C Demain
Publié le 25 mar 2024Lecture 12 min
Le chirurgien vasculaire et l’innovation : quel parcours ? (1re partie)
Yves ALIMI*, Frédéric MOURET**, *Professeur de chirurgie vasculaire, CHU Nord, Marseille ; cofondateur de Protomed et Bypass Solutions, **Ingénieur, cofondateur et CEO de Protomed et Bypass Solutions
Qui est le plus à même d’imaginer les solutions chirurgicales et endovasculaires de demain, si ce n’est le chirurgien vasculaire qui traite et surveille ces pathologies au quotidien ? Cependant, le développement d’un dispositif médical (DM) est un processus complexe, associé à des exigences strictes, permettant au final de proposer un produit efficace et sûr.
Dans ce premier article, nous présentons les différentes étapes allant de la formulation d’une idée jusqu’à la mise sur le marché du DM. Cet article sera suivi d’une 2e partie qui traitera des moyens nécessaires à la réussite du projet. Nous n’aborderons pas dans ces articles, les phases post-CE qui couvrent le suivi clinique après commercialisation, l’obtention d’un remboursement, etc., afin de nous concentrer sur le développement du dispositif et de son parcours.
L’innovation en chirurgie vasculaire. Illustration : -Joachim RAMOS-CLAMOTE (SCVE, 2023)
Avant de se lancer : définir son idée et la placer dans son contexte clinique et concurrentiel (1 à 2 mois)
Avant même de commencer à développer un nouveau DM, il faut comprendre que cela implique une parfaite connaissance de la problématique médicale concernée, appuyée sur une documentation et des recherches approfondies et associée à une veille scientifique. Il est essentiel :
– d’identifier les produits similaires ou équivalents existants déjà disponibles (ou à venir) sur le marché ;
– d’analyser comment les utilisateurs interagissent avec les produits similaires ;
– d’évaluer l’impact potentiel du produit sur la pratique actuelle ;
– d’évaluer les demandes des consommateurs (patients, chirurgiens, etc.) et établir les facteurs significatifs de différenciation du nouveau DM proposé, garantissant sa potentielle viabilité.
Il est ensuite nécessaire d’établir une stratégie de développement qui comprendra :
– une étude de marché : il faut évaluer le nombre potentiel d’utilisations annuelles de ce nouveau DM, en France, en Europe et au-delà. Cette étude permet d’établir la taille du marché visé, essentielle à la recherche de financements ;
– d’identifier les ressources nécessaires : il est important de travailler avec des personnes expérimentées en développement de DM, en qualité et en affaires réglementaires pour assurer une conformité complète à toutes les exigences ;
– de définir un plan de développement : il doit intégrer les délais de développement liés aux multiples itérations nécessaires, aux délais d’obtention des certifications et les ressources financières correspondantes, sous la forme d’un business plan (tableau 1).
Phase 0 : faisabilité technique et preuve de concept (6 à 12 mois)
Sur la base d’un premier cahier des charges qui permet de définir les détails souhaités du nouveau DM envisagé, et établi idéalement avec l’aide des professionnels concernés (ingénieurs, praticiens, etc.), il est temps de réaliser une maquette du nouveau DM. On peut partir de tout et de rien pour cette 1re étape : matériau de récupération, éléments de maquette d’objets miniatures, utiliser des produits déjà sur le marché et les transformer afin qu’ils se rapprochent de votre idée quand cela est possible, etc. Vous pouvez aussi réaliser un modèle numérique grâce à des logiciels de CAO (conception assistée par ordinateur) adaptés, puis prototyper votre DM pour en faire un objet physique (grâce notamment aux imprimantes 3D, injection de silicone, découpes et soudures au laser, etc.) qui pourra ensuite être testé, même s’il n’est pas à sa taille réelle définitive.
Des tests sur bancs d’essai simples, spécifiquement conçus pour s’adapter à votre modèle, mais suffisamment réalistes (par exemple : circuit de liquide à 37°, avec rhéologie proche du sang, circulant grâce à une pompe reproduisant un flux continu ou pulsé pouvant varier de 80 à 200 mmHg, et comprenant une zone d’implantation du nouveau DM dans un tissus biologique adapté [tubes de silicone, aortes de porcs ou brebis d’abattoirs, etc.]) doivent être assez discriminants pour évaluer les caractéristiques de votre DM et son système de largage. Ils doivent vous permettre de faire évoluer votre DM en réalisant de multiples itérations de manière rapide et peu coûteuse (figure1).
