Publié le 09 déc 2008Lecture 6 min
L’interne en cardiologie, d’hier et d’aujourd’hui
P. BEAUFILS, Hôpital lariboisière, Paris
Depuis 35 ans et la fin de mon internat, j’ai vu défiler près de 300 internes dans le service de cardiologie de l’hôpital Lariboisière où j’ai fait toute ma carrière, à tous les postes de responsabilité. Au cours de ce tiers de siècle, de nombreux bouleversements sont intervenus.
Les plus importants concernent certainement les modalités de sélection et de formation des internes, ainsi que leur statut avec ses aspects protecteurs mais aussi déresponsabilisants ; mais aussi l’attractivité des disciplines où le poids des gardes et les perspectives de carrière deviennent des critères de choix prépondérants ; enfin, la pratique médicale qui s’est radicalement transformée avec l’émergence d’une médecine technique et prétendument scientifique, où la rapidité d’exécution, le respect des protocoles et les considérations économiques prennent une part excessivement prépondérante dans l’argumentaire décisionnel. Malgré tous ces bouleversements, et bien d’autres encore, l’interne a conservé une place centrale dans l’organisation de nos services hospitalo-universitaires et leurs responsabilités, avec le conseil et le contrôle des médecins plus expérimentés, restent essentielles dans la prise en charge des patients, le fonctionnement coordonné des équipes soignantes et la continuité des soins hospitaliers et extrahospitaliers.
L’arrivée de nouveaux internes dans un service crée toujours une certaine inquiétude. Certes, la nouvelle équipe va nous apporter « le vent du large » et c’est très stimulant d’être confronté aux connaissances fraîchement acquises par de jeunes collègues formés dans d’autres écoles médicales ; cela nous amène parfois à remettre en question nos certitudes théoriques ainsi que des pratiques que nous n’imaginions pas contestables. Mais cette greffe de personnalités au caractère parfois un peu rude peut aussi déstabiliser complètement le service, notamment lorsqu’il apparaît des tensions relationnelles, voire des conflits, avec les membres de l’équipe soignante ou même entre les internes eux-mêmes. Compte tenu du temps passé ensemble, ces problèmes peuvent prendre une importance considérable et empoisonner l’ambiance d’un service pendant plusieurs mois si les responsables médicaux et paramédicaux n’y mettent pas bon ordre rapidement, avec doigté mais avec fermeté.
La génération actuelle d’internes est-elle différente des précédentes ? Bien évidemment non, encore que…
Ma première réflexion concerne le positionnement des internes actuels vis-à-vis d’une charge de travail qui est considérable. Certes, il y a trente ans, nous travaillions aussi énormément car nous étions moins nombreux avec pour conséquence la responsabilité d’un plus grand nombre de patients ainsi que des gardes plus fréquentes, les gardes de spécialité ne nous dispensant pas des gardes dites « de porte ». Mais le turn over des patients n’était pas celui d’aujourd’hui ; en outre, la pratique n’avait pas le caractère d’excessive rapidité que différentes contraintes lui imposent de nos jours ; enfin, les examens complémentaires ainsi que les traitements n’avaient pas la multiplicité ni la complexité qu’on leur connaît actuellement.
Des droits mais aussi des devoirs
Il y a quelques années, au moment de l’élaboration du statut des internes, j’ai constaté et déploré que certains jeunes collègues s’appuyaient sur des considérations réglementaires pour se soustraire à certaines des responsabilités qui leur étaient confiées et faisaient passer leurs droits avant leurs devoirs vis-à-vis des patients et des équipes soignantes auxquelles ils appartenaient. Ces réticences, légitimes au regard du droit du travail mais nouvelles et choquantes dans le monde hospitalo-universitaire qui n’y était pas habitué, ont disparu depuis quelques années et il faut féliciter nos internes pour leur enthousiasme à affronter les multiples tâches qui leur sont confiées et leur sens des responsabilités qui les amène à ne compter ni leurs heures de travail, à l’hôpital ou à la maison, ni leurs nuits sans sommeil. Il nous appartient de reconnaître cet effort exceptionnel, d’en porter témoignage et de le récompenser, non seulement par l’enseignement qu’on leur donne, mais aussi par le soutien qu’on doit leur apporter dans le déroulement de leur carrière, après comme pendant leur internat.
