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Cœur et sport

Publié le 18 avr 2023Lecture 5 min

Aorte ascendante dilatée et sport : prenons le temps de la réflexion

Laurent CHEVALIER, Unité Cardiologie du Sport – Medical Stadium / Clinique du sport Bordeaux-Mérignac

Une des problématiques auxquelles se retrouvent le plus communément confrontés les cardiologues du sport est assurément celle de la dilatation de l’aorte ascendante. Totalement silencieuse, découverte fortuitement sur une imagerie de coupe thoracique, mais plus souvent à l’occasion d’un contrôle échocardiographique, son annonce au patient est toujours un moment délicat et chronophage. L’étiologie peut être purement génétique, avec des pathologies bien identifiées pour certaines, encore insuffisamment balisées pour d’autres. Elle est cependant souvent potentialisée par certaines pratiques sportives, notamment celles à forte composante isométrique et en particulier la pratique de la musculation lourde. Elle se rencontre également plus souvent sur certains morphotypes qui présentent une prévalence plus importante de pathologies associées connues pour accélérer le processus de dilatation.

Définition d’une dilatation aorte ascendante chez l’athlète   Les recommandations européennes et nord-américaines(1,2) convergent pour considérer que la pratique sportive peut générer chez des sujets sains une dilatation physiologique des segments 0 ou 1 jusqu’à 36 mm chez la femme et 40 mm chez l’homme. Au-delà, on évoque un processus anormal sous-jacent, éventuellement potentialisé par la pratique sportive. Il faut néanmoins essayer d’optimiser l’approche en indexant le diamètre aortique à la surface corporelle ou à la taille et intégrer également l’âge, ce qu’avait fort judicieusement proposé l’équipe de Thompson(3) il y a quelques années (figure 1). Néanmoins, on reste dubitatifs devant l’absence de prise en compte dans les guidelines de la vitesse d’évolution de la dilatation, critère pourtant essentiel dans la prise de décision de l’équipe médico-chirurgicale. Enfin, petite latitude laissée par les recommandations : elles ne disent jamais si les mesures doivent être faites en échocardiographie ou en imagerie de coupe, ce qui, du fait des techniques de mesure différentes, laisse un flou décisionnel régulièrement de l’ordre de 2 mm en valeur brute.   Les étiologies   La maladie de Marfan, plus fréquente dans les disciplines recrutant électivement des sportifs longilignes (volley-ball, basketball, rugby) est souvent évoquée, pas souvent confirmée. L’Ehler Danloss a la plupart du temps été diagnostiqué avant l’âge adulte et sa prévalence en milieu sportif apparaît comme extrêmement faible. Plus fréquente, la dilatation isolée familiale reste cependant délicate à affirmer du fait des délais requis par l’enquête familiale et les rendus d’analyse génétique. Enfin, la bicuspidie aortique, très répandue dans la population, amène à envisager le binôme valve-aorte dans le cadre de la pratique sportive. Comme l’ont souligné plusieurs articles publiés ces dernières années, certaines disciplines sportives riches dans leurs effectifs de gros gabarits avec masse musculaire et masse grasse importantes présentent des prévalences d’aorte ascendante dilatée nettement supérieures à la moyenne(4,5). La pratique intensive de la musculation lourde, l’HTA, un syndrome apnée obstructive sommeil, et d’éventuelles consommations de stéroïdes anabolisants sont autant de causes de dilatation additionnelle à intégrer dans la réflexion sur les mécanismes étiologiques sous-jacents.   