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Valvulopathies

Publié le 30 avr 2013Lecture 7 min

Histoire naturelle de la bicuspidie aortique

C. TRIBOUILLOY, CHU d’Amiens

La bicuspidie aortique est la malformation congénitale cardiaque la plus fréquente. Sa prévalence est de 0,5 à 1 % dans la population générale avec une prédominance masculine franche (3 hommes pour 1 femme). La bicuspidie aortique est souvent découverte par une anomalie auscultatoire, parfois par des complications valvulaires ou vasculaires aortiques ou de manière fortuite lors de la réalisation d’une échocardiographie pour le bilan d’une autre pathologie. Le diagnostic est le plus souvent posé en échocardiographie. Cette anomalie peut se compliquer à plus ou moins long terme d’une atteinte fonctionnelle sévère de la valve aortique sur le mode fuyant ou sténosant et/ou d’une dilatation anévrismale de l’aorte thoracique source de complications vasculaires (figures 1 et 2). Il est donc important d’en faire le diagnostic.  

Le pronostic de la bicuspidie a récemment été étudié dans deux études nord-américaines. Le suivi prospectif moyen des 642 patients (âge moyen de 35 ans) de l’étude canadienne est de 9 ans(1). Celui des 212 patients (âge moyen de 32 ans) de l’étude de la Mayo Clinic est de 15 ans(2). Dans ces deux séries, la mortalité à long terme n’est pas augmentée dans le groupe bicuspidie par rapport à la population générale. Néanmoins, les patients inclus dans ces deux études sont à l’inclusion le plus souvent à faible risque, sans valvulopathie significative, ni dilatation anévrismale de l’aorte ascendante. Ces deux séries récentes montrent donc qu’il n’y a pas de surmortalité significative en présence d’une bicuspidie. En revanche, la morbidité est loin d’être négligeable puisque 27 % des patients de la série de la Mayo Clinic (figure 3) et 22 % de la série canadienne ont évolué au cours du suivi vers une valvulopathie aortique sévère et/ou une atteinte aortique (figure 1) conduisant à la chirurgie au terme du suivi.   Figure 1. Anévrisme de l’aorte ascendante touchant l’aorte tubulaire dans un contexte de bicuspidie aortique (échocardiographie transthoracique).     Figure 2. Dissection aortique aiguë de type A dans un contexte de bicuspidie aortique (échocardiographie transœsophagienne).     Figure 3. Taux d’événements chirurgicaux à 20 ans de la première cohorte de la Mayo Clinic incluant 212 patients asymptomatiques porteurs d’une bicuspidie(2).  Complications valvulaires    Le risque évolutif de la bicuspidie est avant tout valvulaire (rétrécissement aortique, insuffisance aortique, maladie aortique). Dans la série canadienne(1), lors des 9 ans de suivi, 22 % des patients ont été opérés : 13 % des patients d’un rétrécissement aortique, 6 % d’une insuffisance aortique et 2 % d’une complication aortique. Dans l’étude de la Mayo Clinic(2), sur le suivi moyen de 15 ans, 24 % des patients ont bénéficié d’une chirurgie de remplacement valvulaire aortique et 5 % d’une chirurgie de l’aorte ascendante (figure 3). La valvulopathie la plus fréquente est de loin la sténose aortique qui s’aggrave progressivement par le jeu des calcifications. Ainsi, pratiquement 50 % des patients dans les pays industrialisés bénéficiant d’un remplacement valvulaire aortique (si l’on exclut les atteintes rhumatismales) sont porteurs d’une bicuspidie après examen de la pièce opératoire(3). L’insuffisance aortique sur bicuspidie peut être secondaire à la dilatation aortique et/ou à un prolapsus d’un ou des deux sigmoïdes. La régurgitation peut aussi compliquer une endocardite infectieuse. Le jet est central quand la régurgitation est liée à la dilatation de la racine aortique, excentré en cas de prolapsus. Le prolapsus touche le plus souvent la valve en position antérieure, à l’origine d’un jet « excentré » se dirigeant vers la valve mitrale antérieure.  La bicuspidie aortique peut faire le lit de l’endocardite infectieuse et se complique alors d’abcès annulaires dans 50 % des cas dans une série récente(4). Dans ce travail, une bicuspidie aortique est notée dans 16 % des endocardites sur valve aortique. Ces endocardites sur bicuspidie ont conduit à une chirurgie cardiaque pendant l’hospitalisation dans 75 % des cas. Si l’on regarde maintenant le risque d’endocardite en présence d’une bicuspidie, l’incidence est faible dans la série de la Mayo Clinic où 4 patients sur 212 ont constitué une endocardite sur un suivi moyen de 15 ans(2). Dans la cohorte canadienne(1), l’endocardite est aussi peu fréquente, rapportée chez 13 patients (2 %, incidence de 0,3 % par patient et par année de suivi). Ces données tendent donc à montrer que l’incidence de l’endocardite sur bicuspidie aortique est relativement faible mais qu’elle conduit dans la majorité des cas à un traitement chirurgical pendant la phase hospitalière.   