Coronaires
Publié le 30 déc 2024Lecture 12 min
L’ischémie myocardique en dépistage de maladie coronaire chez le patient vasculaire
Ali SHARAREH, Clinique Saint-Joseph, Angers, à partir des communications du Pr Meyer Elbaz, du Dr Serge Kownator et du Pr Nicolas Danchin, CNCF 2024
Les pathologies vasculaires périphériques sont fréquentes. Elles regroupent les artériopathies oblitérantes des membres inférieurs (AOMI), des sténoses carotidiennes, des sténoses des artères rénales, digestives ainsi que les maladies vasculaires aortiques de type anévrismal.
Ces pathologies sont associées à une majoration conséquente du risque cardiaque et aussi vasculaire multiplié par 4 à 5. De ce fait des stratégies préventives intensives sont nécessaires, et ce, d’autant plus que ces pathologies sont souvent sous-diagnostiquées et donc sous-traitées(1). De plus, il existe une longue phase de latence importante caractérisée par une ischémie silencieuse.
Chez qui rechercher l’ischémie ?
Hertzer(2) dans son étude réalisée en 1984, a trouvé un taux important de coronaropathie significative en réalisant une coronarographie systématique en pré opératoire d’une chirurgie vasculaire.
Des données plus récentes de la CNAM (figure 1) montrent, en France, un taux élevé de syndrome coronaire chronique (SCC) de 30 % chez les patients atteints d’une AOMI.
Figure 1. Comorbidités chez les patients atteints d’une AOMI.
Le patient présentant une sténose carotidienne a un risque d’atteinte coronaire significative entre 39 et 60 %. Ce taux varie de 25 à 70 % en cas d’AOMI(3).
Autrement dit, presque un patient vasculaire sur deux est un coronarien d’après Serge Kownator.
La figure 2 illustre la prévalence des différentes pathologies chez le polyvasculaire.
Figure 2. Caractéristiques des patients polyvasculaires. D’après Aboyans V et al. Eur Heart J 2018. ©ESC 2017.
Les facteurs de risque sont multiples et similaires à ceux de la maladie coronaire, représentés surtout par le tabagisme et le diabète.
Certaines caractéristiques augmentent encore le niveau du risque, telles qu’un niveau social défavorisé et/ou une atteinte psychologique.
L’artériopathie oblitérante périphérique est répandue dans le monde et touche 113 millions de personnes âgées de 40 ans et plus, dont 42,6 % dans les pays ayant un indice sociodémographique faible à moyen(1).
La prévalence mondiale est de 1,52 %. Elle augmente avec l’âge (14,91 % chez les 80-84 ans) et dans la même tranche d’âge plus élevée chez les femmes à 18,03 % versus 10,56 % chez les hommes(1).
Les différentes études ont montré un pronostic péjoratif chez les patients polyvasculaires. Ainsi, dans le registre Reach(4) un patient avec AOMI et une atteinte coronaire a un risque d’événement cardiovasculaire de plus de 23 % à un an. Ce risque se majore à plus de 26 % en cas d’attente cérébrovasculaire associée. Le constat est le même dans l’essai Euclid(5). La population atteinte d’une sténose carotidienne décède par ailleurs le plus souvent de la maladie coronaire ; Serge Kownator conclut que la sténose carotidienne est un marqueur de risque coronaire.
La prévalence des patients avec anévrisme de l’aorte abdominale (AAA) et une maladie coronaire est de 40 %. Il s’agit souvent de patients asymptomatiques avec un risque deux fois plus élevé par rapport aux patients sans AAA(6).
Nous savons donc que presque un patient vasculaire sur deux est un patient polyvasculaire dont le risque se majore en fonction du nombre de lits artériels atteints(1).
On rencontre ces patients soit au cours de leur suivi habituel, soit en préopératoire d’une chirurgie non cardiaque. Faut-il rechercher une coronaropathie surtout en préopératoire d’une chirurgie vasculaire ?
Les recommandations préconisent cette recherche, si le patient est symptomatique ou instable (classe I C) en appuyant sur l’optimisation de la prise en charge. Mais la recherche systématique de la maladie coronaire n’est pas recommandée (classe III C).
L’indication d’une coronarographie ou de revascularisation en préopératoire suit les mêmes règles qu’en dehors du contexte chirurgical (IC) ; basée sur les lignes directrices des recommandations de l’ESC 2022 (tableau 1) sur la prise en charge des patients subissant une chirurgie non cardiaque(1).
Faut-il rechercher une atteinte coronaire chez les patients devant être opérés d’un AAA ? L’étude CARP a montré que, chez ces patients, la revascularisation n’améliorait pas le pronostic(7).
