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Polémique

Publié le 30 nov 2012Lecture 8 min

Le scanner coronaire, arbitre de la douleur thoracique aux urgences ?

P. DUPOUY, M. HAKIM, M AUGUSTE, R. LABBE, G. HAQUIN, J.-M. PERNES, Hôpital Privé d’Antony

« Ne doutons pas que dans un avenir proche l’évolution technologique validera le scanner dans son rôle d’arbitre de la douleur thoracique aux urgences... »  
Depuis le développement des scanners hélicoïdaux multidétecteurs et de leur application cardiaque, nombre de publications se sont focalisées sur la place de cette technique dans le tri des patients consultant pour douleurs thoraciques aux services d’urgences. La douleur thoracique représente 30 % des motifs de consultations, soit 6 millions de consultations annuelles aux États-Unis. Le problème majeur pour l’urgentiste est de gérer l’accueil et l’orientation des patients vers une prise en charge appropriée ou de laisser repartir le patient après avoir éliminé les pathologies potentiellement les plus graves, dont le syndrome coronaire aigu.

  Le scanner coronaire est une technique d’imagerie non invasive, rapide et suffisamment précise pour éliminer avec une grande certitude une maladie coronaire suspectée. Toutes les études comparatives et leurs métaanalyses ont montré d’excellentes spécificité et valeur prédictive négative dans le diagnostic de sténose coronaire en comparaison avec la coronarographie(1). Par ailleurs, il a aussi été démontré que le pronostic en termes d’événements cardiovasculaires était excellent en cas d’artères coronaires normales au scanner avec moins de 1 % d’événements à 1 an(2). Dans ces conditions, on pourrait donc imaginer que le scanner coronaire est l’examen par excellence du bilan de la douleur thoracique dans un service d’urgence.  De la théorie à la pratique, de nombreuses questions demeurent encore La question de l’accessibilité à la technique et aux compétences nécessaires pour obtenir un examen de qualité interprétable Les différentes publications comparant scanner coronaire et coronarographie ont pu montrer que la précision diagnostique n’était pas la même dans tous les centres. La proportion d’examens interprétables s’échelonne de 84 à 100 % et si la sensibilité (vrai positif) est de façon récurrente à plus de 90 %, la spécificité (vrai négatif) a pu être calculée de 52 % à 100 % et la valeur prédictive négative de 84 à 100 %(1,3). Or dans le contexte du tri des patients aux urgences, c’est justement la spécificité (vrais négatifs) et la valeur prédictive négative (faux négatifs) qui nous intéressent.  Avec une telle disparité des valeurs de précision diagnostique sur des examens faits sur des patients stables, le plus souvent préparés, on peut légitimement se poser la question de la pertinence du même examen pratiqué avec des équipes moins entraînées et dans un contexte d’urgence. À qui s’adresse le scanner coronaire dans l’urgence du diagnostic d’une douleur thoracique ? À l’évidence pas à tous les patients : outre les conditions cliniques traditionnellement associées à une piètre qualité du scanner coronaire (tachycardie, arythmie, dyspnée), il faut bien sûr ne pas orienter sur l’imagerie en coupe un authentique syndrome coronaire aigu qui nécessiterait une prise en charge interventionnelle adaptée la plus rapide possible, sans perte de temps, synonyme de perte de chance pour le patient. Le bilan classique interrogatoire, ECG et biologie reste de mise et le scanner, s’il est demandé, ne sera interprété qu’en fonction de ce bilan initial. Le bon sens clinique reste aussi primordial, le scanner cardiaque ne pouvant répondre qu’à une question précise déjà orientée sur les coronaires, le péricarde et éventuellement l’aorte initiale. Le protocole d’injection et la faible largeur des champs utilisés ne permettront pas d’évaluer suffisamment une possible embolie pulmonaire, un épanchement pleural, un pneumothorax ou autre pneumopathie.   La question de la pertinence du scanner coronaire aux urgences chez des patients suspects d’angor(4,5) Cette année deux publications du New England Journal of Medicine ont abordé cette problématique. Il s’agit de deux études randomisées, visant l’une à évaluer la sécurité du scanner coronaire en termes d’événements cardiovasculaires à 30 jours par comparaison avec une attitude traditionnelle sans scanner et l’autre, la durée d’hospitalisation avec ou sans scanner. Dans cette dernière, l’aspect sécurité clinique n’apparaît qu’en critère secondaire de même qu’une étude de coût.  Il est important de noter que ces deux études, de même que toutes celles qui ont été préalablement publiées, sont des études diurnes dans le sens où les scanners ont été pratiqués en heures ouvrables, jamais de nuit. Leurs conclusions se limitent donc aux patients à risque faible qui peuvent attendre l’ouverture du scanner le lendemain ou aux patients admis dans la journée, le scanner étant accessible dans la structure, même sans transfert.  