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Insuffisance cardiaque

Publié le 20 juin 2023Lecture 6 min

L’insuffisance cardiaque aiguë : quelle prise en charge initiale ?

Charles FAUVEL, service de cardiologie, CHU de Rouen

L’insuffisance cardiaque aiguë (ICA) reste la principale cause d’hospitalisation après l’âge de 65 ans. Elle est associée à une morbi-mortalité effroyable : 4 à 10 % de mortalité intrahospitalière et jusqu’à 25-30 % à 1 an, sans compter le risque de réhospitalisation(1-3). Qu’elle représente l’entrée dans la maladie ou qu’elle émaille l’évolution d’une IC chronique, ces chiffres justifient donc une prise en charge rapide et structurée, même s’il existe une grande hétérogénéité clinique dans la présentation initiale(2). En effet, après avoir confirmé le diagnostic d’ICA, il faudra en évaluer la sévérité clinique (qui conditionne le parcours de soins), traiter le facteur précipitant (« trigger »), améliorer les symptômes, rechercher et traiter en conséquence la cause sous-jacente d’IC(1).

Confirmer le diagnostic et évaluer la sévérité clinique   Ces deux aspects doivent être évalués en parallèle, et ce, dès le premier contact médical. En plus de la présentation clinique « classique », de l’électrocardiogramme et de la radiographie thoracique, les peptides natriurétiques restent la pierre angulaire de la démarche diagnostique, comme rappelé dans les dernières recommandations européennes. Un BNP ≤ 100 pg/mL ou NT-proBNP ≤ 300 pg/mL permettent d’infirmer le diagnostic avec une excellente valeur prédictive négative (figure 1). Il est important de rappeler que ces taux peuvent être « faussement bas » en cas d’IC terminale, d’obésité, d’OAP flash ou de dysfonction ventriculaire droite isolée. Au contraire, les patients en FA, avec une insuffisance rénale et/ou de nombreuses comorbidités cardiovasculaires peuvent avoir des taux plus élevés sans pour autant présenter d’ICA. Enfin, il ne faut pas oublier que chez les patients sous sacubitril/valsartan, seul le NT-proBNP est interprétable. Figure 1. Algorithme de diagnostic d’une insuffisance cardiaque aiguë (ICA), d’après McDonagh et coll., EHJ 2021.   De plus en plus, il est possible d’avoir recours à l’échographie pleurale et cardiaque de débrouillage (« fast echo »), notamment en service d’urgence. Celle-ci ne saurait remplacer celle réalisée par un cardiologue expérimenté, mais permet d’avoir une estimation visuelle de la FEVG, de rechercher une cause « évidente » parfois suggérée par l’examen physique (valvulopathie aiguë sévère), mais aussi parfois d’éliminer une cause aiguë en cas d’instabilité hémodynamique (tamponnade ou embolie pulmonaire grave par exemple). L’échographie pleurale à la recherche de lignes B (ou « queues de comète ») a aussi montré sa plus-value par rapport à l’examen clinique seul, pour le diagnostic d’ICA (AUC 0,95 vs 0,88, p < 0,01 lorsque intégré à l’examen clinique)(4). Enfin, la recherche de signes de sévérité clinique est aussi un élément primordial afin d’initier la bonne prise en charge et le bon parcours de soins, tout en prenant en compte les comorbidités du patient, ses antécédents et son niveau d’autonomie antérieur. L’objectif est de ne pas retarder la prise en charge d’un éventuel choc cardiogénique. La classification de Stevenson (figure 2), basée sur la présence/absence de congestion ainsi que sur la présence ou absence d’hypoperfusion est un bon moyen d’identifier cliniquement les profils de patients en ICA, de débuter la prise en charge la plus optimale et enfin apporte aussi des informations pronostiques (le profil froid et humide étant associé à une plus mauvaise survie)(3,5). Figure 2. Classification de Stevenson des différents profils cliniques d’ICA, basée sur la présence/absence de congestion et d’hypoperfusion.     Initier la prise en charge   Identifier le tableau principal et rechercher un facteur déclenchant Il faut aussi différencier les « 4 tableaux » d’ICA : la décompensation aiguë d’IC (forme la plus fréquente, environ 50 à 70 % des cas), l’œdème aigu pulmonaire, l’insuffisance ventriculaire droite isolée et enfin le choc cardiogénique, car la prise en charge en sera différente (tableau 1, figure 3)(1,2). Figure 3. Prise en charge du choc cardiogénique, d’après les recommandations européennes de 2021. D’après McDonagh et coll., EHJ 2021.   En parallèle, la recherche d’une cause spécifique est primordiale et l’acronyme CHAMPIT utilisé dans les guidelines européennes de 2021(1) peut être utilisé afin d’identifier la bonne prise en charge : Acute Coronary Syndrome, Hypertension Emergency, Arrhythmia, Mechanical Cause, Pulmonary Embolism, Infections, Tamponade. En dehors de ces causes nécessitant une prise en charge spécifique en urgence, il faudra traquer l’inobservance thérapeutique et/ou la modification récente d’un traitement et le non-respect des règles hygiéno-diététiques. Les 4 tableaux d’ICA doivent être différenciés, car leur prise en charge est différente : décompensation aiguë d’IC, l’œdème aigu pulmonaire, l’insuffisance ventriculaire droite isolée et le choc cardiogénique.   