Figure 1. Déploiement d’un nouveau dispositif médical sur un banc d’essai adapté : ponction d’une aorte abdominale de porc placée sur un banc comprenant une pompe assurant un flux continu de 80 à 200 mmHg, et véhiculant un liquide à 37 °C, avec des valeurs rhéologiques proche du sang.
Le but est d’aboutir à des tests favorables qui doivent permettre d’obtenir une preuve de concept, sous la forme d’un prototype dont la conception et les matériaux sont standardisés. Cette preuve de concept devra être confirmée au cours d’essais in vivo en aigu ou chronique suivant l’avancement du prototype.
C’est alors que commence réellement le développement du DM qui est normalisé par l’ISO 13485:2016.
Phase 1 : données d’entrée de conception (3 à 6 mois)
C’est une première étape de formalisation pour le développement DM : il s’agit de transcrire les travaux préliminaires et de déterminer la classe du dispositif médical, en suivant les exigences de l’article 51 et l’annexe VIII du Règlement européen relatif aux dispositifs médicaux RDM 2017/745 (encadré).
Un plan de développement doit être mis en place afin de présenter toutes les étapes qui permettront de démontrer la sécurité et l’efficacité du produit, et cette démonstration devra être réalisée en regard des exigences de design que vous avez établi pour votre DM. Ces exigences de design sont à développer avec beaucoup d’attention et basées sur le besoin de l’utilisateur (et/ou patient).
Une analyse des risques liés à l’utilisation de ce nouveau DM doit être démarrée afin d’anticiper les risques liés au DM dans le cadre normal de son utilisation, mais aussi en cas de défaillance (tableau 2). Les risques liés à son ergonomie doivent aussi être soigneusement étudiés. Dans cette phase préliminaire de développement, il sera impossible d’avoir toutes les réponses et cette évaluation des risques sera améliorée au fur et à mesure du développement jusqu’au marquage CE, qui devra démontrer que tous les risques sont maîtrisés et que les risques résiduels sont acceptables au regard des bénéfices attendus.
Phase II : données de sortie de conception (12 à 18 mois)
Dans cette phase, il s’agit réellement de concevoir, puis de fabriquer le DM et son système de pose, dans sa forme définitive, avec des matériaux biocompatibles et, le cas échéant, compatible avec le contact sanguin. Chaque sous-traitant doit être sélectionné selon ses capacités à disposer des matériaux, du savoir-faire et des autorisations règlementaires, pour produire tout ou partie de l’ensemble. Après validation de chacune des parties, l’assemblage est réalisé en salle blanche, suivi de la production d’un packaging adapté et d’une stérilisation règlementaire.
Cette longue période doit être coordonnée par une équipe d’ingénieurs et de chirurgiens, capable d’envisager ensemble les solutions et les compromis nécessaires entre ce qui est médicalement justifié et ce qui est techniquement et financièrement possible.
On considère généralement deux étapes :
– une étape permettant d’arriver à un « design freeze », c’est-à-dire une conception qui semble répondre aux spécifications du DM et se comporter tel qu’attendu. Lors de cette 1re étape, les changements de design peuvent encore être nombreux ;
– une étape de « production pilote », c’est-à-dire un produit fabriqué dans des conditions « industrielles », avec des changements à la marge, très contrôlés et généralement liés à l’industrialisation du produit. Ce sont les produits issus de cette production pilote qui seront utilisés dans les phases suivantes et qui doivent être représentatifs du futur produit commercialisé.
Toute autre modification devra alors être soigneusement étudiée et des études d’impact seront nécessaires pour évaluer le risque lié à la modification.
Phase III : vérification et validation (3 à 4 ans)
Pour atteindre l’étape de certification, il est indispensable de démontrer la performance et la sécurité de votre innovation. Cela passe par la phase de vérification et validation (V & V).