Dans ces conditions de fonctionnement, ces études confirment le bon pronostic clinique d’un scanner coronaire indemne de plaque coronaire sténosante sur une population de patients à risque intermédiaire puisqu'il n’y pas de différence en termes d’événements cardiaques à 30 jours entre ces patients et ceux qui n’ont pas eu de scanner. De plus, la durée d’hospitalisation est plus courte avec le scanner qui permet donc de trier plus rapidement les patients.    Curieusement, dans ROMICAT-II cette sous-consommation de ressources hospitalières n’induit pas d’économie budgétaire significative, en raison du coût important du scanner aux États-Unis.  Quant à la comparaison avec d’autres techniques d’évaluation de l’ischémie myocardique, il va sans dire que la scanner qui a été comparé à la scintigraphie sort largement vainqueur sur la durée d’hospitalisation, sans faire prendre de risque particulier au patient. Surtout si comme dans cette étude publiée en 2011, il s’agit de scintigraphie d’effort-redistribution(6). Curieusement, la mesure du score calcique a peu été étudiée dans ce contexte Il s’agit pourtant d’un examen rapide, facile, peu irradiant, sans iode et surtout quasiment indépendant de la qualité de l’acquisition. La seule étude, publiée en 2010, fait état d’une sensibilité de 97 % pour les scores calciques nuls et d’une valeur prédictive négative de 99 % jusqu’à un score calcique de 36(7). Dans l’étude ROMICAT-I publiée en 2009, sur une série de 368 patients il n’y a eu qu’un seul syndrome coronaire aigu en l’absence de calcifications(8). Le scanner coronaire en complément du bilan clinique et paraclinique ? La douleur thoracique aux urgences d’un hôpital reste un vrai défi diagnostique où la clinique et l’électrocardiogramme doivent rester les points d’évaluation princeps incontournables pour éviter de prendre du retard pour une éventuelle indication de revascularisation.  L’interrogatoire qui permet d’évaluer le niveau de risque du patient est frustrant en ce qui concerne les facteurs de risque dont on sait que dans ce contexte ils n’ont quasiment aucun pouvoir discriminant(9).   Conclusion Dans ce contexte, une technique d’imagerie rapide et non invasive qui permettrait d’éliminer toute arrière pensée de maladie coronaire est donc promise à un bel avenir. Pour autant, le scanner coronaire répond-il dès maintenant au cahier des charges ? On peut en douter quand on voit la dispersion des précisions diagnostiques sur une technique qui n’est malheureusement pas encore accessible dans tous les centres et souvent pas la nuit.  Une alternative serait la mesure du score calcique qui reste encore à évaluer sur une plus large population dans cette indication.   Il n’en reste pas moins qu’il serait stupide de se passer du scanner quand toutes les conditions à une bonne acquisition sont réunies et qu’il existe un doute diagnostique raisonnable.  Ne doutons pas que dans un avenir proche l’évolution technologique validera le scanner dans son rôle d’arbitre de la douleur thoracique aux urgences.   À propos d’un cas clinique   Mr M. 55 ans se présente à 11 heures aux urgences pour une douleur thoracique modérée, sans irradiation apparue vers 10 heures du matin.  À l’interrogatoire, il ne présente pas de facteurs de risque. La douleur est persistante. L’examen clinique ne montre pas de particularités.  Le dosage de la troponine US H1 de la douleur est < 14 (normale).     Il s’agit en réalité d’un infarctus inférieur en cours de constitution, de présentation clinique et ECG frustes (figure 1), chez un patient à risque intermédiaire.    Figure 1. ECG réalisé à 11 h : ST suspect en D2, D3, VF ; pas de miroir ?   Le scanner de dépistage réalisé en urgence (figure 2) confirme la maladie athéromateuse coronaire et permet le diagnostic d’occlusion coronaire faisant gagner du temps sur le délai de reperfusion par rapport aux dosages biologiques. Une coronarographie est réalisée dans la foulée (figure 3) et confirme les données du scanner coronaire.  Cette observation confirme l’utilité potentielle du scanner coronaire sur un diagnostic clinique et biologique incertain mais souligne l’importance d’une faisabilité de tous les instants, loin d’être accessible à tous les services d’urgence.  Figure 2. 12 h : H2 de la douleur, l’urgentiste, inquiet, demande un scanner coronaire (en l’absence d’arguments clairs pour la coronarographie) et en attendant le 2e dosage de troponine.   Figure 3. Suite au scanner qui diagnostique une maladie coronaire et sur l’argument de la douleur thoracique, une coronarographie est décidée, avant le dosage de troponine H3 qui s’élève à 57 (N < 14). La coronaire droite est en fait occluse et collatéralisée.   

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