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Thérapeutique

Publié le 06 fév 2007Lecture 10 min

Les nouveaux anticoagulants en salle de cardiologie interventionnelle

P. AUBRY et D. TCHETCHE, Groupe hospitalier Bichat-Claude Bernard, Paris


GRCI
Le terme « nouveaux anticoagulants » n’est pas forcément bien approprié car si effectivement des agents ayant une action directe contre la thrombine (bivalirudine) ou une activité anti-Xa sélective (fondaparinux) peuvent être considérés comme des thérapeutiques récentes, il n’en est pas de même des héparines de bas poids moléculaire (HBPM) pour lesquelles il vaut mieux parler d’un éventuel élargissement d’indication. Le but de cet article est de faire le point sur les arguments qui pourraient nous amener à modifier la place actuelle de l’héparine non fractionnée (HNF) dans les procédures coronaires interventionnelles.

Les principales thérapeutiques actives sur la coagulation Leurs caractéristiques ont été résumées dans les tableaux 1 et 2. L’HNF est l’anticoagulant le plus ancien et reste le plus utilisé. Elle inhibe indirectement, via l’antithrombine, les facteurs IIa (thrombine) et Xa avec un ratio d’activité d’environ 1/1. La préparation hétérogène de l’HNF explique son efficacité variable mais qui est mesurable rapidement par l’ACT (activated clotting time) en salle de cardiologie interventionnelle. Les HBPM dérivent de l’HNF par un processus de dépolymérisation permettant d’obtenir des molécules de plus petite taille qui inhibent préférentiellement le facteur Xa par rapport au facteur IIa, avec un ratio compris entre 2/1 et 4/1. Leur moindre action sur la thrombine ne permet pas de mesurer leur effet anticoagulant par l’ACT. Le fondaparinux est un pentasaccharide synthétique ayant une action inhibitrice indirecte et sélective du facteur Xa. Sa demi-vie longue permet une injection quotidienne sous-cutanée. Il n’induit théoriquement pas de thrombopénie et il a une biodisponibilité complète. Cette molécule est disponible (Arixtra™) actuellement en prévention de la maladie thromboembolique veineuse. La bivalirudine est une molécule de synthèse analogue à l’hirudine ayant une action directe sur la thrombine. Son affinité est élevée et sa demi-vie courte. Son effet anticoagulant est mesurable par l’ACT. Cette molécule est disponible (Angiox™) comme anticoagulant chez les patients subissant une intervention coronaire percutanée. C’est aussi l’anticoagulant à utiliser en cas de thrombopénie induite par les héparines.   Les grandes études Au cours de l’année 2006, ont été publiés les résultats de 5 études comparant l’efficacité et la tolérance de ces nouveaux anticoagulants. En 2003, avait été publiée REPLACE-2 : Bivalirudine and Provisional Glycoprotein IIb/IIIa Blockade Compared with Heparin and Planned Glycoprotein IIb/IIIa Blockade during Percutaneous Coronary Intervention (JAMA - février 2003). Le tableau 3 résume les caractéristiques de ces études. Les questions que l’on est en droit de se poser   L’angioplastie coronaire fait partie d’une prise en charge hospitalière où l’on est souvent amené à utiliser les anticoagulants dès l’admission du patient comme dans les syndromes coronariens aigus (SCA) avec ou sans sus-décalage de ST. Le traitement déjà institué est-il suffisant pour réaliser une procédure interventionnelle ou faut-il prévoir une anticoagulation complémentaire ? On souhaiterait n’utiliser qu’un seul anticoagulant lors de la phase hospitalière d’un SCA nécessitant une procédure interventionnelle. Rationalisation des prescriptions, réduction des risques de surdosage et absence d’effet rebond sont des avantages logiquement avancés. Mais il faut rappeller que les études comparant les différents anticoagulants n’étaient pas forcément construites pour évaluer l’angioplastie seule. Aussi, extrapoler certains résultats pour définir des nouveaux protocoles d’anticoagulation pour l’angioplastie peut être délicat. Une anticoagulation efficace est nécessaire au cours d’une procédure interventionnelle coronaire mais