indications absolues des ACO chez les patients âgés sont rares et souvent transitoires. En revanche les situations à risque majoré d’accident hémorragique sont fréquentes, mais ne doivent pas priver de ces traitements, sous le seul prétexte de l’âge avancé, des patients pour lesquels il est démontré que le bénéfice clinique net des ACO est au moins aussi important voire supérieur à celui observé pour des patients plus jeunes. Pour résumer les points abordés dans cet article correspondant à 4 questions à se poser systématiquement, une règle de prescription chez le sujet âgé dite « règle des 4 C » peut être retenue : Cockcroft, Chutes, Cognition, Co-médication. Cette règle peut d’ailleurs être utile au cardiologue pour la prescription de nombreux traitements à visée cardiovasculaire.

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