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Thérapeutique

Publié le 14 mai 2013Lecture 10 min

Quand reprendre les anticoagulants après une hémorragie sévère ?

P. AMBROSI Service de cardiologie, Hôpital de la Timone, Marseille

Quand reprendre le traitement anticoagulant après une hémorragie sévère ? La réponse est difficile et dépend, bien sûr, de la balance risque thrombotique/risque de récidive hémorragique. Dans les lignes qui suivent, nous n’aborderons que les hémorragies sévères les plus fréquentes, à savoir les hémorragies intracrâniennes et les hémorragies digestives.  

Risque thrombotique à l’arrêt des anticoagulants    • Le risque thrombotique de la fibrillation auriculaire est donné approximativement par des scores. Par exemple, le score CHA2DS2-VASc donne le risque thrombotique par an en fonction de 7 facteurs (tableau 1). Cependant, les scores sont imparfaits. Tout d’abord, leur valeur pronostique est grossière. De plus, ils donnent le risque thrombotique au long cours et non le risque à l’arrêt des anticoagulants en sachant qu’un effet rebond est alors possible.  • Le risque thrombotique après arrêt du traitement anticoagulant dans les suites d’une thrombose veineuse est bien connu par les essais cliniques ayant comparé différentes durées de traitement anticoagulant. D’après les résultats de l’étude DURAC I, si l’AVK est arrêté 6 semaines après une thrombose veineuse distale ou proximale, idiopathique ou accidentelle, le risque de récidive est d’environ 10 % dans les 6 mois suivants. Si l’AVK est arrêté 3 mois après une thrombose proximale idiopathique, le risque de récidive varie de 4 à 10 % par an selon les études (tableau 2). Parmi ces récidives thromboemboliques, une minime fraction est mortelle.  • Le risque de récidive varie selon les caractéristiques du patient. Il est élevé en cas de cancer actif ou s’il s’agit d’un deuxième épisode de maladie veineuse thromboembolique (MVTE). Il peut être estimé en utilisant le score de Vienne en cas de premier épisode de MVTE idiopathique. Ce score utilise comme facteurs de risque le sexe masculin, la localisation proximale ou une EP et les D-dimères élevés au moment de l’arrêt des AVK. Par exemple, un homme avec une EP initiale et des D-dimères à 743 μg/l a un risque de récidive thromboembolique de 28,5 % à 5 ans. En revanche, une femme avec thrombose veineuse distale et des D-dimères à 237 μg/l a un risque de récidive de seulement 7,5 % à 5 ans.  La recherche d’une thrombophilie héréditaire (déficit en facteur V…) n’a pas d’intérêt démontré pour affiner le pronostic.  • Le risque thrombotique pour une courte période d’arrêt du traitement anticoagulant après une hémorragie est faible, même chez les patients à très haut risque thrombotique ! De petites études résumées dans le tableau 3 ont évalué le risque thrombotique lors de l’arrêt des AVK chez des patients à très haut risque, c’est-à-dire essentiellement les porteurs de prothèses valvulaires mécaniques et les patients ayant déjà fait un accident embolique artériel. L’arrêt des AVK pendant 7 à 14 jours après une hémorragie ne provoquait des accidents thrombotiques que chez 0 à 5 % d’entre eux. Ces accidents thrombotiques étaient pour moitié des AVC.  Ces résultats sont concordants avec ce qui avait été observé il y a plus de 30 ans dans des séries de patients porteurs de prothèses mécaniques non anticoagulés. Par exemple, une de ces séries avait rapporté un taux d’accidents thrombotiques de 8 % par an, sans préciser la proportion de prothèses en position mitrale. Deux autres séries ont rapporté le suivi de patients porteurs de valves St. Jude en position aortique traitées seulement par aspirine + dipyridamole. L’incidence des événements thrombotiques variait de 2,1 à 3,2 % par an.  • Le risque de thrombose pour des arrêts du traitement anticoagulant de plusieurs mois après accident hémorragique varie selon l’indication. Il varie de 1 à 15 % par an d’une série à l’autre.   