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Thérapeutique

Publié le 16 mai 2006Lecture 9 min

Les injections intramusculaires ou intraauriculaires - Sont-elles contre-indiquées en cas de traitement anticoagulant ou antithrombotique ?

V. BONNIAUD et B. PARRATTE, CHU de Besançon

Les patients sous traitement anticoagulant oral ou antiagrégant plaquettaire peuvent nécessiter des injections intramusculaires ou intraarticulaires. Cette situation se rencontre le plus souvent chez les patients hémiplégiques, après un accident vasculaire cérébral ischémique, lors des douleurs d’épaule nécessitant des injections intraarticulaires ou lors de spasticité pouvant être l’indication d’injection intramusculaire de toxine botulique. Le risque hémorragique alors certain et il est donc nécessaire d’évaluer le rapport risque/bénéfice avant tout geste d’injection. Les cliniciens doivent donc se poser plusieurs questions avant de les réaliser : le traitement peut-il être arrêté ou une fenêtre thérapeutique est-elle possible ? Comment diminuer le risque hémorragique sans augmenter le risque thrombotique ? Quelles précautions prendre lors des injections ?

Même si les injections intramusculaires ou intraarticulaires ne font pas partie de la pratique clinique en cardiologie, les médecins cardiologues sont régulièrement confrontés à ce problème chez leurs patients sous traitement anticoagulant oral ou antiagrégant plaquettaire qui peuvent nécessiter un tel geste. Cette situation se rencontre majoritairement au cours de pathologies de l’épaule chez des patients sous traitement anticoagulant ou antithrombotique. La population concernée est surtout représentée par les patients ayant des séquelles neuro-fonctionnelles d’un accident vasculaire cérébral (AVC) et présentant des complications telles que des douleurs d’épaule ou de la spasticité au niveau de l’hémicorps déficitaire. Lors de douleurs d’épaule dans le cadre d’un syndrome douloureux régional complexe de type II (syndrome épaule-main ou syndrome algoneurodystrophique) ou de capsulose rétractile, des infiltrations intraarticulaires sont fréquemment indiquées. Des injections intramusculaires de toxine botulinique sont aussi couramment utilisées au cours du développement de phénomènes hypertoniques nocifs de type spastique. D’autres circonstances cliniques imposent de réaliser des injections intraarticulaires, telle l’arthrite dans un objectif diagnostique et thérapeutique. La pratique d’injection intraarticulaire et surtout intramusculaire expose à un risque hémorragique lorsque le patient est sous antiagrégants plaquettaires ou anticoagulants oraux et ce, d’autant que les infiltrations doivent être renouvelées à intervalles plus ou moins longs (de quelques jours à quelques mois). Les complications hémorragiques secondaires à un geste d’infiltration réalisé sous anticoagulants oraux existent et ne doivent pas être niées. Ce risque est plus discuté sous antiagrégants plaquettaires. Ces situations sont régulièrement rencontrées en médecine générale, en rhumatologie et en médecine physique et de réadaptation. Le cardiologue est alors sollicité pour savoir si le traitement anticoagulant ou antithrombotique contre-indiquent les injections intraarticulaires ou musculaires. Étant donné qu’il n’existe aucun consensus, plusieurs questions doivent être posées afin de préciser cette conduite à tenir.   Le traitement peut-il être arrêté ou une fenêtre thérapeutique est-elle possible ? (encadré 1) Encadré 1. Le traitement anticoagulants oraux ou antiagrégants plaquettaires peut-il être arrêté ou une fenêtre thérapeutique est-elle possible ? • Traitement par AVK à conserver impérativement : • cardiopathies emboligènes telles les valvulopathies du coeur gauche, • AVC ischémique à risque élevé de récidive : dissection artérielle, thrombose veineuse cérébrale, macroangiopathie sténosante serrée et évolutive, tronc basilaire, dolichoartères intracrâniennes, efficacité insuffisante des antiagrégants, maladies de la coagulation, AVC du sujet jeune, cardiopathies emboligènes, fibrillation auriculaire. • Fenêtre thérapeutique autorisée : • AVC ischémique sans risque élevé de récidive Cette question se pose en fonction du contexte clinique. Dans le cadre d’une cardiopathie emboligène, telles les valvulopathies du cœur gauche, les prothèses mécaniques, les fibrillations auriculaires chroniques non valvulaires, le maintien des traitements antithrombotiques n’est pas discutable. C’est chez le patient victime d’un AVC d’origine ischémique et sous traitement antithrombotique (antiagrégants plaquettaires ou anticoagulants oraux) que se discute un arrêt ou une fenêtre thérapeutique lors de l’indication éventuelle d’une injection. Les indications