prévenir la formation d’un thrombus sur un guide métallique et éviter un processus thrombotique sur une plaque athéromateuse dilatée ne répondent sans doute pas aux mêmes mécanismes. Certaines études font état de formation anormalement élevée de thrombus sur matériel lorsqu’un anticoagulant inhibant préférentiellement le facteur Xa est utilisé seul. Les anticoagulants diffèrent par leurs mécanismes d’action et une inhibition directe ou indirecte de la thrombine reste donc bien indispensable au cours d’une procédure interventionnelle. À ce titre, la bivalirudine est avantageuse par rapport aux anti-Xa. Au cours de l’étude OASIS-5, un amendement a été ajouté recommandant l’utilisation de petites doses d’HNF dans le groupe fondaparinux. Le bras enoxaparine à 0,5 mg/kg a été interrompu avant la fin des inclusions dans STEEPLE en raison d’une tendance à une surmortalité non confirmée dans l’analyse finale. Aussi, un anticoagulant efficace pour un SCA ne l’est-il donc pas forcément lors d’une angioplastie associée. La supériorité des HBPM a été clairement démontrée dans les SCA dans la période précédant la coronarographie suivie si besoin d’une angioplastie. C’est l’enoxaparine (Lovenox™) qui a été le plus étudiée dans ce domaine. Un patient admis pour un SCA sans sus-décalage de ST et arrivant en salle de cardiologie interventionnelle sous une HBPM est donc une situation fréquente. Les recommandations actuelles soulignent le niveau de preuves encore assez bas à ce sujet, mais il est possible de réaliser une angioplastie coronaire dans les 8 heures suivant une injection d’HBPM sans une anticoagulation supplémentaire. Encore faut-il s’entendre sur ce dernier terme. Les bonnes pratiques recommandent de rincer au sérum hépariné à base d’HNF les cathéters et les guides, et les manœuvres de rinçage intracoronaires réalisées au cours d’une procédure avec du sérum hépariné assurent une anticoagulation complémentaire, même si elle n’est pas toujours signalée. L’utilisation d’un autre anticoagulant que l’HNF dans les solutions de rinçage expose à un risque thrombotique majoré au niveau du matériel introduit. En cas d’intervention percutanée réalisée 8 à 12 heures après la dernière injection d’HBPM, il est recommandé d’administrer un bolus IV de 0,3 mg/kg d’HBPM. Après 12 heures, il semble préférable d’utiliser l’HNF. Il existe des situations où, avant une angioplastie, le patient ne reçoit pas de traitement anticoagulant. Les recommandations actuelles sur une anticoagulation supposée efficace sont assez souvent empiriques car on dispose de peu d’études contrôlées dans ce domaine. Une absence complète d’anticoagulation expose certainement à un risque thrombotique procédural élevé alors qu’une anticoagulation excessive conduit à un surrisque hémorragique, principalement au niveau de la voie d’abord. Dans l’observatoire Français de l’Angioplastie coronaire dans le monde Réel (registre FAR du GACI), un angor stable ou une ischémie silencieuse représentent environ 45 % des indications en 2006, situations où un traitement anticoagulant préalable n’est pas utile. Dans ces cas, une anticoagulation à base d’HNF (selon les recommandations 2005 de l’ESC) semble encore logique lors d’une procédure interventionnelle avec une dose adaptée au poids, entre 50 et 100 UI/kg, selon que l’on utilise ou pas un anti-GPIIb/IIIa, et au mieux avec une surveillance par l’ACT surtout en cas de procédures longues ou de complications thrombotiques. La majorité des études comparatives citées ont souvent un groupe témoin ne correspondant plus forcément aux pratiques actuelles marquées par une expansion de la voie radiale, une réduction des protocoles d’anticoagulation et un renforcement de l’inhibition plaquettaire. La durée des procédures interventionnelles a également diminué avec la nécessité parfois de retirer un introducteur sous une anticoagulation encore élevée en cas de drogue à demi-vie longue. En dehors des SCA à haut risque, le taux d’événements ischémiques graves après une intervention percutanée est assez