Publié le 15 juin 2020Lecture 12 min
Adhésion, observance et persistance thérapeutique - Un défi pour les malades diabétiques et pour les soignants
Lisa LUDWIG, Bruno GUERCI, service d’endocrinologie, diabétologie et nutrition & Université de Lorraine, Hôpital Brabois Adultes, CHRU de Nancy, Vandoeuvre-lès-Nancy
La prévalence et l’incidence croissantes des maladies chroniques ont parallèlement fait émerger les concepts d’adhésion, d’observance ou encore de persistance, souvent utilisés de façon interchangeable mais le sont-ils vraiment ? La réponse est non, nous y reviendrons. Mais d’abord, pourquoi est-ce si important ?
Le manque d’adhésion thérapeutique : un obstacle bien connu
Le manque d’adhésion des patients dans la gestion de leur maladie chronique est un enjeu mondial de santé publique. En effet, cette adhésion sous-optimale est retrouvée, d’après l’OMS, chez plus de 50 % des patients, et entraîne un contrôle largement insuffisant de la maladie chronique pouvant se traduire par une diminution de l’efficience de la thérapeutique et par conséquent la survenue de complications médicales ou psychosociales, la réduction de la qualité de vie ou encore en l’augmentation des coûts de santé. Ainsi, l’amélioration de l’adhésion des patients à leur schéma thérapeutique respectif pourrait avoir un impact considérable sur leur état de santé, peut-être même plus conséquent que celui généré par l’ajout d’une molécule supplémentaire, en leur permettant d’exploiter le potentiel maximal de chaque traitement ou intervention(1).
Cette difficulté à adhérer à une prise en charge thérapeutique et à contribuer activement et durablement à un état de santé a d’ailleurs été analysée et semble être un processus dynamique et continu influencé par 5 types de facteurs : socio-économiques, liés à l’équipe médicale et au système de santé, liés à la maladie, liés au traitement et liés au patient lui-même(1-3). Cette analyse des comportements de santé a permis de faire évoluer les pratiques de soins grâce, par exemple, à la mise en place de programmes spécifiques d’éducation thérapeutique pour les personnes atteintes de maladies chroniques ou leurs proches, afin de favoriser la compréhension de la pathologie et d’éclairer leur perception du risque encouru pour une meilleure acceptabilité de la prise en charge et la promotion d’un comportement de santé.
Avec une prévalence de 5 % au sein de la population française adulte (soit 3,3 millions de personnes), le diabète, majoritairement de type 2, est un véritable fardeau médical et économique. En 2013, une étude sur la consommation moyenne annuelle de soins des patients diabétiques de type 2 a révélé que le coût de la prise en charge du diabète de type 2 et de ses complications représentaient 8,5 milliards d’euros en France, soit environ 5 % du total des dépenses de santé, tandis que les dépenses de santé des personnes diabétiques atteignent 19,5 milliards d’euros(4). L’étude CODE-2 a, quant à elle, mis en évidence qu’en Europe, seuls 28 % des patients traités pour un diabète atteignent leurs objectifs de contrôle glycémique(5).
Cependant, le contrôle de la maladie diabétique nécessite bien plus que de prendre simplement ses médicaments pour ralentir la progression de la maladie et prévenir ses complications : réaliser des glycémies capillaires ou scanner (et analyser !) son dispositif de mesure en continu du glucose par exemple, adapter son régime alimentaire, ou encore réaliser un suivi régulier pour dépister d’éventuelles complications micro- et macrovasculaires. Combien de patients réalisent effectivement l’ensemble de ces mesures de façon appropriée et durable ? Aux États-Unis, le constat est sans appel : 2 % seulement des patients seraient parfaitement adhérents à l’ensemble des recommandations de l’American Diabetes Association (ADA) pour la gestion de leur diabète(1). Plus alarmant encore, les patients diabétiques présentent fréquemment d’autres comorbidités (HTA, hyperlipidémie, obésité, etc.) dont la prise en charge se heurte aux mêmes difficultés individuelles d’adhésion. Le coût des hospitalisations, incluant le traitement à long terme de complications comme les pathologies cardiovasculaires, représenterait à lui seul 30 à 65 % du coût total du diabète.