Des nouveautés du côté des diurétiques ? Alors qu’il n’y a pas eu de « nouveautés » concernant l’indication à l’oxygénothérapie (SpO2 < 90 % ou PaO2 < 60 mmHg) ou la mise en place d’une ventilation non invasive à invasive, on peut noter certaines nouveautés concernant l’utilisation des diurétiques. Les diurétiques de l’anse (qui agissent sur l’échangeur Na+/K+/2 Clau niveau de la branche ascendante de l’anse de Henlé, face luminale) sont très largement utilisés. Néanmoins, les données concernant la dose, le timing et le mode d’administration optimale sont limitées. L’étude DOSE n’a pas montré de supériorité d’un régime faible dose versus forte dose et même peut-être plus d’anomalies électrolytiques, activation neuro-hormonale dans ce dernier cas(6-8). Ainsi, il est recommandé de débuter par une dose initiale intraveineuse de furosémide (ou équivalent bumétamide) correspondant à 1 à 2 fois la dose journalière avant admission ou de 20 à 40 mg IV de furosémide en bolus si le patient est « vierge » de tout traitement diurétique(1). Une réponse est considérée comme « satisfaisante » si la diurèse est de > 100-150 ml/h durant les 6 premières heures post-traitement. Dans le cas contraire, la dose peut être doublée, et si cela n’est pas suffisant, une association peut être recommandée(1). Néanmoins, comme l’a montré récemment l’étude ADVOR (n = 519 patients), présentée lors du congrès de l’ESC 2022, une bithérapie par diurétiques de l’anse et acétazolamide à la dose de 500 mg par jour pendant 3 jours était associée à une meilleure décongestion à 3 jours de la randomisation (absence de signes congestifs et pas d’escalade thérapeutique) : risque relatif 1.46, IC95% [1,17-1,82], p = 0,0009, ainsi qu’en sortie d’hospitalisation : risque relatif 1,13, IC95% [1,13-1,43], p = 0,0001, sans augmentation du risque d’insuffisance rénale ni trouble hydroélectrolytique(9). L’étude CLOROTIC (n = 230 patients), a, quant à elle, comparé une stratégie furosémide à l’association furosémide et thiazidique et montré une perte de poids plus importante (p < 0,001) au prix d’une aggravation plus importante de la fonction rénale (p < 0,001) et sans différence sur la mortalité et les réhospitalisations(10). Les résultats de l’étude ADVOR laissent entrevoir que la bithérapie par diurétique de l’anse + acétazolamide soit recommandée en première intention.   De l’importance des vasodilatateurs ! Les vasodilatateurs intraveineux (dérivés nitrés) ont une action artérielle et veineuse permettant une diminution du retour veineux (précharge) et de la postcharge permettant un rétablissement des conditions de charge et du couplage ventriculo-artériel, ainsi qu’une augmentation significative du volume d’éjection systolique et donc du débit cardiaque. Ainsi, ils apparaissent même plus efficaces que les diurétiques en cas d’œdème aigu pulmonaire par élévation de la postcharge avec ou sans hypervolémie. Ainsi, ils peuvent être considérés si la PAS > 110 mmHg (classe IIb).   Les inotropes Ils ne doivent pas être utilisés en routine clinique (classe III). Ils sont à réserver aux patients avec dysfonction ventriculaire gauche, bas débit cardiaque et PAS basse ne répondant pas au traitement standard (classe IIb). Ils sont commencés à faible dose et titrés progressivement, en unité de soins intensifs avec une surveillance rapprochée. Rappelons néanmoins que les inotropes adrénergiques, et notamment la dobutamine (action bêta+) qui est la principale amine utilisée en cas de choc cardiogénique, augmentent le risque de tachycardie sinusale, d’arythmie ventriculaire et supraventriculaire et augmentent la mortalité. Les inhibiteurs de la phosphodiestérase III ou lévosimendan peuvent être préférés chez les patients déjà sous bêtabloquants, car ils agissent via un mécanisme indépendant, mais exposent à un surrisque d’hypotension artérielle.   La place de l’assistance circulatoire de courte durée à la phase initiale La mise sous assistance nécessite l’avis d’une « heart team » et n’est évidemment pas un traitement de routine. L’assistance circulatoire de courte durée doit être considérée chez des patients en choc cardiogénique réfractaire malgré le traitement « médical » énoncé auparavant, en pont à la décision, la transplantation ou la récupération (classe IIa). En plus de traiter la congestion, il est important de rétablir les conditions de charge en s’aidant des inotropes, vasopresseurs ou vasodilatateurs en fonction de la présentation clinique et hémodynamique. L’auteur n’a aucun conflit d’intérêts avec cet article.

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