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Insuffisance cardiaque

Publié le 31 jan 2006Lecture 6 min

Quel traitement antithrombotique dans l'insuffisance cardiaque ?

P. MASSABUAU et M. GALINIER, Fédération des services de Cardiologie, CHU Rangueil, Toulouse

Malgré l’application de nouvelles stratégies thérapeutiques, le pronostic de l’insuffisance cardiaque reste sévère. Dans l’étude SOLVD (Study Of Left Ventricular Dysfunction), les accidents thromboemboliques représentent la troisième cause de mortalité et de morbidité. Tout un ensemble d’éléments pose le principe du traitement anticoagulant. Plusieurs points doivent cependant être discutés : l’incidence des phénomènes thromboemboliques, les méthodes de diagnostic, l’évaluation des risques embolique et hémorragique, les patients à risque, l’efficacité des traitements antithrombotiques et les recommandations.

En effet, l’insuffisance cardiaque réunit plusieurs éléments prédisposant au développement d’une thrombose. La diminution du débit cardiaque et de l’activité physique, les périodes de décubitus secondaires aux épisodes de décompensation génèrent une stase sanguine veineuse et intracardiaque associée à une augmentation de la viscosité. Les anomalies de la cinétique pariétale du ventricule gauche (akinésie, anévrisme), la fibrillation auriculaire, favorisent la formation de thrombus. D’autres facteurs participent à ce phénomène : la dysfonction endothéliale, l’augmentation de l’activation plaquettaire, l’hémoconcentration induite par le traitement diurétique. L’athérome aortique et carotidien joue un rôle important puisqu’il est souvent associé aux cardiopathies ischémiques qui représentent une des principales étiologies de l’insuffisance cardiaque.   L’incidence des phénomènes emboliques est difficile à chiffrer Les études consacrées à ce sujet sont rares et comportent de nombreux biais méthodologiques (analyse rétrospective, populations hétérogènes). Le taux annuel de complications thromboemboliques atteignait 12 % dans les premiers travaux. La réalité des thromboses intracardiaques avait été démontrée par des études anatomiques. Actuellement, les techniques ultrasonores permettent un diagnostic non invasif et fiable. Des séries plus récentes (SOLVD, V-HeFT I et II, CONSENSUS, AIRE, PROMISE), non dédiées à cet objectif, ont rapporté un risque annuel moyen de 1 à 4 %. Il s’agissait essentiellement d’accidents vasculaires cérébraux, les thromboses des membres inférieurs et les embolies pulmonaires étant moins fréquentes. De plus, l’analyse des données de la littérature montre que, dans de nombreux cas, la véritable cause d’une mort subite n’est pas formellement établie. La distinction entre une origine rythmique ou embolique est parfois délicate, d’autant que ces deux mécanismes sont parfois intriqués.   Diagnostic des complications thromboemboliques L’échocardiographie représente la méthode de référence pour le diagnostic de thrombus intracardiaque. L’échographie transthoracique détecte les thrombi intraventriculaires, précise leurs caractéristiques (topographie, taille, mobilité, nombre) et les éléments associés : dilatation des cavités, fonction systolique, étendue de l’akinésie, anévrisme. L’échographie transœsophagienne est fondamentale pour l’exploration de l’oreillette gauche et de l’auricule où siègent la plupart des caillots. Cet examen permet d’évaluer la fonction contractile de l’oreillette grâce à la mesure Doppler de la vitesse de vidange de l’auricule. Chez les patients en fibrillation auriculaire, la présence d’un effet de contraste spontané est fréquente. Il se présente sous la forme d’ images en volutes animées de mouvements lents. On peut l’observer chez des sujets en rythme sinusal qui présentent une dilatation des cavités et une atteinte sévère de la fonction systolique. Il est souvent associé à un athérome aortique et à une élévation du fibrinogène. C’est un important marqueur de stase sanguine et de risque embolique. Le mode transœsophagien permet également de détecter la présence d’athérome aortique ; son épaisseur et sa topographie contribuent à évaluer le risque embolique. En cas de thrombose veineuse des membres inférieurs, diagnostiquée par échographie, la découverte d’un foramen ovale perméable peut évoquer un phénomène d’embolie paradoxale. La tomodensitométrie établit formellement le site de l’embolie : pulmonaire, cérébrale ou périphérique.   Quels sont les patients à risque ? Plusieurs critères cliniques sont reconnus : prothèse valvulaire, valvulopathie mitrale sténosante, antécédents thromboemboliques, nombreux épisodes de décompensation, classe fonctionnelle III ou IV. Les données échocardiographiques sont fondamentales. Le risque embolique est accru en présence : • d’un ventricule dilaté, • d’une altération sévère de la fraction d’éjection, • d’une akinésie étendue ou d’un anévrisme, • d’un thrombus d’aspect récent, pédiculé ou mobile. Dans l’étude V-HeFT I (Vasodilator Heart Failure Trial) , une consommation maximale d’oxygène à l’effort < 14 ml/kg/min était associée à un risque plus élevé d’accidents thromboemboliques. Chez les sujets en fibrillation auriculaire, les études SPAF, AFASAK, BAATAF, SPINAF avaient individualisé plusieurs facteurs de risque embolique cliniques (âge > 65 ans, antécédents d’hypertension artérielle, d’accident vasculaire cérébral ou ischémique transitoire, d’insuffisance cardiaque, de diabète) et échocardiographiques (dysfonction systolique, dilatation de l’oreillette gauche, thrombus, contraste spontané, vitesse de vidange auriculaire ≤ 20 cm/s, athérome aortique complexe). Mais ces études ne concernaient pas spécifiquement les sujets en insuffisance cardiaque.   