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Cardio-gériatrie

Publié le 27 fév 2024Lecture 8 min

Insuffisance cardiaque à FE préservée : vers un changement de paradigme, une opportunité pour les sujets âgés ?

Marion PÉPIN(1), Frédéric ROCA(2)*

L’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (ICFEp) représente un défi majeur de prise en charge qui concerne particulièrement les sujets âgés. Cet article propose d’explorer les spécificités de cette population et les opportunités offertes par les évolutions récentes dans ce domaine.

Un pronostic sombre pour un diagnostic plus difficile   La prévalence de l’insuffisance cardiaque (IC) augmente de manière importante avec l’âge pour atteindre plus de 10 % chez les plus de 80 ans, et l’âge moyen lors du diagnostic d’un premier épisode de décompensation cardiaque est de plus de 76 ans(1,2). Le pronostic de l’IC est globalement sombre avec une médiane de survie de l’ordre de 3 ans après le premier épisode. C’est encore plus vrai chez les patients de plus de 80 ans, chez qui la mortalité dans l’année qui suit une décompensation cardiaque dépasse 40 % et la mortalité lors du séjour hospitalier excède 10 % chez les patients « gériatriques » (les plus âgés, polypathologiques, en perte d’autonomie fonctionnelle)(1,3). Comme souvent chez le sujet âgé, la présentation clinique est volontiers atypique, l’IC pouvant être révélée par des syndromes gériatriques comme les chutes ou la confusion(4). Au-delà de ses conséquences cardiologiques, l’IC va, chez le sujet âgé, altérer l’autonomie fonctionnelle, l’état nutritionnel, et le phénotype de fragilité. Par ailleurs, l’IC s’associe fréquemment à d’autres comorbidités qui vont impacter son pronostic et qui doivent être prises en compte dans l’adaptation des thérapeutiques (maladie rénale chronique, troubles neurocognitifs…).   Des peptides natriurétiques pris en défaut et l’échographie clinique prometteuse   En parallèle d’une présentation clinique moins typique, les outils paracliniques comme les peptides natriurétiques sont moins performants que chez les sujets plus jeunes tant pour le diagnostic positif que pour guider l’intensité du traitement à la phase précoce(5,6). En revanche, les peptides natriurétiques restent intéressants pour l’évaluation pronostique(7). D’un autre côté, de nouveaux outils se développent comme l’échographie clinique. L’échographie pulmonaire utilisée dans le contexte d’une dyspnée aiguë, améliore la précision et la rapidité du clinicien pour le diagnostic d’insuffisance cardiaque aiguë, y compris dans des populations âgées, même si la plupart des études menées sont de faibles effectifs(8). L’intérêt de l’utilisation de cet outil réside également dans les modifications rapides observées lors de la mise en place du traitement, qui pourraient permettre de l’utiliser pour suivre la congestion pulmonaire au cours de la prise en charge thérapeutique et adapter l’intensité des thérapeutiques(9).   Un accès aux soins différent   Plus des deux tiers patients de plus de 80 ans en décompensation cardiaque aiguë sont pris en charge dans des services de médecine non cardiologique (médecine interne, gériatrie) alors que près de la moitié des moins de 80 ans sont hospitalisés en service de cardiologie(10). Cela participe probablement à un moindre accès aux explorations paracliniques comme l’échocardiographie. En effet, les données d’une échocardiographie (de moins de 2 ans) sont disponibles chez seulement la moitié des patients hospitalisés en gériatrie pour insuffisance cardiaque aiguë(11). Lorsqu’elle est disponible, l’échocardiographie retrouve une fraction d’éjection ventriculaire gauche préservée chez plus de 50 % des patients de plus de 80 ans et chez plus de 70 % des patients hospitalisés en gériatrie(10,11). La problématique de l’accès à l’échocardiographie est cruciale puisqu’elle permet la classification de l’insuffisance cardiaque en fonction de la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) et conditionne donc la thérapeutique.   