du traitement anticoagulant oral au long cours sont, dans le cadre des AVC ischémiques, principalement associées à la mise en évidence formelle d’une cardiopathie emboligène telles les valvulopathies du cœur gauche ou les prothèses mécaniques. L’utilité de ce type de traitement a été aussi démontrée lorsque le bilan étiologique est en faveur d’une fibrillation auriculaire chronique non valvulaire. La décision de prescription d’antivitamines K (AVK) et sa durée sont donc posées par le neurologue et le cardiologue. Les principaux critères décisionnels sont l’étiologie de l’AVC et le risque de récidive. Les AVK sont alors prescrits et maintenus en prévention secondaire d’un AVC ischémique survenant dans un contexte évident et à risque élevé de récidive : dissection artérielle, thrombose veineuse cérébrale, macroangiopathie sténosante serrée et évolutive, tronc basilaire, dolichoartères intracrâniennes, efficacité insuffisante des antiagrégants, maladies de la coagulation, AVC du sujet jeune, cardiopathies emboligènes, fibrillation auriculaire. Compte tenu du risque, l’anticoagulation ne peut être interrompue. Ainsi, dans le cadre de la prévention secondaire, tous les AVC ischémiques bénéficient d’un traitement antithrombotique qui doit être poursuivi selon les indications du neurologue. Néanmoins, une fenêtre thérapeutique peut être effectuée avec les antiagrégants plaquettaires comme avec les AVK et gérée en fonction du type d’antithrombotique. Comment diminuer le risque hémorragique sans augmenter le risque thrombotique ? (encadré 2) Encadré 2. Comment diminuer le risque hémorragique sans augmenter le risque thrombotique ? · Lors d’un traitement par AVK : • après arrêt du traitement AVK, • prescription d’une HBPM sous forme de 2 injections par jour (8 heures et 20 heures), • Au 5e jour, dosages de l’INR et du TP : - injection possible si TP > 65 % et INR < 2 - l’injection d’HBPM n’est pas faite le matin du geste, - l’injection du soir est ensuite réalisée, • reprise des AVK dès la fin du programme d’injections en même temps que la poursuite des HBPM qui seront arrêtées selon le protocole habituel lorsque deux INR consécutifs à 2 jours d’intervalle sont en zone thérapeutique. · Lors d’un traitement par antiagrégants plaquettaires : • Si arrêt temporaire possible : - injection conseillée 7 à 10 jours après l’arrêt, • Si l’arrêt du traitement antiagrégant n’est pas autorisé : - utiliser momentanément un AINS à fort pouvoir antiagrégant : flurbiprofène (Cebutid â) à la dose de 100 mg (en 2 prises de 50 mg par jour).   Avec les AVK Le risque hémorragique chirurgical impose d’obtenir en préopératoire un INR compris entre 1,5 et 2. En dehors de ce contexte bien codifié, et même si Thumboo et O’Duffy n’ont pas observé dans leur étude de complication hémorragique au cours des 32 infiltrations intraarticulaires ou des parties molles réalisées chez 25 patients sous AVK avec un INR < 4,5, il paraît prudent compte tenu de la difficulté de certains gestes d’injection de conserver les règles préconisées d’utilisation habituelle. Ainsi, la diminution de posologie du traitement par AVK doit être effectuée pour obtenir un INR < 2. Lorsque l’anticoagulation reste impérative, l’arrêt temporaire des AVK doit être réalisé sous couverture anticoagulante à l’aide d’une héparine de bas poids moléculaire (HBPM) ou d’une calcithérapie, dont l’avantage est d’être évaluée par le TCK. Dans ces contextes cliniques chroniques, il n’y a le plus souvent aucune urgence pour ces injections intraarticulaires ou intramusculaires, ce qui laisse la possibilité d’un relais thérapeutique. Par exemple et sur le plan pratique, après arrêt du traitement AVK, une HBPM peut être prescrite sous forme de 2 injections par jour (8 heures et 20 heures) avec surveillance bihebdomadaire des plaquettes. Au 5e jour, les dosages de l’INR et du taux de prothrombine (TP) permettent ou récusent l’injection : un TP supérieur à 65 % et un INR < 2 sont nécessaires pour autoriser le geste. Dans ce cas, l’injection d’HBPM n’est pas faite le matin du geste. L’injection du soir est ensuite réalisée. Les AVK sont repris dès la fin du programme d’injection en même temps que la poursuite des HBPM qui seront arrêtés selon le protocole habituel lorsque deux INR consécutifs à 2 jours d’intervalle sont en zone thérapeutique.   