Les recommandations précisent que, chez les patients devant être opérés d’une endartériectomie carotidienne, la recherche de la coronaropathie, y compris par une coronarographie, pourrait être envisagée (IIb-B). Le calendrier de la revascularisation est discuté en fonction de la clinique et la gravité de l’atteinte de chaque territoire.
La revascularisation myocardique est généralement prioritaire, sauf en cas d’événement neurologique récent ou présence de symptômes jugés instables(1).
Environ 25 % des patients atteints d’une AOMI décèdent dans les cinq ans, souvent d’une atteinte cardiaque ; d’où l’importance de la recherche de l’Ischémie myocardique. Étant donné les taux élevés d’événements coronariens chez les patients atteints d’AOMI, le dépistage peut être utile pour optimiser la prise en charge globale et n’a pas pour but d’augmenter le taux de revascularisation(1).
Cette démarche a pour but de dépister l’ischémie et prévenir les événements cardiovasculaires.
Il n’y a pas, en revanche, à ce jour de recommandations précises quant aux modalités et au moment pour entamer une telle démarche. De plus, certaines comorbidités, comme l’insuffisance rénale et une bronchite chronique, limitent l’accès aux examens complémentaires.
Comment rechercher l’ischémie ?
Les patients atteints d’un SCC forment une population hétérogène. Certains sont symptomatiques en lien avec l’existence d’une lésion significative ; d’autres peuvent avoir une anomalie spastique ou de la microcirculation dont nous pouvons désormais en évaluer l’existence lors d’une coronarographie. Il est à noter que cet examen n’explore que 5 % de la circulation coronaire totale, comme le précise Meyer Elbaz. Figure 3
Atteinte microcirculatoire et vasospasme fréquent.
La coronarographie n’explore que 5 % de la circulation totale
Figure 3. Circulation coronaire.
Dans sa méta-analyse, Mileva(8) trouve environ 40 % d’anomalie de la microcirculation et 41 % de spasme chez des patients symptomatiques présentant un angor. Les modalités de la recherche d’une ischémie myocardique sont les mêmes chez le patient sans atteinte vasculaire ou en présence d’une maladie artérielle périphérique.
Les recommandations de l’ESC montrent des différentes étapes de la recherche d’une coronaropathie chez le patient symptomatique passant par une phase clinique d’évaluation des symptômes et les FDR, l’ECG et la biologie, puis évaluation de la probabilité pré-test de la maladie coronaire, ensuite choix de l’examen paraclinique pour rechercher l’ischémie et déterminer le risque d’événements cardiovasculaires. Il faudra ajuster cette estimation pré-test en prenant en compte également la survenue de troubles de rythme ventriculaire, l’existence d’une maladie artérielle périphérique ou par la réalisation d’un score calcique chez les patients à risque intermédiaire. Le score calcique est bien corrélé à la survenue des événements cardiovasculaires.
Il faut se rappeler que la probabilité pré-test de la maladie coronaire chez le patient artériel est élevée. Les renseignements fournis par des tests morphologiques et des tests fonctionnels d’évaluation d’ischémies sont complémentaires.
Dans l’essai ISCHEMIA(8), il n’y avait que deux tiers de la population de l’étude qui présentaient à la fois une lésion coronaire significative et une ischémie démontrée.
Le coroscanner est proposé en cas de test de dépistage douteux ou lorsque le test d’ischémie est difficile à réaliser chez des patients à probabilité intermédiaire de la maladie coronaire. L’étude TRIAL CRESCENT(9) compare le scanner coronaire au test d’ischémie et montre que le scanner coronaire (précédée d’un score calcique dans cette étude) prédit mieux la probabilité de la survenue d’un IDM.
Le résultat de l’étude multicentrique SCOT HEART (4 146 patients avec une douleur thoracique stable) comparant une stratégie diagnostique standard versus cette stratégie avec coroscanner corrobore ce constat(10). Le Promise Trial confrontant le test ischémie et le scanner, montre aussi que le scanner coronaire fait mieux en termes de prédiction de la survenue des événements ischémiques(11).
Ces études récentes placent le coroscanner comme une bonne stratégie alternative au test d’ischémie. Cela n’est pas forcément confirmé par les métaanalyses(12), car la spécificité du scanner est inférieure à celle des tests d’ischémie d’après Meyer Elbaz.
Que disent les recommandations ?
Chez le patient symptomatique, avec une probabilité pré-test faible ou modérée ; les recommandations préconisent la réalisation d’un score calcique suivi éventuellement d’une injection coronaire.
Plus la probabilité pré-test augmente, plus la balance de l’ischémie par rapport à la survenue d’événements aigus augmente. Dans ce cas, une imagerie fonctionnelle peut être proposée.