Une prise en charge médicamenteuse sous optimale   Comme dans de nombreuses pathologies, l’adhésion aux recommandations de prise en charge médicamenteuse chez le sujet âgé est nettement inférieure à celle de sujets plus jeunes bien qu’ils en tirent les plus grands bénéfices en termes de réduction des événements. Dans l’IC à fraction d’éjection réduite (FEr), les recommandations ne distinguent pas le sous-groupe des patients les plus âgés et les études sont globalement menées chez des patients d’âge moyen inférieur à 70 ans (PARADIGM, DAPA HF). La sous-représentation des sujets âgés dans les études entraîne un moindre niveau de preuve, auquel s’ajoute une mortalité plus élevée du fait des comorbidités associées. Cela conduit les cliniciens à moins souvent prescrire les traitements recommandés chez les sujets âgés. Lorsqu’ils sont prescrits, les inhibiteurs du système rénineangiotensine ou les bêta-bloquants le sont à des doses plus faibles que chez des patients plus jeunes. La titration est limitée par la survenue d’épisodes d’hypotension orthostatique, de bradycardie ou de troubles de conduction. Mais, comme nous l’avons soulevé plus haut, chez les patients âgés et très âgés, la FE est le plus souvent préservée. Les données d’efficacité et de sécurité de l’utilisation des iSGLT2 dans l’ICFEp constituent donc un réel changement de paradigme dans la prise en charge médicamenteuse des IC âgés. L’empagliflozine et la dapagliflozine ont démontré leur efficacité dans la réduction des décès et hospitalisations pour insuffisance cardiaque dans une population d’âge moyen environ 72 ans, avec une FEVG > 40 % et sont maintenant recommandées chez les patients présentant une ICFEp(12). Les analyses menées dans le sous-groupe des plus de 75 ans (n = 2 592) de l’étude DELIVER, ne retrouvent pas de différence sur l’efficacité chez les plus âgés, sans augmentation des effets indésirables ou des arrêts de traitement(13). De plus, la mise à jour des recommandations européennes d’août 2023 met en avant l’intérêt d’une introduction précoce des thérapeutiques médicamenteuses, au cours du séjour hospitalier pour décompensation cardiaque, pour réduire le risque de réhospitalisation pour IC ou de décès(12). Chez les patients gériatriques ayant une insuffisance cardiaque connue ou après une première décompensation, les iSGLT2 sont donc quasiment toujours indiqués et les contreindications sont rares. En pratique, pour évaluer le bénéfice de cette prescription chez des patients âgés et polymédiqués, nous proposons d’estimer l’espérance de vie et d’introduire les gliflozines dès lors qu’elle est supérieure à un an, étant donné le profil de sécurité et le bénéfice précoce sur les réhospitalisations. En situation d’euvolémie, cette introduction peut s’accompagner de manière pragmatique d’une réduction de la dose de diurétiques, s’ils sont présents sur l’ordonnance du patient. Des données observationnelles de « vraie vie » chez les patients très âgés sont attendues quant à la tolérance, notamment tensionnelle et le risque d’infection urinaire. En effet, la baisse de pression artérielle semble très limitée à l’introduction des gliflozines, ce qui est parfois estimé comme un élément négatif chez les insuffisants cardiaques hypertendus, mais ce qui sécurise leur introduction chez des malades très âgés(14).   D’autres changements de paradigmes dans l’IC à FE préservée   L’intolérance à l’effort est un symptôme majeur de l’ICFEp. Les patients présentent souvent une moindre accélération de la fréquence cardiaque lors de l’effort, une insuffisance chronotrope est présente chez plus de la moitié d’entre eux. L’étude récente myPACE a observé une amélioration des paramètres de qualité de vie et d’activité physique chez des patients déjà porteurs de stimulateurs cardiaques et bénéficiant d’une accélération personnalisée de la fréquence de stimulation(15). En revanche, l’implantation d’un stimulateur avec une stimulation atriale n’a pas montré d’effet positif la performance à l’effort dans l’étude RAPID-HF(16). Chez les sujets âgés, le rôle de l’insuffisance chronotrope ou de la dysfonction sinusale dans les symptômes d’IC pose régulièrement la question de l’introduction ou de la poursuite de traitements bradycardisants, principalement les bêtabloquants prescrits pour d’autres indications (HTA, cardiopathie ischémique, ralentissement d’une FA). Les bêtabloquants sont également délétères dans l’amylose cardiaque dont la prévalence est évaluée jusqu’à 30 % chez les patients de plus de 75 ans porteurs d’une ICFEp(17).   