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Thrombose

Publié le 26 oct 2010Lecture 10 min

ESC - Une actualité dominée par les antithrombotiques

P. SABOURET, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris

L’actualité sur les anti-thrombotiques et les anticoagulants a accaparé une bonne part des communications du congrès de l’ESC. Ces nouvelles études permettent d’élargir l’arsenal thérapeutique dans le domaine de l’athérothrombose et des pathologies thrombo-emboliques.

ATOLL Cette étude randomisée de phase 3 a comparé une stratégie basée sur l’enoxaparine en IV versus de l’héparine non fractionnée (HNF) dans le cadre des STEMI revascularisés. Aucun fibrinolytique ni anticoagulant n’était reçu avant randomisation. Le critère primaire de jugement à J30 associait la mortalité totale, complications de l’IDM (arrêt cardiaque ressuscité ACR, récidives de SCA, revascularisation urgente, AVC, embolie pulmonaire ou périphérique), échec de procédure ou saignement majeur, donc associant des événements ischémiques et hémorragiques. Les caractéristiques des patients et les traitements reçus correspondaient aux stratégies « modernes » avec plus de 66 % de voie radiale, 94 % de stents implantés, 77 % d’utilisation d’anti GPIIb IIIa, et d’une dose de charge de clopidogrel supérieure à 600 mg par jour chez plus de 60 % des patients. Une réduction du risque relatif du critère primaire de 17% est observée en faveur de l’enoxaparine, associée à une réduction des événements ischémiques prédéfinis : -41 % pour le critère associant décès, récidives de SCA ou revascularisation en urgence (p = 0,01), - 37 % pour le critère mortalité et complications de l’IDM (p = 0,02), -42 % pour les décès ou ACR (p = 0,049). Concernant le versant hémorragique, il existe une tendance non significative en faveur de l’enoxaparine, cette absence de significativité s’expliquant probablement par l’utilisation très fréquente de la voie radiale. En terme de bénéfice clinique net, l’enoxaparine permet une réduction de 32 % (p = 0,03) du critère décès, complications de l’IDM et hémorragies majeures, confortant les données issues de registres antérieurs. ISAR-REACT 3A L’étude ISAR-REACT 3A est venue compléter les données de l’étude ISAR-REACT 3, dans laquelle la bivalirudine avait fait jeu égal avec l’HNF, avec un surcroît d’événements hémorragiques dans le groupe HNF, mais avec une dose choisie par les investigateurs (140 UI d’héparine/kg) non conforme aux pratiques habituelles et critiquée par de nombreux experts. Les investigateurs ont donc étudié la dose d’HNF de 100 UI/kg chez 2 505 patients avec SCA entre août 2008 et février 2010, et de comparer leurs résultats avec ceux obtenus dans les groupes étudiés entre 2005 et janvier 2008. On voit donc immédiatement les limites méthodologiques de cette démarche avec une interprétation délicate des résultats. L’utilisation d’une dose « plus raisonnable » d’héparine non fractionnée (HNF) améliore le bénéfice clinique net par rapport à la dose de 140 UI/kg, ce qui était attendu, et n’est pas inférieure à la bivalirudine, ce qui est une mauvaise nouvelle pour cette dernière, puisqu’on ne voit plus son intérêt par rapport à une dose habituelle de cette « bonne vieille » héparine. Figure 1. Critère principal. Décès, IDM compliqué, échec de la procédure ou saignement majeur. FUTURA/OASIS 8 Les résultats de l’étude OASIS 5 avaient mis en évidence un bénéfice du fondaparinux versus enoxaparine en terme de diminution des hémorragies sévères chez des patients traités pour un syndrome coronarien aigu sans sus-décalage du segment ST (SCAST-), mais avec un surcroît significatif de thrombose sur cathéter d’angioplastie coronaire (0,9 % versus 0,4 % sous énoxaparine, p = 0,001), ce qui constitue un écueil majeur pour une utilisation large du fondaparinux dans cette