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Polémique

Publié le 25 oct 2019Lecture 10 min

Comment délivrer la radiofréquence dans l’ablation de la fibrillation atriale ?

Stéphane COMBES, Toulouse

Depuis le milieu des années 80, date de la première application clinique dans l’ablation de la jonction nodo-hissienne(1), l’ablation par courant de radiofréquence s’est imposée comme la meilleure alternative pour la prise en charge des troubles du rythme atriaux ou ventriculaires. Son ratio bénéfice/risque a permis de remplacer les méthodes utilisées jusqu’ici, comme la chirurgie ou encore la fulguration. C’est à la fin des années 90 que cette énergie apparaît pour le traitement de la fibrillation atriale(2). L’amélioration des résultats dans ce trouble du rythme est conditionnée entre autres par la qualité de la lésion réalisée par le courant de radiofréquence, notamment son caractère transmural et durable dans le temps. Nous allons voir comment appliquer au mieux ce courant de radiofréquence, dans de bonnes conditions de sécurité et d’efficacité, et quelles sont les voies de développement.

Historique de la radiofréquence et bases biophysiques Actuellement, l’ablation par courant de radiofréquence est utilisée en routine dans tous les laboratoires d’électrophysiologie, mais les bases physiopathologiques ont été décrites dès 1893. Ce n’est que 40 ans plus tard que cette énergie trouve une application clinique par le bistouri électrique qui permet d’obtenir, selon les caractéristiques des ondes délivrées, une coagulation ou une section tissulaire. Après la fulguration, il faudra attendre encore 1986 pour voir la première application en électrophysiologie dans l’ablation de la jonction nodohissienne, publiée par une équipe française(1). Puis a suivi quelques années plus tard son utilisation dans la prise en charge des voies accessoires symptomatiques ou malignes et des voies lentes de conduction atrio-ventriculaires(3-4). Pour savoir comment délivrer la radiofréquence au décours d’une procédure d’ablation, il est important de rappeler quelques principes fondamentaux. Utilisé dans la radiocommunication, le terme de radiofréquence désigne les ondes radio dont le spectre est situé entre 3 kHz et 300 GHz. Délivrées en mode unipolaire (le plus fréquemment) ou bipolaire, les ondes électromagnétiques induisent au niveau du tissu un échauffement de type résistif. La chaleur va diffuser par conduction au myocarde environnant et se dissiper sous l’effet de phénomènes convectifs dûs à la circulation du sang intracavitaire et intramyocardique (figure 1). Figure 1. Représentation de l’effet de la radiofréquence sur le tissu et des pertes convectives. La lésion de radiofréquence va aboutir à une cicatrice fibreuse inerte. La taille et la profondeur de cette lésion vont être influencées par de nombreux paramètres : l’importance du flux sanguin dans la cavité cardiaque, la durée d’application du courant de radiofréquence, la qualité du contact entre l’électrode et le tissu, la taille de l’électrode (4 ou 8 mm) et la température au niveau de l’extrémité distale de l’électrode. Tous ces éléments vont pouvoir être modulés pour envisager une lésion transmurale durable, sans dommages collatéraux. Quels sont les moyens actuellement disponibles pour délivrer la radiofréquence ? La force de contact Nous ne pouvions pas parler de l’utilisation de la radiofréquence dans la fibrillation atriale sans parler de cette technologie. En effet, depuis 2 décennies, les recherches pour améliorer l’efficacité de l’ablation par RF se sont centrées sur le contact entre tissu et le cathéter d’ablation par radiofréquence. Avant l’arrivée des cathéters « contacts », les opérateurs n’avaient qu’un reflet indirect par leur expérience du toucher avec le cathéter, par le retour de la température de l’extrémité de sonde ou la stabilité du cathéter, par la chute d’impédance, ou par les modifications de l’amplitude des électrogrammes endocavitaires durant l’application de la radiofréquence. Deux cathéters équipés de capteur de force sont à notre disposition aujourd’hui : Il s’agit des cathéters TactiCath SE® (Abbott Medical) et Thermocool SmartTouch® (Bio-Sense Webster), qui nous donnent en temps réel la mesure du contact entre l’extrémité du cathéter et le tissu durant l’ablation, mais aussi sa direction (figure 2). Figure 2. Représentations des cathéters « contacts » dans leur système de cartographie : A. Le cathéter Thermocool SmartTouch® (BioSense Webster) ; B. Le cathéter TactiCath SE® (Abbott Medical). De nombreux travaux confirment leur intérêt, notamment dans la sécurité d’utilisation. Citons par exemple l’étude randomisée multicentrique TOCCASTAR(5) en 2015, ayant inclus 300 patients, où l’on pouvait constater plus de patients sans récidive de troubles du rythme supraventriculaires post-ablation de fibrillation atriale lorsque le contact était optimal (> 10 g) (75,9 % groupe contact vs 58,1 % groupe sans contact, p = 0,02). Des indices sont proposés pour chaque système afin d’améliorer le rapport lésion/sécurité : le FTI (Force Time Integral) (Abbott Medical), et l’Ablation index (AI) (BioSense