Publié le 16 mar 2010Lecture 7 min
L'insuffisance cardiaque aiguë du sujet âgé
P. DE GROOTE, CHRU Lille
Les Journées européennes de la SFC
L’espérance de vie augmente dans les pays occidentaux. En France, elle est estimée actuellement à 84,5 ans pour la femme et à 77,6 ans pour l’homme. Le nombre d’octogénaires ne cesse de croître. Cette population fragile envahit nos hôpitaux et nécessite une prise en charge adaptée à sa situation. L’admission en urgence d’un octogénaire essoufflé est fréquente. Cette situation est probablement trop souvent mise sur le compte d’une insuffisance cardiaque.
Caractéristiques cliniques
Les grands registres récents ont retrouvé des données similaires(1-3). Comparativement aux patients moins âgés, les octogénaires hospitalisés pour une décompensation cardiaque sont plus souvent de sexe féminin, plus souvent hypertendus avec, dans environ 40 % des cas, une fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) considérée comme non altérée.
La fibrillation auriculaire est présente dans près de la moitié des cas. Élément important dans le registre EuroHeart Failure Survey II, 45 % des patients ont une décompensation cardiaque de novo révélant la cardiopathie(1). En Europe, comme aux États-Unis, le taux de réadmission après un épisode aigu est de l’ordre de 35 %, identique à celui de la population plus jeune(4). En revanche, toutes les études démontrent une mortalité hospitalière et à 1 an plus élevée chez les octogénaires par rapport à la population plus jeune (figure).
Figure. Euro Heart Failure Survey II. Courbes de survie des patients hospitalisés pour décompensation cardiaque selon l’âge. D’après la référence 1.
Pronostic
Les prédicteurs de mortalité sont différents dans cette population. Les différentes analyses multivariées réalisées dans diverses populations ont mis en avant les paramètres de fragilité liés à l’âge. Ainsi, dans EuroHeart Failure survey II(1), les paramètres de mauvais pronostic hospitalier sont, certes, le choc cardiogénique (risque relatif (RR) ajusté : 5,2 [1,77-15,33]) et le syndrome coronaire aigu (RR = 3,62 [1,79-7,32]), mais suivis du confinement au lit (RR = 3,08 [1,32-7,2]). Un an après l’hospitalisation, les paramètres de mauvais pronostic sont en premier lieu le degré d’autonomie du patient (RR = 1,6 [1,03-2,49]), le diabète (RR = 1,56 [1,12-2,18]) et l’âge (RR = 1,51 [1,24-1,84]).
Comorbidités
Les comorbidités sont extrêmement fréquentes. Ainsi, dans un registre de plus de 86 000 octogénaires, 70 % des patients avaient plus de 3 comorbidités(2). Dans l’étude MEDICARE(5), 35 % des 122 630 insuffisants cardiaques de plus de 65 ans ont plus de 5 comorbidités.
Il s’agit essentiellement de pathologies neuropsychiatriques, pulmonaires, rénales, articulaires ainsi que fréquemment du diabète et la présence d’une anémie.
Ces comorbidités influent énormément sur la mobilité des patients et leur autonomie, avec bien entendu un impact sur la prise en charge thérapeutique. Ces patients sont polymédicamentés avec un risque d’effets secondaires et d’interactions médicamenteuses non négligeables.
Présentations cliniques
Nous n’aborderons pas la décompensation cardiaque du syndrome coronaire aigu, dont la prise en charge est liée à celle du problème coronaire. On peut distinguer deux grandes présentations cliniques de l’insuffisance cardiaque aiguë du sujet âgé aux urgences : l’œdème aigu pulmonaire et la décompensation cardiaque globale. Dans les deux cas, la FEVG peut être altérée ou non. La détermination de la FEVG n’est pas une urgence conditionnant la prise en charge thérapeutique immédiate. En revanche, pendant l’hospitalisation et du moins avant la sortie, il est souhaitable de déterminer cette FEVG, la thérapeutique étant mieux codifiée pour les patients avec une dysfonction systolique du ventricule gauche.
Dans les deux cas, une évaluation globale, prenant en compte l’autonomie du patient avant le problème aigu, devra être réalisée.
Cette évaluation est difficile, surtout aux urgences, chez un patient admis pour un problème aigu, parfois seul, sans sa famille ou ses proches. Une question importante est d’essayer d’apprécier le niveau de réanimation qui doit être mis en œuvre. Il faudra dans la mesure du possible retarder ou éviter l’intubation nasotrachéale.
Dans l’œdème aigu pulmonaire
L’état d’épuisement du patient et la tension artérielle vont conditionner son pronostic et sa prise en charge.
En effet, ces deux paramètres vont déterminer la capacité du patient à attendre l’effet des traitements. Une tension artérielle basse va limiter les doses des médicaments efficaces, nécessitant parfois le recours aux inotropes positifs et à l’intubation. L’épuisement sera responsable d’une bradypnée avec une saturation en oxygène basse, ne répondant ni à l’oxygénothérapie, ni à la ventilation non invasive. L’intubation risque d’être inévitable. Celle-ci n’est pas forcément catastrophique à condition que le tableau clinique soit bien un œdème aigu du poumon et que cette intubation soit de courte durée. Il arrive qu’une intubation de moins de 24 heures redresse une situation semblant initialement désespérée.
La décompensation cardiaque globale
Elle est souvent à prédominance droite avec des signes évidents de rétention hydro-sodée. Les patients sont souvent dyspnéiques mais la situation est moins préoccupante que dans l’œdème aigu pulmonaire. Les diurétiques permettent rapidement de contrôler la situation.
