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Valvulopathies

Publié le 15 sep 2021Lecture 7 min

Insuffisance aortique et insuffisance mitrale : comment conclure en pratique ?

Yohann BOHBOT, CHU Amiens-Picardie, Amiens

Les polyvalvulopathies (PV), définies par la présence d’une lésion régurgitante et/ou sténosante sur au moins 2 valves cardiaques sont fréquentes(1). Néanmoins, les recommandations concernant la prise en charge de ces patients restent limitées(2) et d’un faible niveau de preuve (niveau C), ce qui reflète la rareté des données disponibles dans ce domaine. L’association d’insuffisance aortique (IA) et d’insuffisance mitrale (IM) constitue un exemple typique de PV relativement fréquente avec peu de données disponibles dans la littérature et par conséquent, des recommandations qui restent vagues sur sa prise en charge(3). Cependant, avant de se poser la question du traitement, une évaluation rigoureuse multiparamétrique prenant en compte les interactions entre les deux valvulopathies est indispensable(4,5).

• Épidémiologie L’association d’une régurgitation aortique avec une régurgitation mitrale est relativement fréquente. Dans un registre hospitalier suédois portant sur plus de 40 000 patients porteurs de valvulopathies, une IA était retrouvée chez 11 % des patients suivis pour une IM et 8 % des patients suivis pour une IA avaient également une fuite mitrale(6). Une étude récente de la Mayo Clinic ayant inclus 1 239 fuites aortiques sévères a retrouvé la présence d’une IM significative dans 14 % des cas(7). Ainsi, i l s’agit d’une situation à laquelle chaque cardiologue peut être confronté en pratique clinique quotidienne. • Étiologies En cas d’association d’IA et d’IM, les deux valvulopathies peuvent avoir la même étiologie ou plus rarement être liées à deux causes indépendantes. Il est crucial de distinguer l’association d’une IA avec une fuite mitrale primaire ou organique de celle d’une IA avec une régurgitation mitrale secondaire ou fonctionnelle, car cela influera sur la quantification échocardiographie et sur la prise en charge des patients. De nos jours, l’IM primaire est principalement d’origine dégénérative (figure 1), mais peut également être d’origine médicamenteuse ou post-radique, liée à une endocardite infectieuse (figure 2) à une cardiopathie congénitale ou à une maladie rhumatismale (figure 3), notamment dans les zones endémiques. La présence d’une IM secondaire en cas d’IA sévère reflète souvent une maladie qui évolue depuis longtemps, probablement prise en charge trop tardivement avec un remodelage important du ventricule gauche (VG) et/ou de l’oreillette gauche responsable de la fuite mitrale (figure 4). L’IM secondaire peut aussi parfois être liée à la présence concomitante d’une cardiopathie ischémique et d’une IA sévère. • Physiopathologie Seule la fuite aortique à un effet significatif sur la post-charge, mais l’IA et l’IM augmentent toutes les deux la précharge, ce qui entraîne une dilatation du VG plus marquée et un risque de dysfonction du VG plus important qu’en cas de valvulopathie fuyante isolée. Il s’agit d’une surcharge de volume majeure pour le VG. Si une IA aiguë apparaît chez un patient porteur d’une IM significative, l’élévation de la pression télédiastolique du VG peut se transmettre en amont, car la fermeture prématurée de la valve mitrale n’empêche plus le reflux de sang dans l’oreillette gauche et dans les veines pulmonaires et une IM diastolique peut être présente(5). L’IM augmente les conséquences d’aval de l’IA prédisposant les patients à la fibrillation atriale, à l’hypertension pulmonaire puis à terme à la dysfonction ventriculaire droite et à l’insuffisance tricuspide fonctionnelle. • Évaluation Échocardiographie En pratique, il s’agit d’une PV relativement simple à évaluer. Néanmoins, il est essentiel de bien comprendre les interactions entre ces deux valvulopathies pour ne pas tomber dans les pièges de la quantification échocardiographie. Ainsi, certains paramètres sont parfaitement utilisables, certains sont à interpréter avec prudence et d’autres doivent être évités dans la mesure du possible, car ils peuvent être complètement ininterprétables (tableau 1). Paramètres utilisables L’appréciation visuelle des feuillets est bien sûr valable. Ainsi, en cas de défaut de coaptation visible, la fuite sera en règle significative. Le calcul de la surface de l’orifice régurgitant et du volume régurgité par la méthode de la PISA (> 30 mm²/60 ml pour définir une IA sévère et 40 mm²/60 ml pour une IM sévère) ou la mesure de la vena contracta (> 6 mm pour une IA sévère et 7 mm pour une IM sévère) sont deux méthodes très peu dépendantes des conditions de charge qui peuvent parfaitement être utilisées pour l’évaluation de chaque régurgitation. Ce sont des paramètres de choix. L’inversion systolique du flux veineux pulmonaire est en faveur d’une IM sévère et n’est pas influencée par l’IA. La présence d’un reflux télédiastolique dans l’isthme aortique significatif (> 18-20 cm/s) est en faveur d’une IA sévère et est peu influencée par l’IM chez les patients en rythme sinusal (plutôt influencé par la fréquence cardiaque : augmente en cas de tachycardie et diminue en cas de bradycardie). Paramètres à interpréter avec prudence Le temps de demi-pression (PHT) est en faveur d’une IA sévère lorsqu’il est court, < 200 ms. Cependant, ce paramètre reflète plutôt l’élévation de la pression télédiastolique du VG qui peut être uniquement liée à l’IM et pas forcément à la sévérité de l’IA. Un débit cardiaque supérieur à 10 litres par minute est en faveur d’une IA sévère. L’IM, si elle est significative, diminuera le débit cardiaque ce qui empêchera de conclure sur la sévérité de l’IA en utilisant ce critère. Néanmoins, si le débit est > 10 litres par minute malgré l’IM cela sera un argument de poids pour dire que l’IA est bien sévère. Paramètres à ne pas utiliser Un rapport des ITV (intégrale temps vitesse) mitrale/aortique > 1,5 est en faveur d’une IM sévère. Cependant, en cas d’IA sévère, le débit cardiaque (et donc l’ITV dans la chambre de chasse du VG) sera augmenté. Ainsi, ce paramètre n’est pas interprétable en cas de double régurgitation. Quand la mesure de la PISA est difficile, on peut estimer le volume régurgité de chaque fuite en utilisant la méthode volumétrique : pour obtenir le volume régurgité de l’IA il suffit de soustraire le volume d’éjection mitral au volume d’éjection aortique et pour obtenir le volume régurgité mitral il faudra faire l’inverse. Il s’agit d’une méthode difficile qui demande de l’expérience et qui est moyennement reproductible du fait des difficultés de mesure de l’anneau mitral (surtout en cas de calcifications). Cette méthode n’est pas utilisable en cas de double régurgitation, car les deux volumes d’éjection systolique (VES) seront augmentés. Il est par contre possible de remplacer le VES mitral par le VES pulmonaire pour calculer le volume régurgité de l’IA et de remplacer le VES aortique par le VES pulmonaire pour calculer le volume régurgité mitral. Cependant, il est très difficile d’obtenir une chambre de chasse ventriculaire droite de bonne qualité et cette technique sera donc à éviter. Pour synthétiser, les méthodes volumétriques et les paramètres échocardiographiques dépendants des conditions de charge et/ou du débit cardiaque ne sont pas valables en cas d’association IA et IM. IRM cardiaque L’IRM cardiaque, lorsqu’il est réalisé par un opérateur expérimenté, permet de mesurer de façon fiable les volumes régurgités aortiques et mitraux en utilisant la technique du contraste de phase (plus difficile pour la valve mitrale que pour la valve aortique) ou au mieux celle du flux 4D, notamment lorsque le jet est excentré. Les méthodes ciné-volumétriques ne sont pas utilisables pour les mêmes raisons qu’en échocardiographie. Au-delà de la quantification, l’IRM est un examen intéressant dans le domaine des PV, car il permet de rechercher de la fibrose et d’évaluer avec précision les volumes, la masse et la fonction systolique du VG et du ventricule droit, et par conséquent le retentissement global des deux régurgitations. Pronostic et prise en charge En 2010, Pai et coll.(8) ont rapporté dans une série de 756 patients porteurs d’une IA sévère que la présence d’une IM modérée était indépendamment associée à une diminution de la survie. Cependant, les auteurs n’apportaient pas d’informations sur le mécanisme de l’IM dans cette étude. Dix ans plus tard, Yang et coll.(7) ont retrouvé la présence d’une IM significative chez 14 % des patients dans une série de 1 239 patients porteurs d’une IA sévère. Les fuites mitrales secondaires étaient plus fréquentes (9 %) que les primaires (5 %) et étaient essentiellement liées à un remodelage non ischémique du VG. Dans ce travail, la présence d’une IM était associée à une surmortalité par rapport à l’IA isolée, surtout lorsque la fuite était fonctionnelle (figure 5)(7). Ainsi, la présence d’une IM significative en cas d’IA sévère grève le pronostic des patients, d’autant plus lorsque cette fuite mitrale est secondaire. La dysfonction systolique du VG est fréquente en cas de double régurgitation, mais elle l’est encore plus en postopératoire, raison pour laquelle la chirurgie doit être précoce chez ces patients, dès l’apparition des premiers symptômes ou de signes (même discrets) de dysfonction ventriculaire gauche. Peu d’études se sont intéressées à l’évolution de la fuite mitrale après remplacement valvulaire aortique en cas d’IA sévère. En cas d’IM primaire significative, une intervention sur les deux valves est généralement considérée(2). A contrario, on considère généralement qu’une fuite mitrale secondaire est susceptible de diminuer spontanément après la chirurgie aortique grâce au remodelage inverse(9). Néanmoins, il existe peu de données sur le sujet et l’évolution de l’IM est souvent imprévisible, raison pour laquelle il paraît raisonnable de proposer un geste sur les deux valves si l’IM secondaire est sévère. Cependant, de multiples facteurs sont à prendre en considération par la « heartteam » comme l’âge, les comorbidités ou la fragilité du patient, le risque opératoire et la morbidité liée aux prothèses valvulaires. Si la place du traitement percutané de l’IA est actuellement très limitée par rapport à l’IM, il ne fait aucun doute que les progrès technologiques modifieront considérablement notre approche thérapeutique(10).

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