Hémorragies intracrâniennes    Les hémorragies intracrâniennes comportent les hémorragies cérébrales, les hématomes sous-duraux et les hémorragies méningées (figure 1).    Figure 1. Types d’hémorragie intracrânienne sous AVK d’après Majeed et coll.     • L’hémorragie cérébrale est la complication la plus grave des anticoagulants. Elle survient essentiellement sur des microangiopathies hypertensives ou amyloïdes.  Le traitement anticoagulant ne crée pas dans la plupart des cas l’hémorragie mais l’amplifie et l’aggrave.  L’hémorragie cérébrale sous anticoagulant tue près d’une fois sur deux, avec un suivi de 3 mois. Dans la moitié des cas, elle survient pour des INR inférieurs à 3 (figure 2).  Après hémorragie cérébrale, le risque de récidive varie 4 à 14 % par an si les anticoagulants ont été repris. Cette estimation ressort de cohortes de petits effectifs et de méthodologie imparfaite, résumées dans le tableau 4. Les patients chez lesquels les AVK ont été repris après une hémorragie intracrânienne ne représentent que moins de la moitié des patients ayant présenté une hémorragie intracrânienne. En effet, une bonne partie des patients ayant présenté une hémorragie intracrânienne meurent rapidement, une autre partie a d’importantes séquelles et chez une autre partie, le risque de récidive hémorragique paraît disproportionné en regard du risque thrombotique. Le fait que l’hémorragie initiale soit survenue pour un INR supra-thérapeutique n’est pas nécessairement associé à un risque moindre de récidive.  Du fait de la fréquence et de la gravité des récidives, la reprise des anticoagulants n’est licite qu’en cas de très haut risque thrombotique : prothèse valvulaire mécanique, FA ayant déjà embolisé. L’IRM cérébrale peut aider à la décision de reprendre le traitement anticoagulant. En effet, la découverte d’autres foyers hémorragiques (microbleeds) est un argument fort contre la reprise des anticoagulants. Après quel délai faut-il reprendre les anticoagulants ? Les recommandations européennes EUSI suggèrent de les reprendre après 10 à 14 jours d’arrêt. Pour les prothèses valvulaires mécaniques en position mitrale, c’est en général le délai qui est observé. Dans les autres cas, ils ne sont souvent repris que plus tardivement, au-delà d’un mois, en fonction de l’évolution clinique et radiologique. En effet, comme nous l’avons vu plus haut, le risque thrombotique au cours du premier mois est modeste dans la plupart des cas en regard du risque hémorragique.  En revanche, chez les patients avec FA sans antécédent d’embolie ou avec antécédent de thrombose veineuse, le rapport bénéfice/risque de la reprise des AVK semble le plus souvent défavorable. Ainsi, les recommandations américaines déconseillent la reprise des AVK après hémorragie cérébrale spontanée s’ils étaient indiqués pour une FA non valvulaire.   Figure 2. Hématome des noyaux gris centraux à gauche avec œdème périlésionnel chez un homme de 88 ans anticoagulé pour une FA, avec un INR à 1,6 au moment de l’hémorragie. Pas de reprise de l’anticoagulant par la suite, pas d’événement avec un suivi de 13 mois.     • L’hématome sous-dural chronique est la forme d’hématome sous-dural la plus fréquente chez les patients sous anticoagulant. Il est soit spontané, soit en rapport avec de minimes traumatismes. Selon son volume et sa tolérance, il est drainé ou respecté. La mortalité au cours des deux premiers mois varie selon les séries de 8 à 20 %.  Après chirurgie de l’hématome sous-dural chronique, le risque de récidive sous anticoagulant semble assez élevé, mais n’a pas été bien mesuré. On sait qu’en l’absence de traitement anticoagulant, le risque de récidive précoce au cours du premier mois est de l’ordre de 20 %. À plus long terme, le risque de récidive sous anticoagulant est mal connu, de l’ordre de 5 à 15 % par an.  Du fait de la fréquence des récidives et de leur gravité, la reprise du traitement anticoagulant doit être, là encore, réservée aux patients à très haut risque thrombotique.  • L’hématome sous-dural aigu est habituellement la conséquence d’un traumatisme cérébral majeur. S’il a pu être drainé, et si le patient ne fait pas de chutes itératives, le risque de récidive est faible. Il n’y a alors pas de contre-indication à la reprise rapide des anticoagulants.  • L’hémorragie méningée est habituellement due au saignement d’un anévrisme cérébral. Après traitement endovasculaire ou chirurgical de l’anévrisme, le risque de récidive d’hémorragie méningée est très faible, de l’ordre de 0,2 % par an dans la population générale.  De ce fait, le traitement anticoagulant peut être très rapidement repris dans les suites.   Hémorragies digestives hautes    La principale cause d’hémorragie digestive haute sous anticoagulant est l’ulcère gastroduodénal. L’œsophagite et les tumeurs gastriques sont des causes plus rares (figure 3). Les varices œsophagiennes sont encore plus rarement en cause car les patients cirrhotiques sont rarement sous anticoagulants. Dans une grande partie des cas, la cause est non identifiée ou douteuse.    Figure 3. Causes d’hémorragie digestive haute sous AVK d’après Thomopoulos et coll.     • Le risque de récidive d’hémorragie digestive haute est très élevé les premiers jours. Les données concernent surtout les patients sans anticoagulants. Le risque de récidive lors de la période hospitalière est alors compris entre 10 et 30 % selon les séries. Puis le risque diminue mais demeure relativement élevé au cours des 12 mois suivants avant de décroître encore.  Ainsi, Masso Gonzalez et coll. ont décrit une cohorte prospective de 1 287 patients britanniques, dont 59 sous AVK, après une hémorragie digestive haute non cancéreuse, avec un suivi moyen de 3 ans. Du 3e au 15e mois suivant l’hémorragie, le risque de récidive était de 3,4 % pour l’ensemble de la population ; au-delà, il tombait à 1 %/an. Chez les patients ayant repris un traitement anticoagulant dans les suites de l’hémorragie initiale, ce risque était multiplié par 5. • Si l’origine du saignement a été identifiée avec certitude et traitée efficacement, par exemple par un clip sur un ulcère gastroduodénal, le risque de récidive est faible et le traitement anticoagulant peut être repris très rapidement. En revanche, si la cause n’a pas été identifiée, il faut différer la reprise des anticoagulants, sauf en cas de très haut risque thrombotique. En particulier, si des ulcérations ont été mises en évidence sans identification de vaisseau pouvant saigner, il est logique d’attendre la cicatrisation des lésions sous inhibiteur de la pompe à protons. En cas de récidive hémorragique, l’indication de l’anticoagulation est à réserver aux patients à très haut risque thrombotique.   Hémorragies digestives basses    Les causes d’hémorragie digestive basse les plus fréquentes sous anticoagulant sont les diverticules coliques et les angiodysplasies. Mais très fréquemment, la cause n’est pas identifiée. Le cas des saignements d’origine cancéreuse ne sera pas détaillé dans les lignes qui suivent, car le risque de récidive dépend de manière évidente de la possibilité qu’on a de réséquer la tumeur. Les colites ischémiques sont rarement en cause. On ne dispose que de peu de données sur le risque de récidive d’hémorragie basse sous anticoagulants.  La série d’Anathasubramaniam et coll. concerne des porteurs de prothèses valvulaires et ne fait pas la part des hémorragies digestives hautes et basses. Sur 21 patients ayant repris les AVK dans les suites d’une hémorragie sévère et suivis 6 mois, 2 présentent une récidive d’hémorragie digestive nécessitant une nouvelle hospitalisation et 8 présentent une récidive d’hémorragie digestive sur un mode mineur, ne nécessitant pas d’hospitalisation.    • Lorsque l’origine du saignement est bien identifiée et curable, par exemple angiodysplasie colique traitée par coagulation au plasma argon ou diverticulose traitée par colectomie partielle, la reprise de l’anticoagulant peut être rapide. Dans les autres cas, elle doit être différée, voire contre-indiquée si le risque thrombotique n’est pas très élevé. 

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