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Valvulopathies

Publié le 01 avr 2018Lecture 8 min

Dégénérescence des bioprothèses

Bernard IUNG, Département de cardiologie, Hôpital Bichat, Paris

Bien que la chirurgie conservatrice prenne une part croissante, le remplacement valvulaire prothétique demeure la technique la plus fréquemment utilisée en chirurgie valvulaire, chez plus de 90 % des patients en position aortique et plus de 40 % en position mitrale d'après les grandes bases de données chirurgicales. La part des bioprothèses a progressivement augmenté par rapport aux prothèses mécaniques (figure 1), que ce soit en Europe ou aux États-Unis, en particulier avant 60 ans. Un nombre croissant de patients sera donc exposé au risque de dégénérescence primaire qui demeure le principal inconvénient des bioprothèses.
La dégénérescence des bioprothèses implantées chirurgicalement est mieux connue grâce à des séries rapportant leur suivi à long terme avec une méthodologie adaptée. Le recul est en revanche plus limité avec le TAVI.

Figure 1. Évolution des remplacements valvulaires aortiques par bioprothèse et prothèse mécanique en Europe entre 2003 et 2008 (Fourth EACTS Adult Cardiac Surgical Database Report 2010). Comparaison entre bioprothèses et prothèses mécaniques Trois études randomisées comportant des suivis à long terme ont montré que, si le risque des complications thromboemboliques ne diffère pas significativement, le pronostic des patients ayant une prothèse mécanique est principalement grevé par le surcroît de risque hémorragique, alors que ceux ayant reçu une bioprothèse sont exposés à un risque de réintervention nettement supérieur aux prothèses mécaniques(1). Des études observationnelles plus récentes aboutissent aux mêmes conclusions (figure 2) avec toutefois des divergences concernant la survie. Après un remplacement valvulaire aortique chez des patients âgés de 50-70 ans, il n’y avait pas de différence de mortalité dans une étude nord-américaine, alors qu’il existait une surmortalité dans une étude suédoise chez les patients de 50 à 60 ans ayant reçu une bioprothèse(1). Figure 2. Incidence des accidents vasculaires cérébraux, réopérations et hémorragies majeures parmi 2 groupes de 1 001 patients opérés d’un remplacement valvulaire aortique par bioprothèse ou prothèse mécanique, appariés selon un score de propension (Chiang et al. JAMA 2014 ; 312 : 1 323-29). Physiopathologie La dégénérescence primaire se caractérise par un remodelage des feuillets de la bioprothèse qui s’épaississent et deviennent rigides, puis par l’apparition de calcifications. Ces modifications conduisent le plus souvent à un comportement progressivement sténosant, en particulier au stade des calcifications. Plus rarement, la dégénérescence primaire se traduit par une régurgitation, notamment due à des micro-déchirures autour des calcifications(2). Certaines bioprothèses péricardiques de première génération étaient sujettes à des déchirures étendues en regard de leur insertion, causant des régurgitations aiguës, mais ce mode de dégénérescence a pratiquement disparu. La dégénérescence fuyante semble plus fréquente parmi les bioprothèses porcines que parmi les bioprothèses péricardiques contemporaines. La dégénérescence primaire fait intervenir différents mécanismes parmi lesquels(2) : – le stress mécanique sur les feuillets valvulaires, illustré par le risque accru de dégénérescence en cas de mismatch(3) ; – le traitement par la glutaraldéhyde, qui a pour but de diminuer l’antigénicité des tissus animaux, pourrait favoriser la calcification tardive, en particulier si le rinçage de la bioprothèse a été insuffisant juste avant son implantation ; – le métabolisme phosphocalcique systémique, qui est probablement un des phénomènes expliquant la dégénérescence plus rapide chez les sujets jeunes ou en cas d’hyperparathyroïdie ; – le rôle de thromboses de petite taille à la surface des feuillets de la bioprothèse. Des thromboses non obstructives de bioprothèse ont été mises en évidence au scanner chez environ 10 % des patients ayant eu un TAVI, sans qu’il ne soit mis en évidence d’anomalie échocardiographique. L’hypothèse a été émise que ces thromboses infracliniques pourraient favoriser la dégénérescence ultérieure, mais il n’existe pas de confirmation à l’heure actuelle. Les