Par ailleurs, la différence d’efficacité des traitements observée dans les études en vie réelle en comparaison des essais randomisés contrôlés (randomized controlled trials, RCT) a, par exemple, été étudiée chez le patient diabétique de type 2 avec les agonistes du récepteur au GLP- 1 (Glucagon-Like Peptide-1) et les inhibiteurs de la DPP-4 (DiPeptidyl- Peptidase-4) dans une étude rétrospective faisant appel aux données de délivrance en pharmacie(6). Les patients étudiés en vie réelle présentaient, en moyenne, une réduction bien moindre de l’HbA1c (GLP-1 RA : -0,52 % ; DPP4 : -0,51 %) que celle rapportée dans les RCT (GLP-1 RA : -1,30 % ; DPP4 : -0,68 %). Une analyse exploratoire des causes de cet écart d’efficacité a mis en évidence que les trois quarts de la moindre efficacité observée en vie réelle étaient attribuables à une moins bonne adhésion des patients au traitement qu’il soit oral ou injectable. Autre exemple, l’étude rétrospective des données de délivrance en pharmacie d’une cohorte de 677 patients a mis en évidence qu’une baisse de 10 % d’observance à la metformine et aux statines était associée à une augmentation de 0,14 % de l’hémoglobine glyquée et de 4,9 mg/dl du LDL-cholestérol(7). Ainsi, il ne fait aucun doute que l’amélioration de l’adhésion à la prise en charge du diabète par le patient représenterait un bénéfice humain, social et économique substantiel. Les autorités de santé l’ont bien compris et s’intéressent de plus en plus à l’adhésion des patients, avec pour défi premier de l’évaluer dans des études de « vraie vie ».
Adhésion, observance, persistance : concepts et définitions
Adhésion, observance, persistance : de quoi parle-t-on vraiment ? Ces termes sont souvent utilisés de façon interchangeable alors qu’ils possèdent chacun leurs spécificités, parfois subtiles.
• L’adhésion (adherence en anglais) correspond à l’approbation réfléchie de l’individu à prendre en charge sa maladie, accepter son traitement et adopter de manière active et volontaire un comportement de santé visant à obtenir un résultat thérapeutique. L’adhésion fait donc référence au degré de correspondance entre le comportement du patient — incluant la prise des médicaments, le suivi de mesures hygiéno-diététiques, la réalisation des examens complémentaires demandés ou encore le respect des rendez-vous médicaux — et les recommandations des professionnels de santé. Cela sous-entend que le patient accepte sa maladie, qu’il comprend l’intérêt de son ou ses traitement(s) et qu’il va mettre en oeuvre une série de moyens pour obtenir le résultat thérapeutique. L’acceptation et la coopération active du patient avec le corps médical sont donc des éléments fondamentaux. L’adhésion est difficilement mesurable dans sa globalité, et nécessiterait des modèles intégratifs complexes prenant en compte les dimensions comportementale et motivationnelle des patients(8- 11).
• L’observance (compliance en anglais) fait référence à l’acte de se conformer aux recommandations médicales sur le plan du traitement médicamenteux, c’est-à-dire respecter la posologie (dosage, fréquence, durée) et les modalités d’administration de chaque médicament (ex. avant un repas, technique d’injection d’un médicament).
• La persistance (persistence en anglais) représente la durée durant laquelle le patient va continuer à prendre son traitement. En d’autres termes, il s’agit de l’intervalle de temps entre l’initiation et l’arrêt d’un traitement. Adhésion, observance et persistance sont donc intimement liés ; l’observance et la persistance pouvant être considérées comme deux sous-unités quantifiables de l’adhésion (figure 1).
Figure 1. Définitions d’observance et persistance. (D’après Cramer et al.(8)).
Observance et persistance : comment les mesurer ?
Il n’existe, à ce jour, aucun « gold standard » pour l’évaluation et la quantification de l’adhésion des patients.