Sous antiagrégants plaquettaires Si le risque hémorragique sous antiagrégants plaquettaires est discuté, il est néanmoins connu, rarement prévisible et quantifiable. Il est vécu régulièrement dans les laboratoires d’explorations neuromusculaires lors de la réalisation des examens électromyographiques de détection à l’aiguille. Ce risque est indépendant de la dose que ce soit avec l’aspirine, la ticlopidine ou le clopidogrel, du fait de leur action irréversible sur les plaquettes par le biais d’une inhibition de la cyclooxygénase pour l’aspirine, de la fixation de l’adénosine diphosphate pour les thiénopyridines. En fonction de la demi-vie des plaquettes, l’action de ces molécules se poursuit de 7 à 10 jours. Le risque est dose-dépendant avec les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) qui inhibent aussi la cyclooxygénase, mais de façon réversible. La durée d’inhibition dépend de la durée de présence de la molécule dans le plasma. Ainsi, et même si certains auteurs ne recommandent aucune précaution particulière, lors de la réalisation d’infiltrations intraarticulaires ou intramusculaires, les antiagrégants plaquettaires sont généralement arrêtés temporairement. Chez les patients victimes d’AVC ou de cardiopathie ischémique, l’arrêt pendant quelques jours des antiagrégants est la plupart du temps autorisé par le neurologue ou le cardiologue. Quand la réalisation d’injection intramusculaire ou intraarticulaire n’est pas une urgence, il est prudent de garantir au patient le minimum de risque en retardant le traitement de 7 à 10 jours au terme desquels l’effet antiagrégant est épuisé. Si l’arrêt du traitement antiagrégant n’est pas autorisé, il est préférable d’utiliser momentanément un AINS à fort pouvoir antiagrégant et dont l’un des intérêts est d’avoir un effet réversible en quelques heures. Le flurbiprofène (Cebutid) à la dose de 100 mg (en 2 prises de 50 mg par jour) peut être utilisé en remplacement. Son activité est épuisée en 24 heures et l’injection est réalisée juste avant une des deux prises quotidiennes.   Quelles précautions prendre lors des injections ? (encadré 3) Encadré 3. Quelles précautions prendre lors des injections ? · S’interroger sur les sites d’injection pour minimiser le risque de perforations vasculaires. · Les aiguilles utilisées sont fines (21 à 25 G). · Aspiration avant d’injecter le produit pour rechercher une éventuelle brèche vasculaire. Pour la réalisation d’un geste local, au-delà du respect des règles d’hygiène largement débattues, et particulièrement lors des injections intramusculaires de toxine botulinique, pour diminuer le risque d’accident hémorragique, il est nécessaire de s’interroger sur les sites d’injection. Au niveau des articulations, et même si le patient est sous antiagrégants plaquettaires, certains auteurs estiment que le risque hémorragique lors d’infiltrations est mineur, d’autant plus que les aiguilles utilisées sont fines (21 à 25 G). Ainsi, une simple compression manuelle au point d’infiltration pendant 1 à 2 minutes après le geste suffit pour compenser une action antiagrégante. Pour les injections intramusculaires de toxine botulinique, les aiguilles utilisées servent à la fois au repérage par des techniques électromyographiques (électrostimulation ou détection) et à l’injection du produit. Leur calibre est faible également, 25 et 26 G. Les sites d’injection sont conditionnés par les zones de plus grande densité de terminaisons nerveuses et de plus grande concentration en jonctions neuromusculaires. Les aborder entraîne parfois un risque de perforation vasculaire. L’électrostimulation ou la détection utilisée pour le ciblage des sites d’injection, que nous préconisons et qui permet un positionnement extrêmement précis de l’aiguille dans le muscle à traiter, évite ce risque. La progression en profondeur de l’aiguille doit toujours être contrôlée par une aspiration simultanée orientant vers une éventuelle brèche vasculaire. La connaissance de l’anatomie clinique topographique permet de limiter le risque de perforation des pédicules vasculaires profonds. Ainsi lors de chaque injection, en fonction de la localisation anatomique du muscle à injecter et d’autant qu’un risque vasculaire existe, une réflexion sur les voies d’abord des injections s’impose en s’appuyant sur les connaissances fournies par l’anatomie clinique. Conclusion   La réalisation d’injections intraarticulaire ou intramusculaire chez un patient sous traitement anticoagulant oral ou antiagrégant plaquettaire expose au risque d’hémorragie locale, source d’un éventuel hématome compressif et douloureux. Cette complication est rare si l’on prend soin de raisonner ce risque, de différer le traitement de quelques jours afin de préparer le patient à recevoir l’injection et de s’assurer de l’innocuité des voies d’abord du geste. Cela impose un partenariat décisionnel avec le médecin cardiologue, qui a prescrit le traitement anticoagulant ou antiplaquettaire, et le médecin traitant si un relais thérapeutique s’impose. Une bibliographie sera adressée aux abonnés sur demande au journal.

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