C Demain
Publié le 30 oct 2024Lecture 10 min
PANAVASC : prise en charge panafricaine des pathologies vasculaires
Les données sont limpides. L’Afrique va faire face à un volume de patients vasculaires à l’horizon 2050 qui s’apparente au raz-de-marée. Un projet de prise en charge des pathologies vasculaires a été initié en Afrique de l’Ouest par La Chaîne de l’Espoir (CDE). Tout reste à faire mais les bases sont posées. L’objectif est aussi simple qu’ambitieux : mettre en place un centre de référence à Dakar qui aurait vocation à prendre en charge les patients du pays, ainsi qu’une partie de ceux de la sous-région et à essaimer dans les autres pays partenaires. C’est le concept de transfert de savoir Nord-Sud puis Sud-Sud qui constitue le modèle suivi par la CDE à travers ses actions.
*Article rédigé par J.-M. Davaine et E. Cheysson et cosigné par les membres du collectif PANAVASC : G. Ciss, P.A. Dieng, A. Kane, L.F. Sow, A. Mbengue, A. Deloche, M. Lemierre, L. Chastaingt, P. Lacroix, C. Le Hello, J.-P. Becquemin, A. Manika, E. Ouldsalek, K. Rim, W. Gandji, M. Doumbia.
L'enjeu va bien au-delà de la construction d’un bâtiment qui abriterait un service hospitalier. Ce qui est envisagé est la mise en place d’un programme complet de médecine et de chirurgie vasculaire comprenant plusieurs volets : allant du soin au travail académique et à l’innovation en passant par la prévention.
Mais avant d’évoquer plus précisément ces aspects, quelques notions inhérentes au contexte s’imposent pour ce grand angle qui nous fait voyager vers une destination un peu éloignée de notre quotidien, quoique…
Médecine humanitaire, santé universelle
Tout d’abord concernant l’humanitaire. De quoi parle-t-on ? Depuis une trentaine d’années que la Chaîne de l'espoir (CDE) existe, de nombreuses choses ont changé. Plutôt que de la chirurgie humanitaire, on évolue de plus en plus vers la notion de collaboration avec les pays du Sud. Le monde dans son ensemble a profondément changé en 30 ans et plutôt vers le repli sur soi. Les frontières se sont renforcées et obtenir un visa dans certains pays relève de la gageure. Voyager est beaucoup plus complexe. Sans parler d’accueillir les collègues du Sud dans nos pays.
Il s’est opéré également une transition épidémiologique majeure. Les maladies transmissibles ont reculé et les maladies non transmissibles ont vu leur place croître de manière exponentielle. En 2022, les maladies transmissibles représentaient 60 % des DALY (disability adjusted life-year) contre 35 % à l’horizon 2050(1). Parallèlement, entre 1990 et 2019, il y a eu une augmentation de 102 % des décès de cause cardiovasculaire. Dans le top 4 des causes de décès, figurent la cardiopathie ischémique, l’AVC, le diabète et la BPCO(1,2). Le risque le plus élevé de décès dû aux maladies non transmissibles se trouve précisément en Afrique subsaharienne.
Il y a eu également de profondes modifications démographiques. Par exemple, le Nigéria dont la population était de 182 millions d’habitants en 2015 et devrait dépasser les 400 millions en 2050. Ce taux de croissance démographique est accentué pour ce qui concerne les maladies vasculaires par un vieillissement avéré de la population(3). Si nos pays dits développés commencent à contrôler l’épidémie d’artériopathie périphérique en raison d’une prise de conscience de l’importance d’une meilleure hygiène de vie, d’une activité physique régulière, d’un meilleur accès aux médicaments, ce n’est pas du tout le cas dans les pays moins favorisés où la prévalence de l'artériopathie périphérique est littéralement en train d’exploser(3). En Inde par exemple, la prévalence du diabète est plus du double de celle observée en Europe(4). On dénombre beaucoup d’autres modifications comme les crises migratoires, les modifications de climat qui font que la santé au niveau mondial est désormais envisagée par toutes les grandes institutions, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en tête, sous la forme d’une santé universelle, concept qui identifie les santés humaine, climatique et animale comme étant indissociables(5).
L’incontournable pandémie qui a littéralement asphyxié le système hospitalier pourrait revenir sous une forme ou une autre et a remis dans les pays en voie de développement, comme chez nous, l’hôpital au centre du système de santé. Dans un autre domaine, l’actualité regorge d’exemples illustrant les radicalisations religieuses, les modifications géopolitiques qui impactent la santé des populations et l’action humanitaire. En 30 ans, internet a également bouleversé les choses ; et pour ce qui concerne le sujet traité ici, il suffit de rappeler qu’en Afrique l’accès à la 3G se développe plus vite que l’accès à l’eau courante (en 2014, 25 % des Libériens n’avaient pas de téléphone portable et 89 % n’avaient pas accès à l’eau courante). Il en résulte qu’on a sous les yeux, accessible immédiatement, le traitement dont pourrait bénéficier son enfant, son père, son proche mais que son lieu de résidence et sa condition rendent à jamais inenvisageable ce traitement. Et l’instantanéité décuple l’insoutenable.