Le recours à la coronarographie (combinée à l’évaluation fonctionnelle per procédure) est conseillé en cas :
– d’une probabilité pré-test supérieure à 85 % ;
– de la mise en évidence d’une ischémie étendue ;
– ou en cas d’atteinte du tronc commun coronaire gauche (TCCG) et/ou de l’IVA proximale à l’imagerie.
Il est à noter que le choix du test d’ischémie, basé sur la clinique et la probabilité pré-test, est conditionné en réalité également par la disponibilité et l’expertise locale ainsi que par les caractéristiques du patient.
Chez le patient vasculaire, les comorbidités, telles que l’insuffisance rénale et les calcifications coronaires peuvent limiter le recours aux examens utilisant les produits de contraste ainsi que leur performance. L’atteinte parenchymateuse pulmonaire pourrait rendre difficile l’interprétation d’un test de stress échographique.
Le scanner paraît actuellement être un outil non invasif prometteur. Il combine l’imagerie (avec possibilité d’évaluation des composants de la plaque athéromateuse), et une approche fonctionnelle complémentaire. La question de l’évaluation d’un patient atteint d’une pathologie vasculaire et donc à très haut risque, mais asymptomatique sur le plan coronaire, n’a pour le moment pas de réponse, conclut Meyer Elbaz.
Que faut-il faire en présence de l’ischémie ?
Il n’y a pas de recommandation spécifique dédiée aux patients vasculaires. La conduite à tenir en cas de présence d’ischémie serait la même que chez le patient indemne de pathologie vasculaire périphérique.
Les objectifs de la prise en charge d’un SCC consistent à soulager les symptômes, améliorer l’espérance et la qualité de vie et diminuer le risque d’IDM. L’appréciation des symptômes peut être subjective. Ainsi, dans les études comparant le traitement médicamenteux et l’angioplastie, la prévalence de l’angor varie de manière conséquente de 18 à 61 % dans le bras du traitement par angioplastie et de 28 à 71 % dans le bras du traitement médicamenteux. Tableau 2
Dans le registre Clarify incluant 31 000 patients atteints d’un SCC, 22 % avaient un angor au départ de l’étude alors qu’un an plus tard, la moitié se dit asymptomatique et deux tiers sont indemnes d’angor cinq ans plus tard(13).
Dans 84 % en cas de disparition de l’angor, il n’y avait aucune modification thérapeutique. Cela pourrait être expliqué par le développement d’une circulation collatérale.
Nous trouvons les mêmes constats dans l’étude ISCHEMIA(14), mais surtout après la revascularisation. Le bénéfice de la revascularisation est d’autant plus important que le patient est sévèrement symptomatique. Les études randomisées, comparant l’angioplastie et le traitement médicamenteux chez les patients souffrant d’un angor stable, n’ont pas montré de différence significative en termes de mortalité et de la survenue d’un IDM. Ces essais sont réalisés en ouvert.
Pour mener une étude en double aveugle, les investigateurs de l’essai ORBITA(15) ont simulé une angioplastie (procédure factice) chez une partie des patients afin d’évaluer l’impact réel du traitement interventionnel versus l’effet placebo.
Le critère primaire de cette étude, source de controverse, était l’évaluation de la performance à l’effort, basée sur une différence de 30 secondes du temps d’exercice entre les deux groupes. Nicolas Danchin signale qu’il s’agit d’un mauvais critère d’évaluation, utilisé dans plusieurs études avec des différences importantes d’une série à l’autre. Faut-il estimer qu’une différence de 30 secondes lors du test d’effort pourrait traduire une différence cliniquement significative ?
Après six semaines de suivi précédé d’une optimisation du traitement médicamenteux, l’angioplastie, réalisée chez ces patients monotronculaires, n’a pas prouvé de supériorité jugée à partir de la durée du test d’effort. La différence de 16,6 secondes entre les deux groupes n’était pas significative. Il y avait en revanche moins d’ischémie résiduelle évaluée par l’échographie de stress chez les patients traités par l’angioplastie (objectif secondaire).
Dans l’ORBITA 2(16), les investigateurs ont souhaité évaluer l’effet propre de l’angioplastie sur les symptômes chez des patients mono (80 % des patients) ou pluri-tronculaires ne recevant pas de traitement médicamenteux. Le traitement antiangineux a été donc supprimé quelques semaines avant la randomisation et le résultat est sans surprise, démontrant une amélioration fonctionnelle à 12 semaines en cas de revascularisation (par rapport à l’absence de traitement). Cet essai confirme donc l’efficacité de l’angioplastie comme un traitement en première intention en termes de réduction des symptômes par rapport au placebo chez des patients sans aucun traitement.