Webster), formule exponentielle intégrant la puissance, le niveau de contact et le temps. À titre d’exemple, des valeurs d’AI ≥ 400 sur la paroi postérieure de l’oreillette et ≥ 550 sur la face antérieure sont apparues sûres et efficaces dans l’étude pilote ENCLOSE(6). Une autre technologie de cathéter d’ablation par radiofréquence (Catheter IntellaNav Mifi OI® direct Sense, Boston Scientific) basée sur les variations d’impédance locale, permettrait de manière indirecte de nous informer sur la proximité de l’extrémité de sonde d’ablation avec le tissu, mais aussi sur sa stabilité et son efficacité (figure 3). Des travaux sont en cours pour son évaluation. Il faut savoir cependant que toutes les études conduites à ce jour ont failli à démontrer de manière randomisée la supériorité de ces cathéters « contact » en termes de récidive d’arythmies. Mais il apparaît difficile actuellement de se passer de cette technologie sûre dans l’ablation de la FA.   Figure 3. Visualisation du cathéter d’ablation (IntellaNav Mifi OI® direct Sense, Boston Scientific) dans le système de cartographie dédié (Rhythmia HDx®, Boston Scientific). Notons la variation et la chute d’impédance locale durant l’ablation, témoignant d’une lésion transmurale. Optimisation en temps réel de la mesure de la température de l’interface tissu/cathéter Toujours dans la même logique de réaliser une lésion transmurale sans dommage collatéral, une approche d’ablation originale par contrôle strict de la température du tissu est en cours de développement grâce à un nouveau cathéter disposant de mini-électrodes et de composants en diamant à son extrémité (DiamondTemp Ablation®, Medtronic) (figure 4). Les propriétés de diffusion thermique du diamant et la présence de 6 capteurs de température permettraient d’avoir un reflet fiable de la température du tissu, et ainsi de pouvoir utiliser de hautes énergies sous contrôle thermique. Les données d’une évaluation clinique prospective contrôlée du profil de sécurité dans le traitement rapide de la FA (étude DIAMOND FASTR AF), ainsi que les données d’études randomisées d’efficacité du traitement — étude DIAMOND AF I (FA paroxystique) et II (FA persistante) — sont en cours d’analyse pour publication. Figure 4. Représentation du catheter DiamondTemp Ablation® et de ses particularité,s avec 6 capteurs thermiques au contact d’électrodes en diamant, électrodes distantes de 1,1 mm, améliorant la résolution de l’électrocardiogramme. SE® (Abbott Medical). Utilisation de hautes puissances de radiofréquence La majorité des centres pratiquant l’ablation de fibrillation atriale par radiofréquence utilisait jusqu’à récemment des niveaux de puissance entre 25 et 35 watts durant 30 à 60 secondes en fonction des localisations dans l’oreillette gauche. Depuis maintenant plus de 10 ans, différents travaux se sont intéressés à l’utilisation de hautes énergies (45-50 watts). Une amélioration des résultats de l’ablation a été mise en lumière, par la création de lésions tissulaires durables, mais souvent au détriment de complications(7). Cependant, une étude de cohorte récente portant sur 10 284 patients entre 2006 et 2017 a montré l’intérêt d’appliquer de hauts niveaux de puissance durant un temps court (entre 2 et 10 secondes), sans augmenter la morbidité(8). Le principe est de diminuer les lésions profondes par conduction de chaleur se produisant pour de longues applications de RF au profit de lésions tissulaires par chaleur résistive locale (cf. ci-dessus). Une étude randomisée multicentrique française en voie de publication confirmera prochainement ce travail. Plusieurs travaux récents non randomisés confirment l’intérêt des hautes puissances (> 40 watts) dans l’ablation de la FA et l’isolation des veines pulmonaires(9). Par exemple, dans un travail original, T. Pambrun et al(10) montrent que l’utilisation de haute énergie de radiofréquence couplée à l’interprétation du signal unipolaire permettrait un gain de sécurité, mais aussi une diminution des récidives d’arythmies à 12 mois. Une nouvelle approche pour la radiofréquence : « l’application unique » La technique d’ablation par radiofréquence « point par point » est aujourd’hui la plus largement employée. Décrite comme chronophage ou d’efficacité fluctuante, en fonction notamment de l’expérience de l’opérateur, elle garde de fervents adeptes pour sa facilité d’adaptation à l’anatomie et aux troubles du rythme supraventriculaires à traiter (flutter droit/ gauche, tachycardie atriale focale…). Parallèlement à la cryoablation dans l’ablation de la FA et à son approche « one shot » pour l’isolation des veines pulmonaires, les industriels se sont intéressés au développement de systèmes pouvant isoler ces mêmes veines par radiofréquence. Les systèmes PVAC (Medtronic Ablation Frontiers) et nMARQ (Biosense Webster) (figure 5) ont été les premières alternatives proposées dans l’ablation antrale. Le premier est un système circulaire multiélectrodes non irrigué, au contraire du second. Ils pourraient diminuer le temps d’intervention et de fluoroscopie après un temps d’apprentissage court. Les résultats dans l’ablation de FA paroxystique seraient