bas, aussi est-il plus judicieux pour les investigateurs de vérifier une hypothèse de non-infériorité ou de tenter de montrer une différence significative sur les complications hémorragiques, en sélectionnnant si possible les patients les plus à risque ou en utilisant des protocoles antithrombotiques forts. Une non-infériorité d’efficacité a été testée dans OASIS-5 entre le fondaparinux et l’enoxaparine, et dans REPLACE-2 entre la bivalirudine et l’HNF associée à un anti-GPIIb/IIIa. Il est un fait que, dans certains groupes recevant de l’HNF, cette dernière était souvent administrée à un niveau assez élevé généralement. Dans REPLACE-2, plus de 50 % des patients du groupe témoin recevaient un anti-IIb/IIIa avec un tableau clinique pourtant considéré à faible risque (angor stable ou ischémie silencieuse). L’abord radial n’était pas autorisé dans STEEPLE. Alors que, dans le registre FAR rapportant 2 551 angioplasties effectuées sur deux semaines en janvier 2006 dans 98 centres français, 42 % des procédures ont été réalisées par voie radiale. Les produits de contraste iodés possèdent tous un effet anticoagulant, mais de niveau variable. Les produits ioniques ont in vitro un pouvoir plus marqué que les produits non ioniques. Faut-il désormais choisir le produit de contraste en fonction du protocole d’anticoagulation utilisé ? Nous disposons de plusieurs études randomisées avec de larges effectifs ne montrant pas de différence significative sur les risques thrombotiques périprocéduraux entre les produits de contraste ioniques et non ioniques lorsqu’un protocole d’anticoagulation classique à base d’HNF est utilisé. Dans les études récentes discutées dans cet article, le type de produit de contraste était laissé à l’appréciation de l’opérateur, et il n’était pas précisé en cas de complications thrombotiques sur matériel. Néanmoins, nos connaissances des effets anticoagulants in vitro des produits de contraste incitent à la prudence en cas de changement de protocole d’anticoagulation. Une procédure interventionnelle coronaire doit être efficace en réduisant les risques ischémiques mais être aussi sûre que possible. Les critères de jugement préalablement choisis pour une étude comparative diffèrent selon que l’on veut mettre en évidence une meilleure efficacité ou des risques moindres. L’analyse globale des critères d’efficacité et de sûreté (déterminés comme primaires ou secondaires) montre qu’aucun nouvel anticoagulant ne réduit à la fois significativement les événements ischémiques et les complications hémorragiques. STEEPLE montre une meilleure sureté avec l’enoxaparine mais dans le bras faible dose interrompu précocement. Dans Ex-TRACT-TIMI 25, la meilleure efficacité de l’enoxaparine est associée à un surrisque hémorragique malgré une adaptation des doses chez les patients à risque. Il est possible qu’un manque de puissance gêne l’interprétation du risque ischémique dans les études ayant choisi la sûreté comme critère primaire. Néanmoins, OASIS 5 a montré qu’une réduction des risques hémorragiques, source connue de comorbidité hospitalière, pouvait s’associer à une moindre mortalité à moyen terme. On peut difficilement faire l’impasse sur l’autre partie du traitement antithrombotique avec les nombreux agents plaquettaires disponibles (aspirine, clopidogrel, anti-GP-IIb/IIIa) et utilisables en association. La thrombine est un agoniste reconnu de l’activation plaquettaire. On peut se demander s’il est nécessaire de bloquer puissamment la génération de thrombine si, parallèlement, une forte couverture antiplaquettaire est instituée, et inversement. C’est l’une des questions posées par les investigateurs d’ACUITY dont deux bras ont comparé un antithrombine seul (bivalirudine) à une association plus classique avec une héparine et un anti-IIb/IIIa. Cependant, la lecture de cette étude au dessin complexe n’est pas aisée avec en particulier des anticoagulants différents utilisés successivement dans le bras bivalirudine. La répartition des voies d’abord n’est pas précisée, pas plus que la