La vérification consiste à confirmer par des preuves tangibles que les exigences spécifiées ont été satisfaites (ISO 9000:2005 – § 3.8.4) et la validation consiste à confirmer par des preuves tangibles que les exigences pour une utilisation spécifique ou une application prévues ont été satisfaites (ISO 9000:2005 – § 3.8.5). En d’autres termes, la vérification va comparer les résultats obtenus avec ce qui a été initialement prévu, comparer les données de sortie aux exigences exprimées en entrée. La validation est plus orientée utilisation, il faut établir que le résultat d’une activité répond au besoin du destinataire final. On comprend donc l’importance de la phase I qui va fixer les critères qui permettront d’évaluer les données de sorties (produits) de la phase II lors de cette étape de V & V.
On retrouvera dans cette étape des essais mécaniques, chimiques, électriques, fonctionnels, l’évaluation de la biocompatibilité, du packaging, des effets du vieillissement, du transport du produit, la qualification de la stérilité (le cas échéant du DM), l’aptitude à l’utilisation, etc., mais aussi les éventuelles études sur l’animal, puis l’homme.
Des études sur animal vivant sont souvent nécessaires et doivent être réalisées dans des centres agréés, après acceptation d’un protocole d’étude par un comité d’éthique animal, régi par les services vétérinaires (Directive européenne 86/609/CEE). Cependant, seules les expérimentations animales réalisées dans des centres conformes aux bonnes pratiques de laboratoires (BPL) seront considérées par les tutelles d’homologation. Il est aussi possible d’envisager des travaux sur cadavres au sein d’un laboratoire de thanatopraxie d’une faculté de médecine, après soumission et accord d’un protocole soumis à un comité d’éthique, en lien avec l’Agence de biomédecine. De plus, certaines facultés disposent du système Simlife (https://abslab.labo.univpoitiers.fr), qui permet d’établir une circulation sanguine pulsée et à 37° dans un cadavre frais.
Enfin, les essais cliniques seront peut-être nécessaires (à déterminer en fonction des résultats de l’analyse de risques liée au produit). En France, la recherche clinique est encadrée depuis 1988 par la Loi Huriet-Sérusclat. Elle organise, sécurise les essais, protège et informe les patients en spécifiant le rôle des différents acteurs et les droits des patients dans les essais. Les essais cliniques – impliquent plusieurs acteurs :
– le promoteur (souvent la société qui développe le DM) qui propose le nouveau dispositif et assure son financement. Il est responsable devant les autorités administratives du bon déroulement de l’essai et de la diffusion de toute information relative à la sécurité des personnes se prêtant à la recherche ;
– l’investigateur(le clinicien) qui informe le client et réalise le geste thérapeutique. Il est responsable du déroulement de l’essai et du respect des bonnes pratiques cliniques, du recueil des informations et de l’archivage des données dans son centre ;
– le patient qui choisit ou non de participer à l’essai.
Afin de réaliser l’étude, le promoteur soumet son protocole avec les éléments techniques nécessaires à l’évaluation de la sécurité et des performances attendues du dispositif à un Comité de protection des personnes (CPP), ainsi qu’à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui doit délivrer une autorisation.
Dès que les résultats obtenus permettent d’évaluer la sécurité et la performance du dispositif, le fabricant de l’innovation peut entreprendre les démarches d’obtention du marquage CE en Europe, et/ou du FDA approval aux États-Unis. Il s’agit d’un long processus (2 à 3 ans) dont les modalités dépendent en particulier de la classe du DM (I, II a, II b ou III). Pour le marquage CE, le fabricant doit choisir un organisme notifie (bsigroup.com, Ine-gmed.com, tuv.com, etc.) qui l’accompagne dans sa démarche de certification, en procédant à l'évaluation des données scientifiques, biologiques ou cliniques et en réalisant les examens, essais et audits nécessaires.
Les études cliniques peuvent se poursuivre au-delà de l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) notamment dans le cadre de la surveillance après commercialisation du dispositif.
Phase IV : transfert
Une fois le marquage CE et/ou de la FDA obtenu(s), le DM est prêt à entrer sur le marché. Le transfert de conception, réalisée en parallèle de la production pilote et du V & V, est une étape-clé dans la mise en place de la documentation, et doit permettre de rassembler et rédiger la totalité de la documentation de fabrication du produit :
– identification complète de tous les composants, de leurs spécifications et de leurs fournisseurs ;
– détermination de la totalité des étapes de fabrication et d’assemblage ;
– détermination des contrôles en cours et en sortie de fabrication.