Quel traitement antithrombotique choisir ? Plusieurs données cliniques et échocardiographiques confirment la réalité et la sévérité des complications thromboemboliques. Elles justifient, a priori, la mise en œuvre d’un traitement. Pourtant, l’efficacité et les risques de ces traitements sont encore discutés.   AVK ou aspirine ? Les premières études, non randomisées, non dédiées à ce problème, retrouvaient un pourcentage plus faible d’embolies chez les patients traités par antivitamine K. Plus récemment, l’étude SOLVD a confirmé cette tendance. Un phénomène inverse a été constaté dans l’étude V-HeFT II où le risque semblait plus important dans le groupe traité par antivitamine K. L’étude WASH (Warfarin-Aspirin Study of Heart failure), prospective et randomisée, était destinée à comparer les conséquences de trois attitudes : • absence de traitement antithrombotique, • traitement par antivitamine K (warfarine), • traitement par antiagrégants plaquettaires, aspirine. Outre la faisabilité, les objectifs essentiels consistaient à évaluer les causes globales de mortalité, le nombre de décès et d’hospitalisations, l’incidence des infarctus et des accidents vasculaires cérébraux. Le groupe comportait 279 patients (âge moyen 60 ans), présentant une insuffisance cardiaque de type systolique (classe II : 70 %). Dans les trois groupes, les pourcentages de décès, d’infarctus et d’accidents vasculaires cérébraux n’étaient pas significativement différents. Le nombre d’hospitalisation était plus élevé dans le groupe aspirine (p < 0,05). Il s’agissait, en majorité, de causes cardiovasculaires (p = 0,007), notamment des aggravations de l’insuffisance cardiaque (p = 0,014). Le groupe warfarine totalisait 200 jours d’hospitalisations de moins que les deux autres groupes. Quatre accidents hémorragiques majeurs ont été observés avec les antivitamines K, un dans le groupe aspirine, aucun chez les non traités. Les auteurs confirment l’efficacité du traitement par AVK, ils émettent des réserves sur l’utilité et l’innocuité de l’aspirine. L’étude SOLVD évoquait un moindre rendement des inhibiteurs de l’enzyme de conversion chez les patients traités par aspirine.   HBPM ? L’intérêt des héparines de bas poids moléculaire (énoxaparine : 20 ou 40 mg) dans la prévention des thromboses veineuses profondes et des embolies pulmonaires a été prospectivement analysée (Samama, N Engl J Med, 1999) dans un groupe de patients hospitalisés pour insuffisance respiratoire ou cardiaque (stade III ou IV). L’incidence des événements thromboemboliques a été significativement moins importante dans le groupe énoxaparine 40 mg (5,5 %) que dans les groupes énoxaparine 20 mg (15 %) et placebo (14,9 %). La mortalité était comparable dans les trois groupes (40 mg : 11,4 %, 20 mg : 14,7 %, placebo : 13,9 %). Durant la période de traitement, 11 accidents hémorragiques majeurs, dont 3 décès (un dans chaque groupe) ont été observés.   Le risque hémorragique Le risque hémorragique global d’un traitement par les antivitamines K est estimé à 6 %. Il est directement lié à l’INR. Chez l’insuffisant cardiaque, les altérations fluctuantes de la fonction hépatique, les interactions médicamenteuses, l’âge et les comorbidités augmentent le risque d’incidents et d’accidents. L’objectif d’un INR à 2,5 est recommandé.   Les recommandations La prescription d’un traitement antithrombotique reste très souvent empirique. Les recommandations émises par la Société Européenne de Cardiologie ont néanmoins contribué à clarifier certaines situations. Plusieurs indications sont reconnues : • anticoagulants, chez l’insuffisant cardiaque présentant une fibrillation auriculaire, un antécédent embolique ou un thrombus mobile intraventriculaire (classe I, niveau d’évidence A) ; • antiagrégants plaquettaires chez l’insuffisant cardiaque avec coronaropathie sous jacente (classe IIa, niveau B) ; • anticoagulants oraux chez les patients ayant un antécédent d’infarctus et un thrombus mural intraventriculaire (classe IIa, niveau C) ; • anticoagulants oraux ou aspirine en prévention secondaire après un infarctus (classe IIa, niveau C) ; • l’aspirine pourrait être évitée chez les patients présentant une aggravation de leur insuffisance cardiaque avec hospitalisations itératives (classe II, niveau B) ; • les héparines de bas poids moléculaires semblent avoir un effet préventif bénéfique chez l’insuffisant cardiaque sévère alité (niveau C). L’incidence relativement modérée des complications thromboemboliques de l’insuffisance cardiaque impose une sélection rigoureuse des patients pouvant bénéficier d’un traitement antithrombotique. L’évaluation du bénéfice et du risque est fondamentale. Elle doit s’appuyer sur des critères cliniques et paracliniques. Les recommandations doivent être appliquées.

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