Nous pouvons nous interroger sur le bien-fondé ou le caractère éthique d’une telle stratégie. L’essai ORBITA 2 ne doit pas apporter de changement dans notre pratique au quotidien. L’étude ISCHEMIA(17) a spécifiquement évalué le rôle de l’ischémie.
Cet essai a inclus plus de 5 000 patients (sans sténose du TCCG) symptomatiques avec une ischémie démontrée qui ont eu une coronarographie dans le but de réaliser une revascularisation et en la comparant au traitement médicamenteux.
Dans cette étude, le pronostic n’est pas amélioré par la revascularisation, même en cas d’ischémie importante (figure 4).
Figure 4. Principaux résultats de l'étude ISCHEMIA.
En revanche, chez les patients ayant une maladie coronaire étendue (atteinte tritronculaire), le pronostic est péjoratif, mais presque indépendamment de la revascularisation. Il existe en effet une tendance favorable à la revascularisation en termes de survenue d’IDM, mais il n’y a pas d’impact sur la mortalité.
La revascularisation : que préconisent les recommandations de l’ESC 2024 ?
Ce qui a changé c’est le fait que les recommandations concernant la revascularisation en cas d’existence d’une ischémie étendue (classe IB en 2018) ont disparu. La revascularisation du TCCG est toujours indiscutablement considérée comme classe I A (tableau 3). Nicolas Danchin rappelle que les références qui ont servi de base pour cette recommandation sont anciennes. En effet, les deux essais randomisés validant le pontage coronaire versus le traitement médical sont menés entre 1972 et 1984. Force est de constater que nous ne disposions pas à cette époque d’un arsenal thérapeutique médicamenteux tel qu’actuellement, notamment avec les statines.
De ce fait, on ne dispose pas de preuve formelle actuelle pour affirmer que la revascularisation améliorerait le pronostic des patients porteurs d’une sténose du TCCG par rapport au traitement médical.
Concernant les patients pluritronculaires, les études qui ont servi de références pour valider la place de la revascularisation (classe IA) ne montrent pas de différence sur la mortalité globale, mais une réduction plus importante de la mortalité cardiaque chez les multi-tronculaires ce qui n’est, en revanche, pas confirmé par l’ISCHEMIA.
Les recommandations préconisent une revascularisation en cas de présence d’une sténose de l’IVA proximale, qu’il s’agisse d’une atteinte mono- ou bitronculaire (classe I B), car la revascularisation diminue le risque d’IDM spontané et mortalité cardiovasculaire. Mais là encore il n’y a pas de différence significative en termes de diminution de la mortalité globale. Il en est de même concernant la survenue d’IDM si on additionne les IDM spontanés et périopératoires.
Concernant les patients coronariens présentant une mauvaise fonction VG et une ischémie myocardique, n rappelle que l’étude STICH (91 % de tritronculaires hormis des sténoses du TCCG) a montré la supériorité du pontage par rapport au traitement médical en termes de réduction d’IDM. En revanche le pronostic n’est pas impacté par l’existence d’une viabilité.
Enfin, à la fin de la session, une question reste ouverte : faut-il rechercher de manière systématique une ischémie myocardique chez les patients asymptomatiques même porteurs d’une pathologie artérielle périphérique dès lors ou la revascularisation systématique ne semble pas améliorer le pronostic y compris en cas d’ischémie étendue ? Les intervenants sont unanimes sur le fait que les patients polyvasculaires requièrent une prise en charge proactive de tous les facteurs de risque modifiables par des changements de mode de vie et un traitement médicamenteux qui pourra de plus améliorer le spasme et les anomalies de la microcirculation.
EN PRATIQUE
• La probabilité pré-test de trouver une ischémie myocardique chez les patients atteints d’une pathologie vasculaire est élevée.
• Les différentes séries montrent que presque un patient vasculaire sur deux est un coronarien avec souvent une longue phase d’ischémie silencieuse.
• Il n’y a pas de recommandations spécifiques quant à la recherche de l’ischémie myocardique chez les patients vasculaires.
• Le pronostic cardiovasculaire est altéré dans ce groupe de patients et conditionné par le nombre de sites artériels atteints. Les comorbidités sont fréquentes, entravent les explorations et compliquent la prise en charge.
• Le dépistage de l’ischémie myocardique chez le patient vasculaire peut être utile pour optimiser la prise en charge globale et n’a pas pour but d’augmenter le taux de revascularisation.
• La prise en charge doit être discutée au sein d’une équipe multidisciplinaire.
• Les données actuelles ne montrent pas de bénéfices de revascularisation en termes d’amélioration de la survie selon l’existence et l’importance de l’ischémie, notamment silencieuse.
• L’existence des symptômes semble être, à l’heure actuelle, la meilleure indication d’une revascularisation myocardique.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :