Publié le 01 juin 2020Lecture 9 min
Reconditionnement à l’effort et réadaptation dans l’insuffisance cardiaque - Pourquoi les recommandations internationales sont-elles aussi insistantes ?
Philippe MEURIN, Les Grands Prés, Villeneuve-Saint-Denis et cabinet de cardiologie, Noisy-le-Grand
Pour bénéficier de l’exercice physique, il faut en faire ! Et puisqu’il est plus facile de prendre une pilule que de transpirer sur un vélo, la compliance aux deux thérapeutiques est bien différente.
Ainsi, dans les petites études monocentriques, lorsque les patients sont régulièrement stimulés par des équipes expertes et motivées, les effets du reconditionnement à l’effort sur la morbi-mortalité sont spectaculaires(1) (figure 1), alors que dans la grande étude multicentrique HF-ACTION(2), ils sont à la limite de la significativité (figure 2A). Pourquoi ? Parce que, globalement, la population des patients inclus dans l’étude était moins « coachée » et ne s’entraînait que très peu. Cependant, si on analyse les résultats de cette même étude en divisant la population en 4 quartiles en fonction de la compliance au programme de réentraînement physique, on voit clairement (figure 2B) que chez les patients qui s’entraînaient vraiment, même modérément (trois derniers quartiles), le pronostic est meilleur.
Figure 1. Étude ExTraMATCH : métaanalyse de petites études menées dans des centres experts(1). Le reconditionnement permet une baisse de mortalité totale de 35 % RR = 0,65 (p = 0,015).
Figure 2. A. Réduction des événements (mortalité totale + hospitalisations) à la limite de la significativité dans l’étude HF-ACTION(2). B. Réduction significative des événements dans la même étude HF-ACTION : les trois quartiles des patients qui s’entraînent véritablement bénéficient du reconditionnement à l’effort : 1 MET-heure d’exercices par semaine en plus est associé à une réduction de 5 % du risque de mort (mortalité totale) ou d’hospitalisation.
L’exercice physique est essentiellement un traitement des conséquences extracardiaques de la maladie
En moyenne, le réentraînement physique s’accompagne d’une augmentation du pic de VO2 (consommation globale en oxygène) de 15 à 20 %. Ceci correspond à une amélioration de paramètres cardiaques et surtout extracardiaques (« périphériques »).
En effet, les anomalies périphériques induites par l’insuffisance cardiaque sont multiples, et sont des cibles thérapeutiques essentielles. Leurs mécanismes intriqués sont responsables de l’asthénie, de l’amyotrophie et de la dyspnée.
• L’atteinte musculaire est majeure : il existe une baisse du débit sanguin musculaire, des modifications structurales avec diminution des fibres oxydatives de type I et IIa, réduction du lit capillaire et des mitochondries et augmentation de la fibrose.
• L’anorexie (syndrome dépressif, foie cardiaque) et l’hypercatabolisme (par activation des cytokines) s’ajoutent encore aux mécanismes précités et finalement le muscle est moins volumineux (amyotrophie) et de moins bonne qualité.
• L’atteinte pulmonaire contribue elle aussi à l’asthénie et à la dyspnée, il existe une altération de la diffusion alvéolo-capillaire (par suboedème pulmonaire), une amyotrophie des muscles respiratoires (diaphragme, muscles intercostaux…), une augmentation de l’espace mort, une hypersensibilité centrale au CO2 et à l’O2 (chémoréflexe), etc.
• De même, l’anémie fréquemment observée contribue à la dyspnée d’effort.
• Enfin, les anomalies neurohormonales concernent le système nerveux autonome, le système rénine-angiotensine, les cytokines… Elles sont impliquées dans les dysfonctions de tous les organes touchés (cœur, vaisseaux, rein, muscles…).
Les effets périphériques et neuro-hormonaux de l’entraînement physique sont majeurs : rétablissement de la balance vagale, baisse du taux de cytokines (catabolisants musculaires), amélioration de la fonction endothéliale, rétablissement de la qualité (mitochondries, fibres oxydatives) et de la masse musculaire, amélioration de la fonction respiratoire (par action sur la musculature respiratoire, amélioration de l’extraction d’oxygène, réduction de la production de lactates…), etc.
En revanche, les effets cardiaques sont modérés.
Discrète augmentation du débit cardiaque d’effort par augmentation de la réserve chronotrope (baisse de la Fc de repos et élévation de la Fc d’effort) et possible augmentation modeste du volume d’éjection systolique.
Comment prescrire le reconditionnement à l’effort (RE) ?
Les recommandations des Sociétés savantes (françaises, européennes et américaines) sont assez vagues, sans doute en raison de l’hétérogénéité des techniques d’entraînement décrites dans les études cliniques.
De quel type d’exercice parle-ton ? De l’aérobie en endurance ? De l’entraînement en créneaux ? De la musculation segmentaire ?
Entraînement en endurance
Comment prescrit-on l’intensité d’un effort ? Doit-on prescrire une fréquence cardiaque d’entraînement (FCE) ? Une puissance d’entraînement ? Ou doit-on plutôt se fier aux sensations du patient et le laisser régler luimême la difficulté de l’effort ?
Il doit être bien clair que la détermination de l’intensité de l’exercice est un problème secondaire : l’essentiel étant que le patient se réentraîne !
Si on veut accroître la « dose » d’exercice, on augmentera d’abord la durée des sessions (de 30 à 45 min) puis la fréquence des séances (pour atteindre 5 par semaine), et enfin seulement, et très progressivement, l’intensité des séances.
En ce qui concerne l’entraînement en endurance, pilier du reconditionnement à l’effort, l’exercice physique est réalisé en pratique sur bicyclette ergométrique ou tapis roulant, sous télémétrie au moins pour les 5 premières séances. Après un échauffement de 5 minutes, l’intensité de la séance d’entraînement peut être prescrite selon des modalités très variées :
On peut utiliser une FCE (fréquence cardiaque d’entraînement) qui peut être : la Fc observée au seuil ventilatoire 1 (si on dispose d’une épreuve d’effort cardio-respiratoire) ou 60 à 80 % de la Fc max à l’épreuve d’effort ou encore 60 à 80 % de la réserve chronotrope (FCE = Fc repos + 0,6 à 0,8 × [Fc max – Fc repos]).
Parfois la prescription est faite en puissance (60 à 75 % de la puissance maximale tolérée lors du test).
Enfin, on peut simplement les sensations du patient (12-14 sur l’échelle de Borg).
C’est ce qu’on appelle le talk test : « Pendant l’exercice vous pouvez parler, mais pas chanter ».
Les patients comprennent très bien, et cette technique a l’avantage d’être facilement reproductible ensuite à domicile.
Il faut bien admettre que cette hétérogénéité des pratiques (au quotidien et dans les études cliniques) semble assez tolérable d’un point de vue fondamental (puisque, par exemple, on sait que la relation entre VO2 et Fc est mauvaise chez l’insuffisant cardiaque, sous bêtabloquant ou pas) et aussi d’un point de vue pragmatique puisque, quelles que soient les modalités d’entraînement, on semble aboutir toujours au même résultat : une augmentation du pic de VO2 de 15 à 20 %.
Finalement, on peut proposer une prescription de l’entraînement « mixte » : une FCE de base comme repère pour les premières séances, puis une FC max à ne pas dépasser, et une modulation de l’intensité de l’entraînement autour de la FCE en suivant les sensations du patient pour la suite du programme.
Pour mémoire, on peut se rapporter au protocole d’entraînement très classique proposé dans l’étude HF-ACTION déjà citée (tableau 1).
L’intérêt de l’interval training (IT ou « créneaux ») chez l’insuffisant cardiaque est toujours discuté : une petite étude monocentrique(3) montrait une nette augmentation du pic de VO2 (+ 46 % versus + 14 % dans le groupe entraînement classique), et même une amélioration de la FEVG de 35 % en valeur relative (passant de 28 ± 7,3 % à 38 ± 10 %, p < 0,02). Malheureusement, ces résultats n’ont pas été confirmés dans la grande étude multicentrique SMARTEX(4) : finalement, à ce jour, l’interval training n’est donc pas plus efficace que l’entraînement classique. Il permet cependant, pour un même gain, des séances un peu plus courtes et un peu plus ludiques, ce qui peut convenir à certains patients.
Entraînement en résistance
Les entraînements en résistance dynamique d’intensité légère à modérée font maintenant partie intégrante des programmes de réadaptation cardiaque. Il s’agit d’une succession de mouvements concentriques et excentriques effectués par un membre ou un segment de membre travaillant contre résistance. Cet entraînement sollicite les filières aérobie et anaérobie en proportion variable selon l’amplitude du mouvement, l’importance de la charge, la durée de l’exercice et la quantité de masse musculaire mise en jeu. Il permet d’augmenter la masse et la force musculaires.