Plusieurs méthodes de mesure directes ou indirectes ont été proposées : dosage sanguin d’un médicament ou de l’un de ses métabolites, dosage d’un marqueur biologique, questionnaires aux patients, comptage des unités de traitement, taux de renouvellement des prescriptions, évaluation de la réponse clinique du patient, piluliers électroniques, dosage d’un marqueur physiologique ou encore journal de suivi du patient. Toutes ces méthodes présentent des avantages et des inconvénients(9), et une approche combinant données objectives et déclaratives serait probablement optimale pour l’évaluation globale de l’adhésion des patients à leur schéma thérapeutique.
Récemment, l’utilisation des données rétrospectives de délivrance des médicaments en pharmacie (pharmacy claims en anglais) pour évaluer l’observance et la persistance médicamenteuses s’est développée et, avec elle, des mesures telles que le Medication Possession Rate (MPR) ou le Proportion of Days Covered (PDC) ont émergé(7). Détaillons-les.
Le taux d’observance est couramment estimé par la mesure du taux de possession du médicament ou Medication Possession Rate (MPR) qui correspond au nombre d’unités de traitement (UT) délivrées au patient sur une période de temps prédéfinie rapporté au nombre théorique total d’UT que le patient aurait dû se procurer en pharmacie pendant la période de référence choisie (exprimé en %)(8,10). En d’autres termes simplificateurs : un ratio moyen dispensation/prescription.
On considère généralement qu’un MPR est satisfaisant lorsqu’il est d’au moins 80 %(8). Cette valeur arbitraire devrait cependant être rapportée au phénotype clinique des patients et de sa maladie puisque le contrôle de certaines pathologies nécessite un taux d’observance bien plus élevé pour obtenir un résultat clinique optimal. Dans le cadre de l’infection à VIH (virus de l’immunodéficience humaine) par exemple, un taux d’observance de 95 % est nécessaire pour contrôler la charge virale des malades de façon appropriée(9). Enfin, soulignons que la mesure du MPR est globalement surestimée car on suppose que toutes les unités de traitement qui sont délivrées à la pharmacie ont été prises, idéalement correctement, par le patient.
Le MPR peut être exprimé et interprété de 2 façons :
– soit comme une variable binaire où l’on définit une valeur seuil (ex. 80 %) classant alors le patient comme « observant » ou « non observant » ;
– soit comme une variable continue avec une valeur moyenne ou médiane représentant l’observance de toute la population(8).
Lorsqu’un patient est polymédicamenté — ce qui est systématiquement le cas en diabétologie — l’observance reposera sur l’ensemble de la stratégie thérapeutique et non sur l’observance d’un médicament pris isolément. L’observance globale sera donc calculée en faisant la moyenne de l’observance de chaque produit pris individuellement. Noter que l’observance d’un patient dont le schéma thérapeutique comprend plus de 3 médicaments ne sera, en moyenne, pas satisfaisante.
Le MPR pourra être mesuré lors du suivi de maladies chroniques, puisque les patients devront régulièrement revenir en pharmacie pour se procurer le renouvellement de leur prescription, et à condition que les posologies soient fixes. Par exemple, le MPR est difficilement calculable pour les traitements anticoagulants dont la posologie varie chez tous les patients en fonction de l’INR. Une variante pour estimer l’observance consiste à mesurer les écarts dans la possession médicamenteuse (continuous medication gaps) de façon à avoir une idée du temps pendant lequel le patient n’a pas le médicament en sa possession et ne peut donc pas le prendre. Pour cela, on divise la somme des jours d’écart entre deux renouvellements (ou entre la première délivrance et les renouvellements) dans la période d’observation par le nombre de jours total entre la première délivrance et le dernier renouvellement(10). La valeur ainsi obtenue donne une indication sur les comportements de patient associés au renouvellement d’une ordonnance et pourra dans certains cas être négative (le patient s’est procuré le renouvellement de sa prescription à l’avance à la pharmacie) ou positif (le patient est allé faire renouveler son ordonnance trop tard, il ne dispose plus de ses médicaments jusqu’à ce qu’il se rende dans sa pharmacie, il y a un écart)(10).
La proportion de jours couverts ou Proportion of Days Covered (PDC) est une seconde mesure d’observance et de persistance qui n’est plus basée sur le nombre d’unités thérapeutiques délivrées mais sur le nombre de jours couverts par la délivrance du médicament(8,10). Il s’agit du ratio entre le nombre de jours où le patient dispose de son traitement sur le nombre total de jours dans la période concernée.