Ces dernières années, l’action humanitaire a souvent été prise pour cible et devient même un levier d’action en cas de guerre. On se rappelle les tristement célèbres attaques d’hôpitaux ou de convois, telle que l’attaque de la maternité de Médecins sans frontière (MSF) à Kaboul en 2020 ou les bombardements de l’hôpital de Kunduz en 2015. Au total, c’est l’image même de l’humanitaire qui a changé. Ce n’est plus quelqu’un qui pouvait partir du jour au lendemain pour une durée indéterminée, une sorte d’Indiana Jones de la santé. Son héritier actuel est un médecin ou un paramédical qui est hyperconnecté et paradoxalement hyper-enchaîné à son quotidien. Se déplacer plusieurs semaines est devenu très difficile pour des raisons organisationnelles et souvent familiales (ça aussi a changé). Par ailleurs, l’enjeu n’est plus uniquement de partir en mission et de soigner mais au-delà de savoir structurer des projets complexes en partenariat avec les pays et les équipes concernés.
Un projet de chirurgie vasculaire en Afrique de l’Ouest
C’est dans ce contexte que le projet de chirurgie vasculaire en Afrique de l’Ouest est né. Pourquoi la chirurgie ? Parce qu’elle est essentielle ! En 2015, trois textes fondamentaux issus de la Banque mondiale, de l’OMS et du Lancet ont rappelé l’importance absolument fondamentale de l’accès à la chirurgie et à l’anesthésie et leur financement(6-8).
Cinq milliards d’individus n’ont pas accès à une chirurgie ni à une anesthésie de base dans le monde, dont 90 % qui vivent dans des pays en voie de développement. On estime que 143 millions de procédures chirurgicales supplémentaires chaque année sont nécessaires pour faire face à la demande. Trente-trois millions de foyers chaque année se mettent en faillite pour accéder à ou s’offrir une chirurgie de base. La Banque mondiale est formelle : investir dans la chirurgie est du domaine du faisable et est indispensable afin d’améliorer la qualité de vie de millions de personnes. À titre indicatif, le nombre de décès en 2014 dus à l’absence de prise en charge chirurgicale est estimé à 19 millions (soit 33 % des décès dans le monde). L’ensemble des décès la même année dus à l’association VIH-BK-malaria était inférieur à 5 millions.
Pourquoi le vasculaire ?
Parce que le vasculaire est au premier plan et devient une urgence sanitaire mondiale. L’épidémie mondiale de diabète et de sédentarité, l’alimentation non optimale, le tabagisme débuté de plus en plus jeune combiné à la situation démographique évoquée plus haut font que le nombre de patients est en train d’augmenter de façon incroyable dans certaines régions du monde. Et en regard, l’offre médicale n’est absolument pas au niveau. En France, nous sommes environ 500 chirurgiens vasculaires soit une offre comparable aux États-Unis et au Royaume-Uni où on compte environ 70 à 100 chirurgiens vasculaires pour 10 millions d’habitants. Il y en a 400 fois moins dans certains pays d’Afrique comme en Éthiopie(9). En 2021, on comptait environ 400 chirurgiens vasculaires en Inde pour 1,4 milliard d’habitants(4). L’examen de ces chiffres laisse pantois et complète le syllogisme qui fait de la prise en charge des pathologies vasculaires une urgence mondiale.
Parallèlement, la stratégie française en santé mondiale, en droite ligne avec celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) expose clairement la nécessité de tendre vers une couverture santé universelle et de considérer la santé à l’échelle mondiale(10). En d’autres termes, le sujet évoqué ici ne devrait sans doute pas paraître si éloigné de nos préoccupations quotidiennes car pour toutes les raisons évoquées précédemment l’ignorance, voire pire, l’indifférence vis-à-vis de ces problématiques pourraient avoir des conséquences majeures sur nos propres systèmes de santé.
Le projet PANAVASC
Ce projet vise à créer un bâtiment de chirurgie vasculaire à Dakar et bien plus. Le bâtiment est fondamental bien entendu. La CDE a déjà pu faire réaliser les plans de conception. Il serait équipé selon les derniers standards. L’ensemble des aspects en termes de capacité d’hospitalisation, de réanimation, de consultation ont été envisagés. Le choix de Dakar n’est pas anodin. L’équipe en place, pilotée par le Pr Ciss et le Pr Dieng, est reconnue dans la sous-région pour leur travail en chirurgie vasculaire et leur niveau d’excellence. Le versant médical n’est pas en reste avec le soutien du Pr Kane, qui collabore étroitement avec la Société française de médecine vasculaire (SFMV) et le Collège des enseignants de médecine vasculaire (CEMV). La stabilité politique du Sénégal est aussi un atout majeur.