comparables à la technique de référence par radiofréquence(11,12). Cependant, mise en lumière dans la métaanalyse de H. Ka, C. Li et al(11), une surmortalité existerait avec le système nMARQ et, dans un autre travail récent, F. Keçe et al montreraient une augmentation statistiquement significative du risque d’accident vasculaire cérébral, symptomatique ou non, lors des procédures utilisant le PVAC(13). Le procédé semble intéressant, mais il faut rester prudent quant à son intérêt et à sa place, le système nMARQ ayant même été retiré de la vente à la vue des derniers travaux. Figure 5. Systèmes circulaires d’ablation antrale des veines pulmonaires par radiofréquence. A. Système PVAC® (Medtronic) : cathéter multiélectrode non irrigué avec température contrôlée, puissance délivrée entre 8 et 10 W en unipolaire et/ou bipolaire. B. Système nMARQ® (BioSense Webster) : cathéter multiélectrode type lasso irrigué, avec une puissance unipolaire max de 25 W par électrode. Un autre modèle de ballon sur lequel les électrodes de RF sont placées en surface est en cours d’évaluation chez l’homme. Par exemple, le système Luminize® (Boston Scientific) (figure 6) possède 12 électrodes proximales et 6 électrodes distales irriguées positionnées sur un ballon de 28 mm pouvant délivrer une énergie en mode uni- ou bipolaire. Il présente l’intérêt de posséder une caméra permettant d’optimiser le contact avec le tissu et de visualiser la lésion créée durant le traitement. D’autres sociétés développent des systèmes comparables, mais à ce jour aucune étude d’évaluation chez l’homme n’a été publiée. Figure 6. Cathéter de radiofréquence ballon. A. Le système Luminize® (Boston Scientific) : ballon de 28 mm avec 18 électrodes irriguées et caméra incluse permettant en direct la visualisation de la lésion. B. SATAKE HotBalloon® (Toray Industries), constitué d’un ballon en polyuréthane rempli d’un mélange d’une solution salée et de produit de contraste chauffé par une électrode de radiofréquence centrale. Le futur n’est-il pas à l’utilisation brève de très hautes puissances ? La meilleure compréhension des causes de reconnections veineuses pulmonaires au cours d’une ablation standard de fibrillation atriale a permis de mettre en avant différents facteurs favorisants. Au premier rang apparaît le contact entre le cathéter et le tissu comme vu plus haut, mais aussi l’instabilité du cathéter induite par les mouvements cardiaques. Ces derniers favoriseraient la création d’oedèmes et de lésions réversibles avec le temps. L’hypothèse d’utiliser de très hautes puissances (> 50 watts) sur une courte durée (4 secondes) a ainsi émergé. Ces conditions d’ablation permettraient de favoriser les lésions par brûlure résistive en diminuant ainsi l’œdème, tout en diminuant le temps nécessaire de contact. Un travail préclinique de A. Bhaskaran et al. paru en 2017 confirme cette hypothèse(15). Ils montrent sur un modèle animal que l’utilisation de haute puissance produite, par un générateur de radiofréquence spécifique durant une période courte conduirait à des lésions plus larges, tout en diminuant l’œdème dû à la chaleur passive et les complications. Afin d’éviter tout effet secondaire induit par ces hautes énergies, telles que la carbonisation ou la vaporisation tissulaire, un contrôle strict de la température doit être fait en bout de cathéter au contact du tissu. Un cathéter (cathéter QDOT MICRO®, BioSense Webster) a été spécialement développé (figure 7) afin de délivrer une haute énergie (90 Watts) tout en contrôlant en temps réel la température du tissu(17). Très récemment, un travail prospectif multicentrique a pu évaluer la faisabilité et la sureté sur 52 patients de ce nouveau cathéter dans l’ablation de la FA paroxystique. Les résultats sont favorables, avec 94,2 % de maintien du RS à 3 mois sans complication de type AVC, sténose pulmonaire ou fistule atrio-œsophagienne. En conclusion, l’ablation par radiofréquence a révolutionné la prise en charge des troubles du rythme cardiaque depuis la fin des années 80. Le courant de radiofréquence garde une place prépondérante dans l’ablation de la fibrillation atriale, malgré l’avènement de la cryoablation au début des années 2000 ou l’arrivée de nouvelles techniques telles que l’electroporation. La RF a pour avantages son coût et la possibilité de s’adapter aux différents troubles du rythme pouvant survenir au cours d’une procédure d’ablation, notamment de fibrillation atriale. Certains cathéters sont dotés d’une technologie reflétant la force de contact avec le tissu, confirmée plus sûre. L’avenir de la RF devra tendre vers des techniques plus simples, plus courtes, plus efficaces et moins risquées pour les patients, comme l’approche « one shot » ou l’utilisation d’une haute énergie durant un temps court. Figure 7. Cathéter QDOT MICRO® : développé sur la plateforme du cathéter thermocool Smarttouch® SF (BioSense Webster) avec son irrigation originale par de multiples pores. A/B. Associé à 6 capteurs thermiques (3 distaux et 3 proximaux). C. Visualisation en temps réel de la température spatiale en bout de sonde.

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