Publié le 30 déc 2024Lecture 6 min
Faut-il prescrire des inhibiteurs de SGLT2 après un infarctus du myocarde avec dysfonction ventriculaire gauche ?
Étienne PUYMIRAT, département de cardiologie, Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris
Les bénéfices cliniques des inhibiteurs de SGLT2 (iSGLT2) après un infarctus du myocarde avec dysfonction ventriculaire gauche n’ont pas encore été clairement démontrés. Deux essais cliniques majeurs ont démontré les bénéfices cardiovasculaires des iSGLT2 (dapagliflozine et empagliflozine) chez les patients présentant une insuffisance cardiaque chronique avec une fraction d’éjection réduite.
L'étude Dapagliflozin and Prevention of Adverse Outcomes in Heart Failure (DAPA-HF) a évalué l’effet de la dapagliflozine chez 4 744 patients atteints d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite, avec ou sans diabète de type 2, et a montré que la dapagliflozine en plus du traitement standard réduisait la survenue d’insuffisance cardiaque et/ou des décès cardiovasculaires de 26 % (HR : 0,74 ; IC95% 0,65 à 0,85 ; p < 0,001)(1). Ces résultats ont été retrouvés de façon similaire chez les patients diabétiques et non-diabétiques (HR : 0,75, IC95% 0,63-0,90 et HR : 0,73, IC95% 0,60-0,88, respectivement)(2). L’étude Empagliflozin Outcome Trial in Patients with Chronic Heart Failure and a Reduced Ejection Fraction (EMPERORReduced) a évalué l’effet de l’empagliflozine chez 3 730 patients atteints d’insuffisance cardiaque chronique avec une fraction d’éjection réduite, avec ou sans diabète de type 2, et a montré que l’empagliflozine réduisait le risque d’insuffisance cardiaque et/ou des décès cardiovasculaires de 25 % (HR : 0,75 ; IC95% 0,65 à 0,86 ; p < 0,001)(3). L’effet de l’empagliflozine sur le critère d’évaluation principal était homogène, quel que soit le sous-groupe (notamment diabétique/non-diabétique).
Plusieurs mécanismes distincts permettent d’expliquer les effets cardioprotecteurs des iSGLT2(4-7) : 1) l’amélioration des conditions de charge ventriculaire secondaire à la réduction de la précharge (médiée par la diurèse osmotique et la natriurèse) et de la postcharge (potentiellement produite par l’abaissement de la pression et de la rigidité artérielles) ; 2) l’utilisation de substrats énergétiques plus performants (les cétones cardiaques, en particulier le β-hydroxybutyrate) ; 3) l’inhibition directe de l’échangeur sodium/hydrogène (Na+/H+) dans le myocarde, entraînant une réduction (ou une inversion) des lésions cardiaques, de l’hypertrophie, de la fibrose, du remodelage et de la dysfonction systolique ; 4) la réduction de la masse du ventricule gauche et l’amélioration de la fonction diastolique par l’inhibition de la fibrose cardiaque ; 5) l’amélioration de la fonction endothéliale ; et, 6) la stimulation d’une sécrétion accrue de glucagon, qui améliore potentiellement les performances cardiaques en augmentant l’index cardiaque et la disponibilité du « carburant » ou en diminuant les résistances vasculaires périphériques(7). Enfin, la protection rénale conférée par les iSGLT2 est également pertinente pour tous les patients atteints d’insuffisance cardiaque(7).
De façon surprenante, les iSGLT2 n’ont pas démontré d’intérêt sur la survenue des événements cardiovasculaires majeurs chez les patients pris en charge pour un infarctus du myocarde avec dysfonction ventriculaire gauche. L’étude DAPA-MI a évalué l’efficacité et la sécurité de la dapagliflozine (versus placebo) chez 4 017 patients non-diabétiques et sans insuffisance cardiaque chronique connue (dont 72 % avec sus-décalage du segment ST)(8). Une analyse par win ratio a été utilisée en prenant en considération les événements suivants : décès, hospitalisation pour insuffisance cardiaque, infarctus du myocarde non fatal, fibrillation auriculaire/flutter, apparition d’un diabète de type 2, évolution de la classification fonctionnelle de la New York Heart Association (NYHA), diminution du poids corporel de 5 % (ou plus). Les résultats de cette étude sont en faveur de la dapagliflozine, mais uniquement sur des critères cardiométaboliques (win ratio : 1. 34 ; IC95%, 1,20 à 1,50 ; p < 0,001). Les taux d’événements cardiovasculaires étaient faibles et les différences entre les groupes n’étaient pas statistiquement significatives. L’étude EMPAgliflozin on Hospitalization for Heart Failure and Mortality in Patients with aCuTe Myocardial Infarction (EMPACT-MI) a évalué l’efficacité et la sécurité de l’empagliflozine par rapport au placebo chez 3 260 patients ayant présentés un infarctus du myocarde dans les 14 jours précédents (dont 75 % avec sus-décalage du segment ST) avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) de moins de 45 % et à risque de développer une insuffisance cardiaque (avec des critères d’enrichissement prédéfinis)(9). Le traitement par empagliflozine n’a pas montré de réduction du risque de survenue du critère d’évaluation principal (première hospitalisation pour insuffisance cardiaque et/ou décès toutes causes confondues) par rapport au placebo (5,9 % contre 6,6 % ; HR : 0,90 ; IC95%, 0,76 à 1,06). De même, les taux des principaux événements secondaires n’ont pas différé de manière significative entre les deux groupes. Aucun problème de sécurité n’a été identifié dans les deux essais. Tout ceci suggère donc que les iSGLT2 peuvent être prescrits sans crainte après un infarctus du myocarde avec dysfonction ventriculaire gauche, même si le bénéfice clinique dans ce contexte spécifique n’est pas clairement établi. La récupération de la fonction ventriculaire gauche au cours des premières semaines chez la majorité de ces patients pourrait expliquer l’absence de bénéfice clinique.
