Hadi ACHRAFI, Lauréat du Massachusetts Postgraduate Medical Institute, member de la New York Academy of Sciences
La libération de K+ intra - cellulaire stimule en outre la pompe de Na+K+ et provoque une hyperpolarisation des parois vasculaires et leur relaxation. Le tonus coronaire est influencé enfin du fait des fortes viscosités engendrées par des charges dynamiques des flux pulsatiles répétés. La redistribution de ces flux dans les zones sous-épicardiques est à l’origine des infarctus sous-endocardiques ou incomplets alors qu’une répartition à parts égales de ceux-ci aboutit à une nécrose transmurale ou complète.
Une sténose serrée ou une occlusion reperfusée est à l’origine d’une nécrose hémorragique alors qu’une occlusion définitive provoque une nécrose non hémorragique. Il faut au moins 30 mL/min/100 g de muscle cardiaque de flux sanguin pour que la survie du tissu soit assurée. Une sténose coronaire d’au moins 50° réduisant significativement la réserve vasculaire aboutit progressivement dans les semaines qui suivent (6 semaines environ) à la constitution d’un réseau collatéral. Cette situation amoindrit la gravité d’une nécrose éventuelle à moins qu’une décharge catécholergique importante ne bouleverse le niveau critique de la survie myocardique. Une certaine fourchette de pression artérielle et de fréquence cardiaque est nécessaire pour maintenir une circulation collatérale efficace. Celle-ci se situe à environ 30° des valeurs basales.
Quantification de l’ischémie
Les premiers marqueurs de l’ischémie myocardique sont les troubles de compliance diastolique suivis secondairement de ceux de la contraction pariétale régionale puis les douleurs thoraciques, les changements électrocardiographiques et enfin les désordres métaboliques avec libération de lactate et accumulation de métabolites toxiques (garden hose effect). Ces faits démontrent d’emblée qu’il n’est nul besoin de l’apparition de douleur thoracique et a fortiori de changements électriques pour affirmer la nature d’une crise ischémique particulièrement si celle-ci n’a pas eu une durée suffisante (angor avorté). Les sténoses coronaires inférieures à 50° du calibre artériel siégeant sur les réseaux épicardiques n’ont en général pas de retentissement notable sur la vascularisation myocardique à moins qu’un spasme se surajoute(2). Les sténoses se situant entre 50 et 70° du calibre artériel produisent à l’inverse une diminution de perfusion de moitié environ dans les segments myocardiques dépendants de l’artère sténosée lors d’un exercice ou stress. Les sténoses supérieures à 90° de l’artère déséquilibrent la totalité de la vascularisation myocardique régionale aussi bien au repos qu’a l’effort. Les résultats des tests d’effort classiques sont influencés par le degré de l’atteinte coronaire. Certains territoires dépendants de l’artère circonflexe peuvent être muets totalement sur le plan électrique. La correspondance anatomique pour les dérivations électriques peut se schématiser comme suit, les territoires du tronc commun gauche et artère interventriculaire antérieure proximale se rapportent aux dérivations V1 et VL et V2 à V5 alors que le territoire distal de cette artère correspond à V5 et V6. Les dérivations D2 et D3 et VF ne peuvent être attribuées en particulier à une artère précise puisque l’anatomie de distribution des artères circonflexe et coronaire droite varie selon les individus. Cependant une atteinte coronaire lésionnelle n’est pas une condition requise pour le diagnostic d’une cardiopathie ischémique. Des cas d’insuffisance coronaire et d’infarctus du myocarde à coronaire normale ont été rapportés dans le passé. L’évidence d’une dysfonction endothéliale peut être démontrée dans ces situations par des tests appropriés(3). L’administration d’acétylcholine dans ces cas est à l’origine d’une vasoconstriction coronaire paradoxale alors que la réponse à d’autres tests provocatifs tels méthylergonovine, cold pressor test et hyperpnée peut être négative. Ce phénomène est dû à une mise à nu des récepteurs muscariniques musculaires lisses des parois artérielles à la suite d’une détérioration de la couche endothéliale et déséquilibré de la libération de l’EDRF (endothelium relaxing factor ou oxyde nitrique de Palmer) par rapport à celui de l’EDCF (endothelium derived contracting factor).