Parcours de soins des patients âgés porteurs d’une ICFEp : une place pour le gériatre et la filière gériatrique   Les patients porteurs d’une ICFEp sont des patients volontiers polypathologiques et polymédiqués avec un parcours des soins marqué par l’intervention de multiples spécialistes et des hospitalisations dans des services non cardiologiques. Leur prise en charge nécessite, en plus d’une optimisation des thérapeutiques, la prise en compte de comorbidités cardivasculaires et non cardiovasculaires. Ils présentent par ailleurs, dans l’immense majorité des cas, une fragilité tant sur le plan physique, cognitif que social(18). Ces éléments plaident pour un management conjoint par le cardiologue, le médecin généraliste, le gériatre et les autres spécialistes. Sur le plan hospitalier, des filières cardio-gériatriques commencent à voir le jour pour proposer une prise en charge cardiologique optimale, mais également une intervention gériatrique permettant d’anticiper les besoins en sortie d’hospitalisation, d’initier précocement une réhabilitation physique, de promouvoir le maintien de l’autonomie fonctionnelle et de prévenir la survenue de syndromes gériatriques tels que la confusion, la dénutrition ou les chutes(19). Ce type de co-management semble bénéfique sur l’autonomie fonctionnelle et la qualité de vie à distance de l’hospitalisation(19). Le bénéfice de l’activité physique a également été démontré chez ces patients(20). Les services de rééducation cardiaque sont actuellement surchargés et les programmes proposés sont parfois mal adaptés à des patients âgés qui présentent des limitations fonctionnelles. La discipline gériatrique s’est depuis longtemps organisée en filière permettant de proposer aux patients âgés des parcours de soins adaptés. Ainsi, les services de soins médicaux et de réadaptation à orientation gériatrique (ex-SSR gériatriques) pourraient être des relais intéressants pour certains patients ICFEp âgés, désadaptés à l’effort ou présentant de multiples syndromes gériatriques. Enfin, la filière gériatrique peut également apporter son expertise lors de l’évolution terminale de l’IC, en participant à la définition des objectifs de soins avec le patient, sa famille, le réseau de soins primaires et les cardiologues. La rédaction de directives anticipées, la sollicitation des réseaux de soins palliatifs de proximité, l’anticipation de la conduite à tenir en cas d’aggravation, l’éducation des soignants à domicile ou en EHPAD sont autant de solutions à développer pour limiter les situations de fin de vie dans des services d’urgence, de cardiologie de médecine/gériatrie aiguë peu adaptés et souvent contraires aux souhaits des patients.   En pratique   Avec un pronostic sombre et des comorbidités nombreuses, l’ICFEp chez les sujets âgés revêt des enjeux à la fois diagnostiques et thérapeutiques, qui nécessitent une approche ciblée et innovante. L’intégration de méthodes diagnostiques modernes comme l’échographie clinique, de nouvelles options thérapeutiques (comme les iSGLT2) et de parcours de soins adaptés pourrait permettre une optimisation de la prise en charge, au bénéfice d’une amélioration de la qualité de vie des patients âgés.   * 1 Service de gériatrie, hôpital Ambroise-Paré, APHP, UVSQ, Boulogne ; Université Paris Saclay, CESP, équipe épidémiologie clinique, INSERM, Villejuif 2 Service de médecine aiguë gériatrique, CHU de Rouen ; INSERM U1096, endothélium, valvulopathie, insuffisance cardiaque, Université Rouen Normandie, UNIROUEN, Rouen

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