Complications vasculaires    Une atteinte associée de l’aorte ascendante chez les patients porteurs d’une bicuspidie est fréquente, touchant environ 50 % des patients, souvent précoce et potentiellement évolutive. Elle apparaît indépendante de l’atteinte valvulaire. L’analyse de pièces opératoires aortiques montre une charpente musculaire et élastique disloquée, proche de celle trouvée en présence d’un syndrome de Marfan, responsable d’une fragilisation de la paroi de l’aorte initiale, d’une dilatation et de la constitution d’un anévrisme de la racine aortique qui expose au risque de dissection ou de rupture.  Dans l’étude princeps de la Mayo Clinic(2), parmi les 143 patients ayant bénéficié d’un suivi échocardiographique, le diamètre de l’aorte ascendante est passé en moyenne de 35 à 39 mm après 10 ans de suivi (39 % de la population avait un diamètre supérieur à 40 mm à 10 ans pour 15 % à l’inclusion). Dans l’étude canadienne(1), une augmentation moyenne du diamètre aortique au niveau des sinus de Valsalva de 0,2 mm par an est rapportée. À l’inclusion, 28 % des patients avaient une dilatation des sinus de Valsalva (diamètre supérieur à 40 mm). Au terme du suivi, près de la moitié de la population (45 %) avait une dilatation aortique au niveau des sinus et/ou de l’aorte ascendante. L’équipe de la Mayo Clinic a rapporté en 2011 une 2e étude centrée sur les complications aortiques de 461 patients porteurs d’une bicuspidie et d’âge moyen de 35 ans. Dans ce travail, le risque relatif d’apparition d’un anévrisme de l’aorte ascendante (défini par un diamètre > 45 mm) en présence d’une bicuspidie a été estimé à 86 et l’incidence de cet événement à 25 ans calculée à 26 % (figure 4)(5). Ainsi, le taux de chirurgie de l’aorte ascendante dans cette série est de 25 % à 25 ans.    Figure 4. Incidence à 25 ans de l’apparition d’un anévrisme de l’aorte ascendante (défini par un diamètre > 45 mm) et de dissection aortique dans la 2e cohorte de la Mayo Clinic(2).      Les patients porteurs d’une bicuspidie sont donc à risque de dissection aortique (figure 2). Dans le registre IRAAD (International Registery of Acute Aortic Dissection) regroupant 591 dissections aortiques opérées, une bicuspidie de la valve aortique est notée dans 4,7 % des cas(6). On note dans les séries récentes que la dissection aortique complique actuellement rarement la bicuspidie. Dans la 2e étude la Mayo Clinic, 2 cas seulement de dissection aortique parmi les 461 patients sont survenus sur le suivi moyen de 16 ans. Le risque relatif de dissection en présence d’une bicuspidie a été estimé à 8,4 et l’incidence à 25 ans calculée à 0,5 % (figure 4) traduisant un risque absolu faible(5). Dans la cohorte canadienne(2), 2 % des patients ont constitué une dissection aortique et l’incidence de la dissection aortique est de 0,1 % par patient et par année de suivi. Cela correspond à la survenue de 5 cas sur 642 patients en 9 ans de suivi moyen. Dans ces deux séries, la grande majorité des patients qui ont disséqué avait un diamètre aortique au-dessus de 45 mm. Néanmoins, aucune étude de la littérature n’a pour l’instant clairement démontré une relation entre le diamètre aortique et le risque de dissection aortique en présence d’une bicuspidie.    Conclusion     La bicuspidie aortique se complique fréquemment d’atteintes fonctionnelles de la valve aortique nécessitant à terme une correction chirurgicale. Ainsi, après 15 ans de suivi, 25 % des patients de la série de la Mayo ont eu une chirurgie valvulaire aortique(2). Une dilatation de l’aorte ascendante est associée dans environ 50 % des cas et conduit fréquemment à la constitution d’un anévrisme de l’aorte ascendante. Ce dernier expose les patients à un risque de dissection aortique qui est néanmoins modeste (risque absolu faible) quand on suit les recommandations actuelles basées sur des indications chirurgicales aortiques « prophylactiques » à partir de certains seuils de diamètres aortiques. Le suivi clinique et par échocardiographie des patients porteurs de bicuspidie est donc essentiel pour évaluer le potentiel évolutif de l’atteinte valvulaire et aortique et optimiser la prise en charge thérapeutique.   Références disponibles sur biblio@cardiologie-pratique.com   

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