La compétence des internes actuels est-elle à la hauteur des responsabilités qu’ils exercent ?
Cela dépend évidemment de leur ancienneté dans leur formation et il nous appartient de ne pas confier aux plus jeunes des tâches au-dessus de leurs compétences et d’améliorer celles-ci, le plus rapidement possible, pour approcher le niveau requis. Je constate, comme beaucoup d’autres et depuis déjà assez longtemps, une véritable appétence pour l’apprentissage des techniques modernes d’investissement et de traitement avec, pour les plus expérimentés, un esprit critique que certains éléments des générations précédentes n’avaient pas, du moins aussi précocement. Surtout, le niveau des connaissances théoriques, physiologiques et physiopathologiques s’est considérablement amélioré et ce progrès est à mettre sur le compte de la formation mise en place au sein des nouvelles maquettes des DES et à la généralisation progressive de l’apprentissage de la recherche par le DEA, récemment remplacé par les enseignements théoriques et pratiques « à la paillasse » du MASTER.
Il est dommage que ces progrès dans la formation scientifique ne trouvent pas la rentabilité qu’on pourrait en attendre si l’hôpital, notamment universitaire, pouvait garder le plus grand nombre des éléments ainsi formés.
Faut-il se réjouir sans réserve de l’évolution que je viens de décrire à grands traits ?
Oui, certainement, mais en ajoutant quelques bémols qui pourraient constituer autant de conseils.
En premier lieu, il est fondamental que l’intérêt légitimement porté aux techniques amène nos internes et, par conséquent les futurs médecins, à ne pas négliger la clinique. C’est une récrimination fréquente des patients de n’avoir été ni écoutés ni examinés. Et puis il est évident, mais il faut inlassablement le rappeler, qu’une prescription intelligente et économe des examens complémentaires ainsi que l’interprétation critique de leurs résultats s’appuient non seulement sur une bonne connaissance de leur rapport bénéfice/risque mais aussi sur une juste appréciation de leur apport dans une situation clinique donnée.
En second lieu, mais c’est probablement une conséquence délétère de la médecine technique que nous pratiquons, certains de nos internes ne sont pas assez attentifs à la personne à laquelle ils délivrent des soins médicalement efficaces mais souvent insuffisants en termes relationnels pour guérir les « bobos à l’âme ». Il y a, dans notre rapport au souffrant que nous soignons, une obligation de comprendre les conséquences psychiques et sociales de la maladie que nos examens et nos traitements sont incapables de soulager, voire peuvent aggraver. Les malades et leurs familles nous reprochent moins nos hésitations et nos errements médicaux que notre ignorance du « désespoir d’avenir » que constituent la maladie et notre manière de la prendre en charge.
Enfin, il y a une dimension économique et sociologique de la médecine dont l’interne est un acteur et qu’il ne doit plus ignorer. Sans prendre parti dans le débat sur la nature conjoncturelle ou structurelle du déficit de la Sécurité sociale et des hôpitaux publics, tous les acteurs du monde de la santé – ordonnateurs comme consommateurs – devraient connaître l’organisation systémique de la santé dans les pays occidentaux et leurs modes de financement, ainsi que les enjeux et conséquences des réformes mises en place depuis dix ans, notamment à l’hôpital, par les pouvoirs publics. Ces réformes ont déjà et auront demain des conséquences de plus en plus importantes sur l’offre de soins, leur accessibilité pour tous et leur remboursement, ainsi que sur la démographie médicale et paramédicale, quel que soit le secteur d’exercice, hospitalier ou libéral.
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