Le premier objectif est le soin bien entendu
Aider cette équipe à mieux travailler et venir en appui sur certaines techniques qui méritent d’être développées, notamment endovasculaires, est indispensable. Un lien régulier est entretenu par la tenue de staffs mensuels ayant lieu depuis un an et demi, et réunissant les équipes de la sous-région (figure 1). Le reste du projet, vaste, s’articule en plusieurs volets qui sont orchestrés par un collectif qui associe médecins et chirurgiens vasculaires, paramédicaux, ingénieurs, sociétés savantes.
Figure 1. Projet PANAVASC : son organisation et ses missions.
Un volet de formation
Équiper ce bâtiment en ressources humaines adéquates. Ceci est envisagé à travers des échanges. La formation de certains candidats en France, comme actuellement à la Pitié-Salpêtrière grâce à un financement obtenu auprès des relations internationales de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Mais aussi par l’accueil sur place de candidats chirurgiens ou médecins vasculaires français pour une période donnée. Le bénéfice est bien bilatéral et l’on doit parler d’échange. Renforcer un centre, sorte de hub, qui saura à son tour essaimer à travers l’ensemble de la sous-région. C’est toujours la mise en œuvre du concept fondamental Nord-Sud puis Sud-Sud. Pour se faire, une formation validante impliquant les universités partenaires est envisagée et des discussions sont en cours à ce sujet. Les staffs, qui sont des moments d’échange et d’enseignement, contribuent à cet aspect de formation. L’expertise de la Chaîne de l'espoir dans ce domaine de travail à distance est grandement bénéfique*.
*https://www.chainedelespoir.org/fr/developpementdu-programme-echoes.
Un volet académique
Depuis un an et demi, une base de données existe et monte en puissance. Les patients dont les dossiers sont vus au cours des staffs sont inclus. En parallèle, les différents services effectuent une inclusion systématique des patients pris en charge sur certaines thématiques, comme la chirurgie de la carotide. Cette base répondra aux standards scientifiques et éthiques afin de produire des articles à partir de données multicentriques. Le rayonnement académique paraît indispensable au succès de ce projet et contribuera à rendre plus poreuse la barrière entre monde humanitaire et scientifique. Une interne de chirurgie vasculaire de l’APHP va effectuer son master 2 et se consacrer à cet aspect à partir de novembre 2024. L’appui reçu par des sociétés savantes, comme la SCVE et la SFMV, constitue un apport majeur et un gage de qualité scientifique.
Autre volet : l’innovation
Les ingénieurs biomédicaux de la CDE et ceux du Centre hospitalier universitaire (CHU) Fann de Dakar collaborent afin d’envisager un bâtiment et des circuits de soins qui soient éco-résilients, à la hauteur des défis climatiques que l’on ne peut plus ignorer désormais. C’est là une des expertises de la CDE qui a construit ou a été partie prenante dans de nombreux projets par le passé comme l’Hôpital français mère-enfants de Kaboul (French Medical Institute for mother and Children [FMIC]) ou encore le centre Cuomo à Dakar(11). L’innovation se fait également au niveau médical avec la mise en place d’activités endovasculaires de routine et de pointe qui seront progressivement intégrées au centre.
Le volet prévention
Ce volet est absolument crucial. Il devra être conduit en lien étroit avec les médecins vasculaires et sous leur supervision.
L’analyse exhaustive de la littérature permet d’identifier les besoins et l’état des lieux en Afrique en général, et en particulier au niveau de la sous-région Ouest. Le tableau récapitulatif en annexe en fait ressortir les éléments essentiels (tableau). L’hypertension et le diabète apparaissent comme les facteurs les plus importants et pour lesquels un programme de prévention dédié devra être déployé sur le territoire sénégalais au moyen d’actions communautaires. Un deuxième programme se focalisera sur l’atteinte cardiovasculaire de la femme qui, comme dans les pays occidentaux, est particulièrement vulnérable dans ce domaine.
Enfin un volet de financement et de santé publique
En effet, l’ensemble doit s’intégrer dans l’écologie locale, à savoir le plan national de développement sanitaire et social du Sénégal(12). Un montage financier est indispensable faisant appel aux bailleurs institutionnels et privés. Au total, ce projet nous fait sortir de la vision humanitaire classique pour tendre vers une collaboration entre pays du Nord et pays du Sud. Des problématiques finalement pas si éloignées et même incontournables auxquelles les chirurgiens vasculaires ont tout à fait vocation à s’intéresser. L’aventure ne fait que commencer.
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