La mesure du PDC est, elle aussi, généralement considérée comme satisfaisante si elle est d’au moins 80 %. À la différence du MPR, la formule du PDC permet d’ajuster la mesure en s’affranchissant des périodes de chevauchement dans le cas de patients qui se rendraient en pharmacie pour faire renouveler leur traitement quelques jours à l’avance dans l’idée de ne pas en « manquer » ; il ne peut donc pas être supérieur à 100 % (compris entre 0 et 100 %). En revanche, tout comme le MPR, la mesure du PDC est probablement surestimée car on formule l’hypothèse que toutes les unités de traitement délivrées par la pharmacie sont réellement prises par le patient.
Le PDC peut être considéré comme une mesure conjointe d’observance et de persistance, puisqu’un jour n’est considéré comme « couvert » que si la posologie journalière prescrite a été délivrée et que cette posologie est respectée à travers le temps.
Pour mesurer la persistance, des variantes du PDC sont utilisées et s’expriment :
– soit en proportion de patients qui n’ont pas laissé passer plus de X jours (généralement 30, 60 ou 90 jours) entre deux renouvellements – on appelle cela un « écart permissible » –, ce qui correspond à la proportion de patients toujours sous traitement à la fin de la période de référence (variable binaire « persistant » vs « non persistant »). Cet écart permissible sera défini soit à partir des propriétés pharmacologiques des traitements étudiés ou de la situation clinique pour définir une durée maximale possible sans médicament et sans diminution de la réponse thérapeutique et/ou sans perte de chance (NB : un écart permissible de 90 jours est souvent retenu, et certainement critiquable). Cela permet notamment d’identifier les interruptions de traitement précoces, c’est-à-dire les patients qui n’ont pas fait renouveler la délivrance de leur traitement au-delà d’une durée prévue ;
– soit en nombre de jours (moyens/médians) avant l’arrêt prolongé rapporté à la période de référence (variable continue)(8).
Une variante de la mesure de la persistance consiste à évaluer le nombre de renouvellements délivrés sur une période de temps prédéfinie (ex. 12 mois). Par exemple, si on considère un traitement par metformine délivré dans un conditionnement de 90 unités de traitement et une période de référence d’une année, le patient devrait avoir bénéficié d’au moins 4 délivrances en pharmacie pour une persistance optimale.
Conclusion
Le manque d’adhésion, d’observance et de persistance des patients confrontés à une maladie chronique et à leur prise en charge thérapeutique représente un réel défi de santé publique pour tenter d’optimiser/de maximiser les bénéfices potentiels de chaque traitement prescrit ou recommandation de santé. L’éducation thérapeutique s’est notamment développée pour répondre à ce besoin ; de nombreux travaux ont été conduits pour essayer de cerner les déterminants de ce manque d’adhésion et évaluer son impact médical et économique.
Par ailleurs, face à la problématique majeure de l’adhésion thérapeutique et à l’arrivée continue de nouvelles molécules aux voies (orale ou injectable) et fréquences (journalière, hebdomadaire, voire mensuelle) d’administration variable, susceptibles de conditionner le niveau d’observance et de persistance thérapeutiques des patients, l’ISPOR a également formé un groupe de travail international (The Medication Adherence and Persistence Special Interest Group) pour mieux définir les notions d’adhésion, d’observance et de persistance et pour mieux encadrer la méthodologie des projets de recherche portant sur l’observance et la persistance des patients puisqu’il n’existe à ce jour aucun « gold standard ».
Le MPR et le PDC sont deux mesures courantes d’observance et de persistance, à considérer de façon complémentaire et non isolément. Un patient peut être observant mais pas persistant, ou bien persistant vis-à-vis d’une seule partie de son traitement, ce qui le rendra insuffisamment observant. Médecins, infirmiers, diététiciens, psychologues mais aussi pharmaciens ont un rôle majeur à jouer dans l’amélioration de l’adhésion globale des patients par une action éducative multidisciplinaire et coordonnée pour la santé publique. Et pour le patient, un message à transmettre : « Soigne-toi, aie le souci de toi, aime-toi » (Gérard Reach(2)).
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