Publié le 31 mai 2013Lecture 9 min
Pourquoi ralentir le cœur de l’insuffisant cardiaque ?
F. CARRÉ – Explorations fonctionnelles, hôpital Pontchaillou – Université de Rennes 1-INSERM U 1099
Le ralentissement de la fréquence cardiaque est recommandé comme un objectif thérapeutique chez l’insuffisant cardiaque. Cela peut surprendre, car cette tachycardie est une adaptation de l’organisme pour répondre à la défaillance mécanique du muscle cardiaque. Cet article expose en quoi cette adaptation devient, en fait, rapidement délétère pour ce myocarde défaillant.
La pression artérielle moyenne (PAm), garante d’échanges sang-tissus efficaces, est la variable régulée de la circulation. Ses deux facteurs de régulation sont le débit cardiaque (DC) et les résistances périphériques totales (RPt), qui sont reliés à la PAm par la formule Pam = DC x RPt, le DC étant luimême égal au produit FC x VES (FC = fréquence cardiaque et VES = volume d’éjection systolique), PAm = FC x VES x RPt. En cas d’insuffisance cardiaque systolique, la fraction d’éjection, donc le VES, est diminuée, de même que le DC. Pour maintenir une PA efficace, l’organisme va alors mettre en place deux types d’adaptations, une tachycardie et une vasoconstriction (figure 1). La tachycardie est sous la dépendance du système nerveux sympathique et des catécholamines circulantes. La vasoconstriction est due initialement aussi à ces modifications neurohormonales, renforcées secondairement par l’action du système rénine-angiotensine-aldostérone, puis par d’autres adaptations hormonales. Ces adaptations sont efficaces à court terme pour maintenir une PA efficace, mais elles vont rapidement devenir délétères. La maladie de l’organe initiale devient donc une maladie de l’organisme.
Figure 1. Schéma résumant les différents facteurs qui interviennent dans le débit cardiaque.
Les thérapeutiques pharmacologiques actuelles de l’insuffisance cardiaque systolique cherchent à limiter l’effet de ces adaptations. Ainsi, les β-bloquants, longtemps contre-indiqués chez l’insuffisant cardiaque, vont, outre leur effet préventif sur la mort subite, s’opposer à la down regulation des β-récepteurs induite par l’hyperstimulation catécholergique. De même, les molécules vasodilatatrices limitent la vasoconstriction responsable d’une élévation de la postcharge synonyme de surcroît de travail cardiaque. Plusieurs études ont montré la relation négative et indépendante des autres facteurs de risque, qui existe entre tachycardie, facteur d’adaptation de l’organisme, et l’espérance de vie dans l’insuffisance cardiaque systolique(1,2,3). De même, il existe une relation entre sévérité de l’insuffisance cardiaque et difficulté de contrôle de la tachycardie(4,5).
Tachycardie et contractilité
Sur un cœur sain, la force de contraction augmente avec la fréquence cardiaque jusqu’à une fréquence d’environ 140 bpm, sans altérer significativement la qualité de relaxation de ces fibres myocardiques. Cette adaptation très bénéfique pour la performance myocardique disparaît en cas de cardiopathie dilatée, la fibre myocardique « insuffisante » ayant perdu ses qualités. La tachycardie devient alors délétère, avec perte de l’efficacité contractile et majoration de la pression ventriculaire gauche diastolique.