mécanismes exacts d’initiation et de pérennisation de la dégénérescence de bioprothèses sont encore mal connus. Des modèles animaux, en particulier ovins, sont utilisés pour étudier ces mécanismes et évaluer de nouvelles méthodes de traitement physico-chimique des bioprothèses visant en particulier à réduire le risque de calcifications(4). Les deux principaux facteurs de risque de dégénérescence primaire sont le jeune âge du patient lors de l’implantation de la bioprothèse et la position mitrale par rapport à la position aortique. Il n’a pas été mis en évidence de relation claire entre les facteurs de risque cardiovasculaire et le risque de dégénérescence. Durabilité des bioprothèses implantées chirurgicalement De nombreuses études ont rapporté le devenir à long terme après remplacement valvulaire par bioprothèse, surtout en position aortique. La survie sans réintervention est fortement influencée par l’âge (figure 3). La plupart de ces études rapportent les réinterventions pour dégénérescence de bioprothèse, ce qui conduit à sous-estimer le taux réel de dégénérescence car ne prenant pas en compte les dégénérescences non réopérées. Ce biais peut être particulièrement important chez les patients âgés chez qui la réintervention est à haut risque. Figure 3. Survie sans réintervention après remplacement valvulaire aortique par bioprothèse Carpentier Edwards porcine (Jamieson et al. Ann Thorac Surg 1998 ; 66 [6 Suppl] : S49-52). Ainsi, dans une métaanalyse récente portant sur 93 études et regroupant 53 884 patients ayant eu un remplacement valvulaire aortique par bioprothèse, la dégénérescence n’était étudiée selon des critères échocardiographiques que dans 12 études regroupant 7 603 patients(5). Les critères échocardiographiques variaient selon les études mais correspondaient le plus souvent à l’apparition d’une sténose ou d’une régurgitation sévère. Selon ces critères, le taux de dégénérescence était de 6 % à 10 ans, 19 % à 15 ans et 48 % à 20 ans. La figure 4 illustre la progression de la dégénérescence avec le temps. Figure 4. Absence de dégénérescence de bioprothèse aortique selon un suivi échocardiographique dans une métaanalyse de 12 études et 7 603 patients (Foroutan et al. BMJ 2016 ; 354 : i5065). Un autre problème méthodologique est lié à la présentation des taux de dégénérescence sous forme actuarielle, ce qui conduit à surestimer l’incidence réelle car elle ne prend pas en compte le risque compétitif avec le décès. Les estimations du taux de dégénérescence selon la méthode actuarielle et selon une analyse des risques compétitifs diffèrent d’autant plus que les patients sont âgés. Parmi les séries ayant rapporté les plus longs suivis (> 20 ans), les travaux de l’équipe de Tours, utilisant la bioprothèse Carpentier-Edwards péricardique Perimount, présentent l’intérêt d’un suivi échocardiographique systématique et d’une analyse des risques compétitifs. Parmi 516 patients âgés de 50 à 65 ans opérés d’un remplacement valvulaire aortique, 81 patients ont présenté une dégénérescence primaire et 70 ont été réopérés au cours d’un suivi moyen de 9 ans(6). Seuls 4 cas de dégénérescence ont été observés avant 5 ans. Les taux actuariels d’absence de dégénérescence étaient de 90 % à 10 ans et 48 % à 20 ans (figure 5). La prise en compte du risque compétitif de décès conduisait à un taux de réintervention pour dégénérescence de 30 % à 20 ans, alors que le taux actuariel correspondant était de 50 %. Figure 5. Absence de dégénérescence de bioprothèse aortique selon un suivi échocardiographique et absence de réintervention parmi 516 patients âgés de 50 à 65 ans opérés d'un remplacement valvulaire aortique par bioprothèse Perimount (Eur J Cardiothorac Surg 2016 ; 49 : 1 462-8). Dans une série de 404 patients opérés d’un remplacement valvulaire mitral (âge moyen 68 ans), 76 patients ont présenté une dégénérescence primaire et 63 ont été réopérés(7). Le taux d’absence de dégénérescence était de 24 % à 20 ans. La prise en compte du risque compétitif de décès conduisait à un taux de réintervention pour dégénérescence de 25 % à 20 ans, alors que le taux actuariel correspondant était de 60 %. La comparaison entre les différents types de bioprothèse est difficile en raison des différences de caractéristiques des patients et de méthodologie des études. Les taux de dégénérescence