indication. Pour lever ce frein à l’utilisation du fondaparinux a été menée l’étude FUTURA/OASIS 8. Cette étude internationale, multicentrique, randomisée a inclus plus de 2 000 patients présentant un SCAST- et pour lesquels une indication de revascularisation était posée. Tous les patients recevaient la dose de 2,5 mg de fondaparinux puis étaient randomisés en 2 bras : un bras bénéficiant d’un traitement par HNF à 85 UI/kg (50 UI/kg en cas d’utilisation des anti-GP IIb-IIIa), l’autre recevant 50 UI/kg d’HNF (avec ou sans anti GP IIbIIIa). Aucune différence n’est observée concernant le critère primaire composite (p = 0,27) associant hémorragies majeures et mineures. L’analyse du critère secondaire devient donc critiquable sur le plan méthodologique, ce d’autant que ce critère composite est « large » et hétérogène (critère primaire + décès, IDM, revascularisation du vaisseau cible). L’ensemble des données plaide pour l’utilisation d’une dose « standard » d’HNF. Reste à définir le protocole à privilégier dans les SCAST- puisque nous disposons également de l’énoxaparine, de la bivalirudine, des antiGP IIb IIIa, et que de nouveaux antithrombotiques arrivent au galop. Les anti-Xa confirment leur intérêt AVERROES Cette étude avait pour objectif d’évaluer l’apixaban, inhibiteur direct du Facteur Xa, administrable par voie orale, versus l’aspirine chez des patients présentant une fibrillation auriculaire (FA) et présentant soit une contre-indication à l’emploi des AVK, soit étant jugés « inaptes » par les investigateurs pour suivre un traitement par AVK au long cours. Cette étude visait donc dans sa conception à apporter une réponse à une véritable problématique en pratique clinique. Cette étude internationale a inclus 5 600 patients dans 36 pays, présentant une FA avec au moins un facteur de risque associé, et soit présentant une contre-indication aux AVK, soit jugés inéligibles par les investigateurs. Les patients (âge moyen 70 ans, CHADS2 moyen 2,1) ont été randomisés entre l’apixaban (2,5 mg x 2 par jour) et l’aspirine (81 à 324 mg/jour). Le critère primaire combiné correspondait au délai de survenue d’un AVC ischémique, d’une embolie périphérique, ou d’un AVC hémorragique. Le critère secondaire était composé par le critère primaire auxquels étaient associés les infarctus myocardiques et les décès vasculaires. L’étude a été initiée en 2007 et interrompu prématurément, sur la base d’une analyse statistique intermédiaire, en raison d’une réduction du risque relatif très significative du critère primaire de 54 % (p < 0,001), accompagné d’une réduction de 34 % du critère secondaire (p < 0,001) sous apixaban, avec un excellent rapport bénéficesrisques, puisque que les taux de saignements majeurs et de saignements « cliniquement pertinents » étaient similaires entre les groupes apixaban et aspirine. Même si quelques réserves peuvent être énoncées sur les critères d’inéligibilité aux AVK, cette étude objective des résultats spectaculaires de l’apixaban chez des patients dont les caractéristiques cliniques étaient proches de celles des patients inclus dans les études ACTIVE-W et RELY, avec un score moyen de CHADS2 de 2,1. L’apixaban, en concurrence indirecte avec le dabigatran, devrait donc occuper une place de choix dans la prise en charge des patients en FA, alors que les indications thérapeutiques de l’aspirine devraient être ténues dans cette pathologie. Figure 2. Effets pharmacodynamiques d’élinogrel vs clopidogrel. EINSTEIN DVT Un autre inhibiteur direct du facteur Xa, le rivaroxaban, a fait parler de lui à l’ESC, mais dans un autre domaine, celui du traitement de la thrombose veineuse profonde. Pour mémoire, cette molécule bénéficie déjà d’une indication dans le traitement préventif des thromboses veineuses en périopératoire de la mise en place d’une prothèse de hanche ou du genou. L’étude