Tachycardie et consommation myocardique d’oxygène
La consommation d’oxygène du myocarde (MO2), reflet de sa dépense énergétique, est le produit du débit coronaire par la différence artério-veineuse myocardique en oxygène. Chez un sujet au repos, le cœur, qui doit toujours maintenir un débit sanguin adapté aux besoins de l’organisme, a une MO2 relativement élevée grâce à une différence artério-veineuse marquée. En effet, celle-ci est égale à 70 % de sa capacité maximale (contre 20-30 % en moyenne pour les autres organes). Cela signifie que la réponse adaptée du myocarde à des besoins accrus en oxygène dépend essentiellement des capacités d’augmentation du débit coronaire, d’où l’importance de l’intégrité anatomique et fonctionnelle de l’arbre vasculaire myocardique. Une augmentation de la FC intervient sur le débit coronaire. En effet, la perfusion coronaire est essentiellement diastolique, en particulier au niveau du ventricule gauche en raison de sa masse musculaire plus élevée que celle du ventricule droit. Or, l’élévation de la FC raccourcit le cycle cardiaque essentiellement au dépend de la diastole (figure 2), d’où une limitation de la durée de perfusion des coronaires. Chez un sujet sain, le temps de diastole reste supérieur au temps de systole même pour une FC maximale. En revanche, chez l’insuffisant cardiaque chez qui, pour le même niveau de FC, le temps de systole est augmenté pour compenser la baisse de la qualité contractile de la fibre myocardique décrite précédemment, le temps de diastole peut devenir inférieur au temps de systole, limitant ainsi la perfusion du muscle cardiaque.
Figure 2. Schématisation des effets de la tachycardie sur les durées des deux composantes du cycle cardiaque (1 = systole et 2 = diastole). Le temps de diastole diminue plus que celui de la systole.
La MO2 augmente avec l’activité de ce muscle. On peut grossièrement estimer le travail myocardique par la fréquence cardiaque et la pression artérielle, la contractilité et le volume ventriculaire ayant un rôle relativement moins important. Ainsi, il est classique d’estimer la MO2 par le « double-produit » FC x PA ou MO2 = FC2 x VES x RP. Le coût énergétique d’un battement cardiaque est donc très élevé et réclame un apport en oxygène adapté. L’importance du coût énergétique d’un battement cardiaque supplémentaire est encore plus marquée chez l’insuffisant cardiaque. En effet, le travail cardiaque peut être représenté graphiquement par la surface sous la courbe de la relation pression- volume du ventricule gauche(6,7) (figure 3). Selon cette relation, le cycle cardiaque forme une boucle comprise entre deux lignes, la relation pression-volume télésystolique qui reflète la contractilité myocardique et la relation pression- volume télédiastolique qui reflète la compliance du muscle cardiaque (figure 3a). La postcharge imposée au ventricule gauche – ou élastance artérielle (Ea) – peut aussi être analysée à la figure 3a, où Ea est la ligne qui relie la pression télédiastolique à la pression télésystolique. Ea est bien estimée par le produit FC x RPt. Ainsi une augmentation de la FC tout comme une élévation des RPt majorent Ea, ce qui augmente nettement le travail cardiaque et diminue le VES. Sur un cœur insuffisant, l’effet délétère de la tachycardie est encore plus prononcé (figure 3b). Cet effet direct de la tachycardie sur la postcharge se surajoute à la baisse de contractilité des fibres myocardiques insuffisantes abordée précédemment.
Figure 3. Représentations graphiques de la relation pression-volume du ventricule gauche lors d’un cycle cardiaque pour deux niveaux de fréquence cardiaque (1 = 60 bpm ; 2 = 100 bpm). Le travail myocardique (consommation myocardique d’oxygène) pour un battement cardiaque est représentée par la surface grisée. L’élastance (Ea1 et Ea2) est représenté par la ligne qui joint les pressions télédiastolique (PTDVG) et télésystolique (PTSVG). Le volume d’éjection systolique (VES1, VES2 2). – A = sujet sain et B = insuffisant cardiaque – est caractérisé par un volume et une PTDVG augmentés, une pente de contractilité aplatie et une élastance augmentée et un VES diminué. Lorsque la fréquence cardiaque augmente la pente de l’élastance et le travail cardiaque augmentent.
En pratique
La tachycardie de l’insuffisant cardiaque est, avec la vasoconstriction, l’un des principaux mécanismes d’adaptation mis en place par l’organisme pour maintenir une pression artérielle efficace. Elle depend essentiellement de mécansimes neurohormonaux. Cette adaptation devient cependant rapidement délétère, et ce d’autant plus que l’insuffisance cardiaque s’aggrave. Du point de vue physiopathologique, la correction de la tachycardie de ces patients, comme celle de leur vasoconstriction, paraît donc bénéfique.