ne différaient pas en fonction de la prothèse dans la métaanalyse récente(5). Il faut toutefois souligner que certaines bioprothèses présentent des taux de détérioration anormalement élevés(8). Durabilité des bioprothèses implantées par cathéter Les bioprothèses implantées par cathéter (TAVI) utilisent les mêmes tissus que les bioprothèses chirurgicales, tout au moins pour celles qui sont le plus fréquemment implantées. Il existe toutefois des différences importantes tenant notamment à la fixation des feuillets sur le stent et le mode d’insertion (expansion par inflation d’un ballon ou retrait d’une gaine). La nécessaire compression de la valve pour son acheminement par voie vasculaire avait conduit initialement à des craintes concernant un possible traumatisme des feuillets pouvant être cause d’une dégénérescence précoce. Les études randomisées et les registres avec un suivi échocardiographique annuel ne montrent pas d’évolution significative des gradients ni des régurgitations après le premier mois jusqu’à 5 ans(9). Les cas de dégénérescence conduisant à une dysfonction valvulaire significative sont extrêmement rares avant 5 ans(9). Le TAVI étant d’introduction relativement récente et ayant été initialement réservé à des patients à haut risque, peu de données concernent la survie à long terme. Les données à 5 ans concernent généralement moins d’une centaine de patients et il n’existe actuellement pas de série publiée avec un suivi échocardiographique standardisé au-delà de 5 ans. L’analyse de la durabilité à long terme des prothèses implantées par TAVI nécessite en outre une définition précise et une standardisation des critères échocardiographiques de dégénérescence primaire avec les bioprothèses implantées chirurgicalement, comme cela vient d’être proposé par la Société européenne de cardiologie(10). Traitement Aucun traitement systémique n’a fait la preuve de son efficacité sur la diminution du risque de dégénérescence primaire. Le traitement de référence de la dégénérescence de bioprothèse demeure la réintervention chirurgicale lorsqu’il existe une sténose ou une régurgitation sévère, avec une recommandation de classe I chez les patients symptomatiques et de classe Iia chez les asymptomatiques(11). L’alternative de l’implantation d’une prothèse TAVI dans la bioprothèse dégénérée (« valve-in-valve ») est envisagée en position aortique mais uniquement chez les patients à haut risque chirurgical (classe IIa)(11). Ces indications plus restrictives sont la conséquence de données plus limitées qu’avec le TAVI pour valvulopathie native et de certains risques comme celui d’obstruction coronaire. Les données sur le valve-in-valve mitral sont encore plus limitées. Implications pratiques Après un remplacement valvulaire par bioprothèse, il est essentiel d’informer les patients du risque de dégénérescence et de la nécessité d’un suivi échocardiographique annuel, qui fait désormais partie des recommandations ESC 2017(10). La vigilance doit être renforcée après 10 ans et plus précocement chez les sujets jeunes. Par expérience, ces patients ayant une vie normale, quelquefois sans traitement, oublient parfois tout suivi et le risque est alors celui d’une prise en charge de la dégénérescence à un stade tardif avec un risque accru de réintervention. Le risque d’une réintervention élective chez un patient pauci-symptomatique est pratiquement identique au risque de la première intervention, mais augmente nettement en cas d’insuffisance cardiaque ou d’urgence. Les conséquences cliniques des thromboses non obstructives de bioprothèse demeurent imprécises et il n’est pas recommandé de réaliser un scanner systématique dans le suivi des bioprothèses. Enfin, la poursuite du suivi des cohortes existantes est essentielle afin d’évaluer la durabilité des prothèses implantées par TAVI au-delà de 5 ans. Le suivi clinique et échocardiographique de la cohorte FRANCE 2 va être poursuivi au-delà de 5 ans dans le cadre du projet RHU (Recherche Hospitalo-Universitaire en santé) et STOPAS (Search Treatment and improve Outcomes of Patients with Aortic Stenosis) qui fait appel à un partenariat académique-entreprise. Ces données seront particulièrement informatives car portant sur plus de 1 000 patients encore vivants 5 ans après le TAVI.

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