Cette dysfonction endothéliale précède de plusieurs années la constitution d’une lésion athéromateuse visible à la coronarographie(4).
D’autres facteurs du type trouble de la coagulation (protéine C, pro téine S fibrinogène, antithrombine III, inhibiteuractivateur de plasminogène etc.) ou de contractilité (prostacycline, tromboxanA2, PDGF et les leucotriènes des séries 3 et 4, etc.) jouent un rôle non négligeable dans ces cas(5). Le profil psychologique type A de Rosenman et Friedman (hostilité et ambition) ainsi qu’un terrain migraineux sont d’autres facteurs de risque d’infarctus à coronaire normale. En dehors de ces particularités, des aspects cliniques déroutants peuvent être observés chez ces patients. La douleur thoracique peut être absente, ou même quand elle existe, ne pas correspondre en réalité aux degrés de la lésion artérielle comme dans le cas du syndrome X(6). Dans ces cas, le calcul des indices objectifs tels la fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) et le volume télésystolique ventriculaire (ESVG) permettent d’apprécier le degré de retentissement ischémique.
Les patients qui ont une élévation de la FEVG ou une diminution de ESV à l’occasion d’une épreuve d’effort classique ont souvent des résultats postchirurgicaux médiocres en ter mes de symptomatologie fonctionnelle qui indiquent que les douleurs thoraciques n’étaient pas d’origine coronaire.
Électrogenèse de l’ischémie myocardique
L’ischémie myocardique affecte l’ensemble de l’activation ventriculaire. Les potentiels d’action membranaire enregistrés dans les zones ischémiées ont une durée et une amplitude réduites par rapport aux tissus avoisinants. Le courant de lésion est généré à la frontière des tissus normaux et ischémiques et à une direction opposée à celle du gradient transmural normal au moment de la phase de repolarisation ventriculaire. Ce phénomène est à l’origine d’une déviation de segment de repolarisation se manifestant par un sus-décalage (ischémie sous-épicardique) ou alors un sous-décalage (ischémie sous-endocardique) selon la nature occlusive ou sténosante de l’atteinte artérielle. À l’inverse, pendant la phase de dépolarisation ventriculaire, la nature plus complexe de la distribution de générateur électrique myocardique combiné à de forts facteurs dépolarisants conduisent à masquer l’effet du courant de lésion sur la morphologie de QRS qui reste inchangé lors d’une ischémie myocardique modérée. Cependant une ischémie sévère bouleversant cet ordre établi est à l’origine des modifications de dépolarisation ventriculaire se manifestant à l’ECG par des ondes Q et QS transitoires avec peu d’élévation enzymatique. Les ondes Q ou QS lors d’une nécrose myocardique ne témoignent pas la présence d’un « trou électrique » comme ils sont considérés par certains. Ces images correspondent en réalité à des défauts de conduction intrapariétale à l’origine de nouveaux concepts d’infarctus avec ou sans ondes Q au lieu d’infarctus transmural ou sous-endocardique. Les changements électriques engendrés par l’ischémie myocardique vus à l’ECG classique à couplage de capacitance sont dus à des gradients qui sont de nature électronique créée au cours de la diastole (TQ) ou phase IV et de la systole (ST-T) ou la phase II et III du cycle cardiaque.
Les modifications de voltage rencontrées aux abords des zones atteintes auront peu de répercussion sur le segment T-Q, mais se manifesteront par une exagération de changement de ST. Ainsi, les dénivellations de ST sont parmi les premiers signes électriques apparaissant pendant une crise d’ischémie myocardique sans en être de façon constante les véritables marqueurs de l’ischémie.
Les variétés de l’ischémie
Une ischémie aiguë peut ne donner lieu à aucun changement électrique sur le tracé scalaire de surface. Les facteurs entrant en jeu dans ces cas sont multiples et peuvent être : degré et vitesse des modifications des espaces extra-cellulaires qui sont insuffisants pour provoquer des changements détectables des potentiels d’action myocardique.
EN PRATIQUE
• L’insuffisance coronaire est une pathologie complexe avec différents aspects cliniques déroutants.
• La relation exacte entre une cardiopathie ischémique et les atteintes des coronaires n’est pas toujours bien établie, nécessitant un ensemble de tests avant de conclure à la présence ou à l’absence de cette affection.