Cas clinique
Cette observation illustre l’apport d’une baisse de la fréquence cardiaque chez l’insuffisant cardiaque mal équilibré avec fréquence cardiaque élevée.
Monsieur G., cadre bancaire âgé de 59 ans, est suivi médicalement pour une une cardiopathie ischémique. Sa maladie a été révélée par un infarctus antérieur traité par la mise en place précoce d‘un stent nu sur l’artère interventriculaire antérieure, seul vaisseau porteur d’une lésion visible. L’évolution de cet accident aigu a été compliquée par un thrombus apical au niveau du ventricule gauche résolutif sous antivitamines K, et par une dysfonction ventriculaire avec fraction d’éjection (FEVG) évaluée à 30 % en échocardiographie.
Lors de sa réadaptation, le reconditionnement à l’effort a été d’intensité très modérée en raison d’une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) persistante (pression artérielle pulmonaire systolique estimée à 60-65 mmHg en échocardiographie), malgré les doses croissantes de furosémide. Un angioscanner a éliminé une embolie pulmonaire.
Après 4 mois d’évolution, le patient asthénique et modérément dyspnéique (NYHA II-III, dyspnée 1 étage) n’a toujours pas pu reprendre son travail. Son traitement quotidien associe : furosémide 160 mg, éplérénone 25 mg, bisoprolol 2,5 mg, ramipril 5 mg, atorvastatine 80 mg, clopidogrel 75 mg, aspirine 75 mg, fluindione et ésoméprazole. À l’examen physique, il n’y a pas de signes périphériques d’insuffisance cardiaque et sa pression artérielle se situe à 85/65 mmHg ; l’ECG s’inscrit en sinusal avec une fréquence cardiaque à 74 bpm et des séquelles de nécrose (figure 4).
Figure 4. ECG.
Sur le plan biologique, la créatininémie est à 150 micromoles. l-1 avec une clairance rénale estimée à 60 ml.min-1, le taux de BNP est égal à 650 mg.
L’échocardiographie retrouve à gauche une FEVG à 30 % avec un débit cardiaque satisfaisant (VTI sous-aortique = 17 cm), un flux mitral restrictif, un rapport E/Ea = 8 et une minime insuffisance mitrale centrale. Les cavités droites ne sont pas dilatées, la veine cave inférieure est fine et compliante à l’inspiration et une HTAP encore sévère est mesurée à 63 mmHg (figure 5).
Figure 5. Strain global longitudinal abaissé à 9,7 %.
Commentaire
Devant cette insuffisance cardiaque mal stabilisée avec une fréquence cardiaque supérieure à 70 bpm et en accord avec les recommandations européennes sur le traitement de l’insuffisance cardiaque publiées en 2012, un traitement par ivabradine 10 mg/j est ajouté, la dose de furosémide est abaissée à 80 mg/j. Le reste du traitement n’est pas modifié.
Deux mois après cette adaptation thérapeutique, le poids est stable, la symptomatologie est améliorée (NYHA II, dyspnée 2 étages), la pression artérielle est à 95/70 mmHg, la fréquence cardiaque de repos a diminuée à 62 bpm, la créatininémie est stable et le taux de BNP a baissé à 350 mg. Enfin l’échocardiogramme rapporte une FEVG de 35 % et une baisse de la pression artérielle pulmonaire systolique à 45 mmHg. Ce cas clinique illustre clairement le fait que la baisse de la fréquence cardiaque en réduisant la postcharge peut améliorer la contractilité et avoir par elle-même, une action bénéfique. L’histoire n’est évidemment pas terminée chez ce patient difficile à stabiliser, mais il va désormais pouvoir débuter un vrai programme de reconditionnement à l’effort et d’éducation thérapeutique. La mise en place d’un défibrillateur implantable est discutée.
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