Ce document s’appelle un « Device Master Record » et rassemble tout ce que vous devez savoir et faire pour fabriquer et contrôler le produit.
Cette phase permet de constituer aussi le dossier réglementaire avec les notices, les étiquettes, la documentation commerciale et à destination des patients, les rapports de V & V, les documents techniques de conception et de fabrication, les plans de suivi clinique postcommercialisation (PMCF) et la surveillance postcommercialisation (PMS) afin de garantir la sécurité, les performances et la durabilité continues du produit, etc. Elle permet de garantir que les produits, qui seront fabriqués une fois le produit commercialisé, seront bien strictement identiques à ceux qui ont permis la mise sur le marché.
Deux exemples de start’up innov antes: Bypass Solutions et PrediSurge (figures 2 et 3)
Bypass Solutions(4)
Bypass Solutions (figure 2) développe le Clampless 2 qui permet de réaliser des anastomoses latérales vasculaires, sans clampage et sans suture. Les objectifs sont de diminuer significativement le temps opératoire, de réduire les durées d’hospitalisation et les taux de complications. De plus, ce dernier permettra d’étendre les indications aux patients à risque (âge, comorbidités). Approche hybride entre les techniques endovasculaires et chirurgicales conventionnelles, la technologie est couverte par 4 brevets développés avec les hôpitaux de Marseille. Elle simplifie la réalisation d’une anastomose latéroterminale entre une prothèse en PTFE et l’axe artériel iliofémoral, et consiste en un stent auto-expansible couvert dont la partie distale est invaginée sur elle-même, et placé en « T » avec une prothèse en PTFE.
La première indication visée est le pontage fémoropoplitée, mais d’autres indications de pontage ou d’accès vasculaires sont aussi étudiés. Le dispositif est en cours de développement.
Figure 2. Bypass Solutions développe le système Clampless 2 (A) qui permet la réalisation d’une anastomose artérielle latérale (B : ici sur l’aorte abdominale du porc) sans clampage, ni suture.
Pour en savoir plus : yves.alimi@ap-hm.fr ou f.mouret@bypass-solutions.com
PrediSurge
PrediSurge développe des solutions logicielles prédictives (figure 3) pour les interventions cardiovasculaires, permettant aux médecins d’améliorer la planification des procédures et aux entreprises Medtech d’accélérer la conception de dispositifs médicaux.
Basée sur l’imagerie préopératoire, la technologie PrediSurge permet de créer des jumeaux numériques spécifiques à chaque patient. Ces modèles numériques, basés sur l’anatomie du patient, simulent le comportement biomécanique des artères et des valves.
Dans un contexte clinique, ces jumeaux numériques sont ensuite utilisés pour simuler des interventions, permettant aux médecins d’optimiser leurs stratégies, de choisir une prothèse adaptée à chaque patient et d’anticiper les complications per- et postopératoires potentielles.
Dans un contexte industriel, la technologie PrediSurge peut accélérer le développement de dispositifs médicaux innovants, en proposant une solution de tests virtuels de plusieurs designs de dispositifs, afin de réduire les coûts et d’identifier les risques potentiels à chaque étape du processus de développement.
Figure 3. PrediSurge développe des solutions logicielles prédictives pour les interventions cardiovasculaires, permettant d'améliorer la planification des procédures et d'accélérer la conception de dispositifs médicaux.
Pour en savoir plus : jnalbertini@gmx.fr
Quelle innovation peut être portée ? L’innovation n’est pas forcément le développement d’un produit, il peut aussi être un service à destination de nos confrères, patients ou industriels. Voici deux exemples présentant des produits et services très différents.
Conclusion
Si le chemin de l’idée au marquage CE est passionnant, il est important de savoir qu’il est long et donc coûteux. Les étapes médicales et celles établies par le législateur sont multiples avant d’aboutir à une innovation sûre et réglementairement validée. Dans un 2e article à venir, nous aborderons les moyens à mobiliser pour pouvoir financer le projet.
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