La démarche diagnostique   L’interrogatoire à la recherche d’antécédents familiaux de dilatation ou de chirurgie aortique est évidemment précieux. Mais les informations à récupérer restent maigres puisqu’il n’existe en revanche aucun symptôme de repos ou d’effort en rapport avec cette anomalie. Une découverte fortuite de dilatation aortique chez un sportif incite à investiguer tous les mécanismes étiologiques identifiés à ce jour pour ne pas méconnaître l’intégralité des leviers délétères potentiellement en cause. L’HTA doit être impérativement recherchée par MAPA d’emblée. Si l’HTA est confirmée, chez des sportifs de moins de 40 ans, il faudra ne pas oublier de rechercher la consommation de produits dopants, le dopage étant encore et toujours la première cause d’HTA chez le jeune athlète. Le parfait contrôle du profil tensionnel sera par la suite indispensable. Le SAOS devra également être éliminé, par une Polygraphie ventilatoire nocturne, et, au moindre doute, par une Polysomnographie. Cette pathologie est en effet très répandue dans certaines populations sportives présentant des gabarits hors-norme (poids > 100 kg) : le rugby, le football américain, les catégories poids lourds en sports de combat sont clairement identifiées comme présentant des prévalences de dilatations aortiques nettement supérieures à la moyenne. Il faut par ailleurs ne pas oublier que ces sportifs pratiquent la musculation intensive plusieurs heures par semaine, ce qui peut potentialiser le phénomène de dilatation sur le moyen terme.   La conduite à tenir ultérieure   Une fois le bilan diagnostique terminé, il convient tout d’abord de corriger autant que possible les facteurs facilitants : une HTA doit être parfaitement maîtrisée sur l’intégralité du nycthémère ; un SAOS doit être appareillé et l’IAH résiduel doit être très sensiblement abaissé ; la charge de musculation doit être diminuée et pratiquée à glotte ouverte. Une consultation génétique est nécessaire pour avoir un premier avis autorisé sur la possibilité d’une maladie de Marfan, en sachant que la recherche de mutations ne sera contributive que plusieurs semestres plus tard, n’étant donc d’aucun secours sur la conduite à tenir vis-à-vis de la pratique sportive pour les semaines et mois qui suivent la découverte de la dilatation. Pour ce qui est de l’activité sportive en tant que telle, les recommandations européennes et américaines semblent très sévères (tableaux 1 et 2) par rapport aux évolutions constatées à l’occasion du suivi de nos sportifs au quotidien, mais également par rapport à ce que rapporte la littérature des vingt dernières années.   Globalement, de nombreux travaux ont souligné la quasi-innocuité de la pratique sportive sur le processus de dilatation aortique(6-9), ce dernier semblant presque exclusivement en lien avec la programmation génétique et des facteurs adjuvants pathologiques comme l’HTA et le SAOS. Dans la pratique, si limiter les activités chez un patient avec un diamètre > 45 mm peut se discuter, stopper un patient sportif dont le diamètre aortique excède 40 mm, voire 42 mm, non seulement ne repose sur aucun élément scientifique tangible, mais expose inutilement le patient aux risques de tous ordres induits par l’inactivité physique. Pour mémoire et à titre d’exemple, des milliers de rugbymen australiens vivent parfaitement bien 20 ans après l’arrêt de leur carrière avec des diamètres aortiques supérieurs à 50 mm, tout en poursuivant pour la plupart d’entre eux une activité sportive de loisir(10). Aussi, même s’il paraît délicat de fournir une autre valeur seuil pour interdire le sport et/ou la compétition, il semble judicieux de savoir prendre quelques distances par rapport aux recommandations européennes et nord-américaines actuelles, toutes de niveau C. La nature de la discipline sportive envisagée, l’intensité à laquelle elle est pratiquée, le rapport bénéfice/risque cardiologique et le retentissement psychologique d’un arrêt forcé sont à prendre en considération avant de statuer. Seules les activités avec charge tensionnelle importante et prolongée ou répétée ainsi que celles avec double produit (FC x TA) très élevé semblent devoir être réellement déconseillées. Considération ancillaire : n’oublions pas de sensibiliser les patients porteurs d’une bicuspidie aortique au risque d’endocardite occasionnée par des plaies cutanées à répétition dans le cadre de certaines pratiques sportives. L’auteur ne déclare aucun lien d’intérêt en la matière.

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