gestion des points de ponction. Il faut rappeller aussi que la bivalirudine n’a jamais été comparée à l’HNF seule. Néanmoins, en plus de son action directe sur la thrombine, son effet inhibiteur de l’activation plaquettaire médiée par la thrombine rend cette molécule attractive. Des considérations économiques interviendront certainement dans nos choix futurs en raison du coût respectif de la bivalirudine et des anti-GPIIb/IIIa, de même que la durée préconisée du traitement antithrombotique après l’angioplastie pourra favoriser une molécule par rapport à une autre. Les autorisations de mise sur le marché en cardiologie interventionnelle n’existent pas encore pour toutes les molécules. Doit-on changer pour autant nos pratiques avec les résultats des études récentes ? Parmi les indications officielles de l’HNF, le fait que l’anticoagulation au cours de l’angioplastie n’y figure pas, laisse une certaine liberté. Comme aucun effet significatif sur la mortalité cardiovasculaire n’a été mis en évidence avec les nouveaux anticoagulants, il ne semble pas exister d’urgence à modifier nos pratiques actuelles. Cependant, les résultats portant sur les risques hémorragiques respectifs interpellent et l’acte interventionnel ne doit pas constituer un surrisque trop important, principalement au niveau du point de ponction. Les sytèmes de fermeture artérielle facilitent la mobilisation et réduisent la durée d’hospitalisation mais n’ont pas éliminé les complications hémorragiques graves locales. Peut-on aujourd’hui proposer une stratégie pour le traitement anticoagulant en salle de cardiologie interventionnelle avec les thérapeutiques actuellement à notre disposition ? Une démarche pragmatique pourrait être envisagée en tenant compte bien entendu du traitement déjà institué en amont mais aussi de la voie d’abord choisie ou possible. Pour l’angioplastie non urgente en dehors des SCA à très haut risque, une anticoagulation par une héparine devrait suffire. Si le besoin de renforcer le traitement antithrombotique apparaît, juste après la coronarographie ou lors de la procédure d’angioplastie, la bivalirudine pourrait être proposée en cas de voie fémorale, alors que les anti-GPIIb/IIIa seraient toujours utilisables en cas de voie radiale. Pour les SCA survenant sous anti-GPIIb/IIIa, des doses modérées d’héparine sont recommandées et la voie radiale devrait être privilégiée. Pour l’angioplastie primaire, l’absence de données sur les nouveaux anticoagulants rend plus sûre pour l’instant l’utilisation de l’HNF. Il en est de même après une thrombolyse lors d’une angioplastie de sauvetage en privilégiant aussi la voie radiale car c’est une situation comportant des risques hémorragiques élevés. La place du fondaparinux reste à déterminer, mais le choix d’un anticoagulant plus sûr en amont de l’angioplastie en assurant une activité anti-IIa suffisante simplement pendant la procédure interventionnelle peut être intéressant aussi. Les enquêtes montrent que l’uniformisation des pratiques dans ce domaine est loin d’être la règle aujourd’hui dans les centres de cardiologie interventionnelle français. Cela ne doit pas être forcément interprété comme une méconnaissance des recommandations, mais plutôt comme la nécessité d’autres études comparatives en tenant compte, certes, du contexte clinique, mais aussi de la technique d’angioplastie et des risques hémorragiques individuels.   En pratique   Les HBPM ont supplanté, à juste titre, l’HNF dans les SCA avant une coronarographie. Une activité anti GP-IIa suffisante reste indispensable au cours de l’angioplastie pour prévenir la formation de thrombus sur matériel. La prévention des complications hémorragiques est devenue aussi pertinente que celle des risques ischémiques. En fonction du traitement déjà instauré en soins intensifs et de la voie d’abord choisie, des stratégies antithrombotiques différentes peuvent être envisagées avec les nombreux agents anticoagulants et antiplaquettaires mis à notre disposition.

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