En pratique, il s’agit d’exercices réalisés avec de petits haltères, des bracelets lestés, des bandes élastiques ou en utilisant des bancs de musculation spécifiques.
Le déroulement de la session de réentraînement est défini par une succession de 8 à 10 types de mouvements différents répétés 10 à 15 fois, à une faible intensité (30 à 50 % de la force maximale développée), 2 à 3 séances par semaine d’une durée de 20 à 30 minutes, en tenant compte de problèmes mécaniques éventuels comme la mise en place récente de stimulateur cardiaque ou défibrillateur implantable.
En revanche, l’entraînement en résistance isométrique caractérisé par une contraction musculaire constante contre résistance sans changement de longueur du muscle est déconseillé chez les patients porteurs de pathologies cardiaques.
En effet, du fait de l’absence de baisse des résistances périphériques, il entraîne des effets hémodynamiques potentiellement délétères, une augmentation rapide et importante des deux composantes, systolique et diastolique, de la pression artérielle avec la surcharge de travail cardiaque que cela impose.
• Électromyostimulation
Elle peut être utilisée en combinaison avec l’entraînement physique, ou de façon alternative chez les patients très déconditionnés et/ou avec des comorbidités importantes limitant la pratique d’un exercice. Des interférences avec les stimulateurs cardiaques et les défibrillateurs sont possibles. Cette technique d’entraînement passive limite les effets délétères de l’alitement prolongé et paraît prometteuse chez l’insuffisant cardiaque.
• Gymnastique
Des cours de gymnastique permettent d’optimiser le reconditionnement à l’effort, par un travail incluant les membres supérieurs et les membres inférieurs améliorant la coordination, la souplesse, l’équilibre et la force musculo-ligamentaire.
• Aquagym
Le reconditionnement en milieu aquatique permet de réduire les effets de la gravité.
Néanmoins la pression hydrostatique induite par l’immersion entraîne une augmentation du volume sanguin intrathoracique potentiellement délétère chez les patients avec dysfonction ventriculaire gauche.
Pour limiter ces effets chez les insuffisants cardiaques, il est recommandé de pratiquer les exercices d’aquagym en position debout avec une hauteur d’eau maximale à mi-thorax et à une température de thermoneutralité (31 à 33 °C).
• Entraînement respiratoire
L’entraînement respiratoire complète le programme (amplitude, contrôle du débit et du rythme ventilatoire). Il peut être effectué en individuel ou sous forme d’atelier de groupe.
Figure 3. Effets délétères de l’insuffisance cardiaque (flèches noires) : l’ensemble de ces anomalies sont améliorées par le reconditionnement à l’effort. SRA : système rénine-angiotensine. Ʃ/PƩ : sympathique/parasympathique BNP : brain natriuretic peptide. Pente VE/VCO2 : pente ventilation/production CO2
Figure 4. Différentes modalités d’entraînement en endurance : entraînement continu versus interval training : protocoles d’entraînement utilisés dans l’étude SMARTEX(4) et qui aboutissent à des résultats similaires en termes d’amélioration du pic de VO2.
En pratique
Chez les patients insuffisants cardiaques stables, la balance bénéfice/risque du réentraînement à l’effort est très favorable. Le programme d’entraînement doit être débuté à une intensité modérée (correspondant à environ 50 % du pic de VO2) prescrite indifféremment en FCE en puissance ou en suivant les sensations du patient, à une fréquence augmentant progressivement de 3 à 5 fois par semaine, la durée des séances augmentant progressivement (en fonction de la tolérance du patient) de 15 à 30 voire 40 minutes (sans compter les périodes d’échauffement et de récupération).
Ce n’est qu’ensuite qu’on pourra augmenter l’intensité des séances. L’utilisation de l’interval training à des paliers adaptés au patient, est possible et l’entraînement en résistance est nécessaire, notamment chez les patients les plus déconditionnés pour leur permettre de retrouver une autonomie et la capacité de réaliser des exercices d’endurance.
Il faut cependant bien comprendre que la méthode d’entraînement proposée doit être adaptée à chaque cas, et surtout la plus simple possible afin d’être ensuite poursuivie indéfiniment.
Associer aux séances de réentraînement une action d’éducation thérapeutique et une adaptation des traitements permet un bénéfice pronostique (vital et fonctionnel) clair pour un coût très faible. Ceci impose la réadaptation cardiaque comme un traitement impératif (recommandations de grade I). Pour être plus clair, l’absence de réadaptation constituerait une perte de chance pour ces patients.
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