EINSTEIN DVT est une étude randomisée en ouvert, de non-infériorité, qui a inclus 3400 patients présentant une thrombose veineuse profonde (TVP) documentée. Les patients ont donc été randomisées pour recevoir, soit du rivaroxaban à la posologie quotidienne de 15 mg x 2 pendant 21 jours puis 20 mg par jour en 1 prise, soit une prise en charge par enoxaparine à la dose efficace de 40 mg en 2 injections sous-cutanées quotidiennes pendant 5 jours en moyenne, le temps que le relais par os par AVK (warfarine ou acénocoumarol) soit efficace (deux INR consécutifs à 24 h d’intervalle dans la cible thérapeutique (INR entre 2 et 3)). Les patients présentant une embolie pulmonaire (EP) initiale n’ont pas été inclus. Le critère primaire d’efficacité associait la survenue d’une TVP ou d’une EP, mortelles ou non. Le critère primaire de sécurité comprenait les hémorragies majeures ou « cliniquement significatives » (hémorragies nécessitant une intervention médicale). Les résultats (en intention de traiter) un taux du critère primaire d’efficacité de 2,1 % sous rivaroxaban versus 3 % sous enoxaparine avec relais par AVK (p < 0,0001) respectivement, alors que pour le critère primaire de sécurité, il n’est pas observé de différences entre les 2 groupes de randomisation (8,1 % dans les 2 groupes). La non-infériorité du rivaroxaban versus enoxaparine avec relais par AVK a été observée dans tous les sous-groupes prédéfinis, alors que 58 % des patients traités par AVK étaient dans la cible de l’INR. Si l’on constate que le rivaroxaban est une alternative valide pour le traitement des TVP (sans EP à l’inclusion), des questions demeurent concernant les patients âgés et les insuffisants rénaux, puisque seuls 7 % des patients présentaient une clairance de la créatinine < 50 ml/min à l’inclusion. De futures études comparatives entre les 3 nouveaux venus que sont le rivaroxaban, l’apixaban, et le dabigatran seront indispensables pour préciser leurs places respectives. Pharmacogénétique et thiénopyridines Les publications foisonnent sur la pharmacogénétique et les thiénopyridines, en particulier le clopidogrel. Les résultats « négatifs » concernant les données des patients inclus dans les études CURE et ACTIVE-I pourraient créer une certaine confusion dans l’esprit de la communauté cardiologique. Cependant si l’on regarde les données sur l’influence du génotype comme marqueur pronostique des patients sous clopidogrel concernant l’isoforme 2C19 du cytochrome P450, on s ‘aperçoit que le génotype influe dans le cadre des syndromes coronariens aigus avec revascularisation percutanée (étude TRITON TIMI 38, registres FAST-MI et AFIJI), alors que le génotype n’influe pas chez les patients avec SCAST- peu ou non revascularisés (seulement 15 % des patients de CURE bénéficiaient d’une angioplastie coronaire), chez les patients stables (étude CHARISMA) ou en FA (étude ACTIVE-I). On voit donc que l’intérêt du génotypage sous clopidogrel dépend principalement de la situation clinique. Mais, même dans le cadre des SCA ST+, la valeur prédictive positive (VPP) est modeste, et pourrait être améliorée par la combinaison avec les facteurs de risque traditionnels et les données des tests d’agrégabilité plaquettaire (VASP, VERIFY-now, LTA, etc.) avec des études en cours pour valider cette hypothèse. Toutes ces données pourraient devenir obsolètes par l’emploi généralisé du prasugrel ou du ticagrélor, pour lesquels les génotypes de l’isoforme 2C19 n’ont pas d’influence sur les événements cliniques (études ancillaires de TRITON TIMI 38 et PLATO), en raison d’un métabolisme différent de celui du clopidogrel. INNOVATE-PCI : l’ellinogrel pointe le bout du nez L’ellinogrel est le dernier venu dans la classe des thiénopyridines, mais pas le moins prometteur. En effet, il s’agit d’un inhibiteur puissant, direct sur les récepteurs