Toute dyspnée chez un octogénaire, isolée ou associée à des signes de rétention hydro-sodée, n’est pas synonyme de décompensation cardiaque. Il faudra être vigilant et chercher les autres causes de dyspnée : avant tout les décompensations respiratoires, dominées par les surinfections bronchiques, mais aussi des causes générales comme l’insuffisance rénale ou l’anémie.
Il est évident que, dans cette population, des formes mixtes, cardio-pulmonaires ou cardio-rénales, sont fréquentes. Le dosage des peptides natriurétiques de type B n’est pas d’une grande aide diagnostique sauf si le taux plasmatique est normal ou très élevé. La fameuse « zone d’ombre » est beaucoup plus importante chez le sujet âgé, certains ayant parfois plus de 500 pg/ml de BNP sans pathologie cardiaque cliniquement parlante. Les erreurs diagnostiques sont bien entendu plus fréquentes en cas de FEVG préservée. Toute dyspnée à FEVG préservée n’est pas une insuffisance cardiaque à FEVG préservée.
Traitement
Dans l’œdème aigu pulmonaire, si la tension artérielle le permet il ne faut pas hésiter à administrer des doses répétées de dérivés nitrés qui sont plus efficaces que les diurétiques. Une étude randomisée chez 104 patients de 74 ans d’âge moyen a comparé ces deux classes thérapeutiques(6). Tous les patients recevaient 40 mg de furosémide en bolus, puis, dans le groupe dérivés nitrés, 3 mg d’isosorbite dinitrate toutes les 5 min. Le groupe diurétique recevait 1 mg/h de dérivés nitrés et 80 mg de furosémide toutes les 15 min. La stratégie « nitrés » a remporté l’essai avec une réduction de l’objectif principal (décès, ventilation et infarctus du myocarde) : 25 % vs 46 %, p = 0,04. La dose moyenne de nitrés administrée était de 11,4 ± 6,8 mg et celle de furosémide de 200 ± 65 mg sans aucune différence sur le plan tensionnel. Une étude équivalente a démontré la supériorité des nitrés sur la ventilation non invasive à deux niveaux de pression.
Dans tous les cas, il faudra être prudent avec l’utilisation des diurétiques. Les patients âgés sont fragiles et leur fonction rénale s’aggrave facilement. Dans l’étude ADHERE, les paramètres les plus puissants de pronostic sont l’urée, la tension artérielle systolique et la créatininémie. En l’absence d’étude randomisée, il est difficile d’interpréter les résultats des registres. Quoi qu’il en soit, les faibles doses de diurétiques sont associées à une mortalité plus faible (RR = 0,86 [0,76-0,96]) et à moins de détérioration de la fonction rénale(7). Dans OPTIME-CHF, une aggravation de la fonction rénale a été associée à une mortalité hospitalière plus importante ; celle-ci augmente de 8 % pour toute augmentation de 5 mg/l de la créatininémie(8).
Chez l’octogénaire, il faut savoir manier avec précision les diurétiques et adapter très vite leurs doses à la réponse thérapeutique pour éviter une aggravation de la fonction rénale.
Il est préférable d’être patient et d’obtenir un effet thérapeutique progressif quitte à allonger un peu la durée d’hospitalisation. Les doses de diurétiques trop élevées vont déclencher une diurèse trop importante, se compliquant d’une aggravation de la fonction rénale, qui se traduira finalement par une hospitalisation longue. Cette attitude a également un impact sur les possibles réhospitalisations. En effet, en pratique, en cas d’altération de la fonction rénale, les doses de diurétiques sont diminuées et le patient quitte l’hôpital avec une dose inférieure à ses besoins. Reprenant un régime hyposodé plus ou moins bien suivi, il n’est pas rare que le patient soit réadmis pour une nouvelle petite décompensation. L’éducation thérapeutique et les réseaux de prise en charge globale des patients sont alors importants et permettent d’ajuster le traitement aux conditions habituelles de vie des patients.
Traitement à la sortie
Le traitement de sortie est bien codifié dans l’insuffisance cardiaque secondaire à une dysfonction systolique du ventricule gauche. Nous extrapolons les résultats des grands essais thérapeutiques réalisés chez le patient plus jeune. De nombreux registres ont montré que les patients recevant (ou supportant) les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine II (IEC) et les bêtabloquants ont une meilleure survie que les patients ne recevant pas ces classes thérapeutiques. Globalement, l’octogénaire est moins traité que le patient plus jeune, mais la comparaison des traitements dans Euro Heart Failure survey I et II a montré une amélioration des taux de prescription. Ainsi, dans Euro Heart Survey II, à la sortie de l’hôpital, 82 % des octogénaires recevaient des IEC (ou des antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II) et 56 % des bêtabloquants(1).
En pratique
L’octogénaire est un patient très fragile, dont la prise en charge est complexe. Une bonne expertise de l’état global, physique, mais aussi social, est indispensable, parfois difficile à réaliser en urgences.
Il faudra être vigilant et ne pas diagnostiquer en excès de fausses décompensations cardiaques chez des patients âgés dyspnéiques. Sur le plan thérapeutique, on privilégiera l’utilisation des dérivés nitrés tout en étant prudent avec les diurétiques, dont les doses devront être parcimonieuses.
Enfin, une évaluation globale du patient à sa sortie est indispensable, au mieux avec l’aide d’un médecin gériatre, avec si possible la mise en place d’un suivi éducatif.
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