Préalablement, l’essai EMMY (Impact of Empagliflozin on Cardiac Function and Biomarkers of Heart Failure in Patients with Acute Myocardial Infarction) avait démontré que les patients ayant reçu de l’empagliflozine après un infarctus du myocarde avaient des concentrations réduites de peptides natriurétiques, une discrète amélioration de la FEVG et une réduction modeste des volumes cardiaques(10). Cet essai n’a toutefois pas été conçu pour évaluer les évènements cliniques. Cependant, ces données suggèrent que les iSGLT2 pourraient améliorer la fonction cardiaque et réduire ainsi le risque d’événements cardiovasculaires majeurs au long cours.
Les patients dont la FEVG est réduite à la suite d’un infarctus du myocarde sont exposés à un risque de remodelage cardiaque négatif pouvant conduire au développement d’une insuffisance cardiaque et au décès. L’ajout précoce d’un iSGLT2 au traitement standard pourrait retarder ou prévenir ce remodelage défavorable chez ces patients. L’essai EMpagliflozin to PREvent worSening of left ventricular volumes and Systolic function after Myocardial Infarction (EMPRESS-MI) a évalué l’effet de l’empagliflozine sur le remodelage cardiaque par IRM chez 105 patients présentant un infarctus du myocarde avec altération de la FEVG(11). Le critère de jugement principal, défini par le changement de l’indice du volume d’endosystole ventriculaire gauche à 24 semaines, n’a pas montré de différence significative entre les deux groupes (empagliflozine : -8,3 ± 13,5 mL/m2 ; placebo : -7,8 ± 16,3 mL/m2 ; différence : 0,3 mL/m2 ; IC95% -5,2 à 5,8 ; p = 0,92). En outre, aucune différence significative n’a été observée entre l’empagliflozine et le placebo dans les résultats secondaires, y compris l’indice de volume de fin de diastole du ventricule gauche et la FEVG.
Enfin, l’étude DAPA PROTECTOR évalue actuellement l’efficacité de la dapagliflozine (versus placebo) sur la fonction systolique et le remodelage ventriculaire gauche en échocardiographie à 6 mois chez 450 patients présentant un infarctus du myocarde avec une FEVG < 45 % (figure 1 ; NCT05764057). Deux critères permettront d’évaluer les facteurs prédicteurs indépendants et puissants de la mortalité après un infarctus : 1) la fonction systolique, mesurée par l’évolution de la FEVG entre le début de l’étude et le sixième mois (± 1 mois) et 2) le remodelage ventriculaire gauche, évalué par l’évolution du volume atrial (LAV) entre le début de l’étude et le sixième mois (± 1 mois).
Figure 1. Étude DAPA PROTECTOR.
À la question « faut-il prescrire des iSGLT2 après un infarctus du myocarde avec dysfonction ventriculaire gauche ? », aucun essai clinique n’a démontré à ce jour de bénéfices cliniques évidents. L’intérêt d’une introduction précoce des iSGLT2 en post-infarctus chez ces patients est donc discutable, d’autant qu’une grande partie d’entre eux retrouveront une fonction ventriculaire gauche quasi normalisée à trois mois. L’introduction d’un iSGLT2 pour les patients présentant toujours une dysfonction ventriculaire gauche lors de cette réévaluation à 3 mois est alors justifiée (recommandation de niveau IA). Il ne semble pas délétère d’attendre ce délai pour introduire un iSGLT2. En revanche, pour les patients chez qui un iSGLT2 a été introduit lors de l’hospitalisation (en raison d’une dysfonction ventriculaire gauche), mais qui ont depuis normalisé leur FEVG, la poursuite de ce traitement au long cours doit être rediscutée, notamment en l’absence de diabète, d’insuffisance rénale ou d’insuffisance cardiaque.
Liens d’intérêts (activités d’expertises, de conseils et de formation) : Abbott, Amgen, AstraZeneca, BMS, Bayer, Biotronik, Boehringer Ingelheim, MSD, Novartis, Pfizer, Sanofi, Saint Jude Medical, Servier, Vifor Pharma.
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