P2Y12, réversible, et surtout disponible par voies intraveineuse et orale, ce qui le rend particulièrement intéressant dans le cadre des SCA. L’étude INNOVATE-PCI est une étude de phase II qui a comparé en pré-angioplastie avec stent une dose de charge de 300 à 600 mg de clopidogrel suivie d’une dose d’entretien de 75 mg versus un bolus IV de 80 mg d’elinogrel avec une dose d’entretien dans 3 groupes de randomisation de 50,100 et 150 mg x 2 par jour respectivement. L’étude a été initiée en Avril 2009 avec 116 patients inclus avec un suivi initialement prévu à 60 jours puis étendu à 120 jours. La puissance de l’étude ne permettait pas de déterminer un bénéfice clinique éventuel. Les données de pharmacodynamie objectivent une supériorité attendue de l’elinogrel versus le clopidogrel sur l’agrégabilité plaquettaire à la phase aigue et au long cours, avec une inhibition plaquettaire dose-dépendante. Le profil de tolérance semble favorable puisqu’il n’a pas été observé de différences sur les hémorragies majeures ni mineures (classification TIMI). On observe plus souvent une dyspnée transitoire et modérée, déjà observée dans PLATO avec le ticagrélor et qui semble en rapport avec l’inhibition intense des récepteurs P2Y12. Il n’y a par contre pas de surcroit de bradycardie. Une élévation modérée et asymptomatique des transaminases, avec résolution spontanée, a été plus souvent notée sous elinogrel, sans conséquence clinique. Une étude de phase III incluant plus de 24 000 patients en postinfarctus est donc prévue. En pratique Dans le cadre des syndromes coronariens aigus, l’enoxaprine en intraveineux a démontré un bénéfice clinique net par rapport à l’héparine non fractionnée, et confime les données d’études antérieures. La bivalirudine semble un peu en retrait puisqu’elle n’apporte pas de bénéfices nets, en comparaison indirecte par rapport à l’héparine non fractionnée à la dose plus conventionnelle de 100 UI/kg. L’écueil des thromboses sur cathéters de coronarographie, constatées dans OASIS 5 sous fondaparinux, peut être levé en l’associant à de l’héparine dans le cas d’une revascularisation percutanée. L’intérêt des anti-Xa est démontrée versus aspirine dans la fibrillation auriculaire pour la prévention des AVC, et versus AVK pour la récidive des événements thromboemboliques au décours d’une thrombose veineuse profonde. La pharmacogénétique connaît un essor très important et suscite un intérêt scientifique indéniable. La population la plus pertinente à étudier semble celle des patients présentant un SCA et bénéficiant d’une revascularisation avec stent, notamment en cas de STEMI. Des études sont en cours pour préciser l’impact clinique de l’utilisation de la pharmacogénétique, des tests d’agrégabilité plaquettaire, et leur probable complémentarité. Chez les patients peu ou pas revascularisés (CURE) ou présentant une FA (ACTIVE), son utilisation ne présente pas d’intérêt, confirmant les données chez les patients stables (CHARISMA). Sa place restera à préciser avec l’avènement des nouvelles thiénopyridines (prasugrel, ticagrelor, et plus récemment elinogrel), et l’identification de nouveaux variants génétiques. Ces progrès thérapeutiques sont à traduire en pratique clinique, où les procédures conformes aux recommandations sont en progression, mais avec un pronostic à moyen et long termes qui reste sévère pour les patients en prévention secondaire, incitant à ne pas relâcher les efforts dans l’éducation thérapeutique. L’approche la plus pertinente semble fonction des caractéristiques cliniques (âge, diabète, fonction rénale), d’une situation clinique donnée (SCA, patient coronarien stable, ou en FA), et de l’utilisation appropriée des outils diagnostiques et thérapeutiques pour une approche la plus individualisée possible des patients.

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