Publié le 24 déc 2024Lecture 9 min
Pronostic de l’insuffisance cardiaque : repères pratiques
Alberto TIRITILLI, FESC (professeur au collège de médecine hôpitaux de Paris)
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Généralités
La prévalence de l’insuffisance cardiaque est très élevée, elle concernerait 1,5 million des personnes en France, en particulier au-delà de 60 ans. L’insuffisance cardiaque serait à l’origine de 200 000 hospitalisations par an et plus de 70 000 décès dans l’hexagone. Ces chiffres montrent l’ampleur du phénomène. Ceci explique l’énorme effort en matière de recherche aussi bien clinique que fondamentale et surtout pharmacologique que ne font qu’accroire nos connaissances pour une meilleure prise en charge.
Généralement, le patient qui présente une insuffisance cardiaque a un mauvais pronostic. La survie globale combinée à 5 ans est d’environ 35 % chez les patients qui ont une insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection réduite après une première hospitalisation pour défaillance cardiaque. Dans les formes chroniques d’insuffisance cardiaque, la mortalité dépend de la gravité des symptômes et/ou du dysfonctionnement du ventricule gauche, elle varie entre 10 et 40 %/an. Une meilleure connaissance des facteurs pronostiques peut-elle améliorer la prise en charge de ces patients ?
Résumer en quelques pages le pronostic de l’insuffisance cardiaque peut sembler assez ardu tant ce syndrome est complexe. Ce papier est un concentré de repères pratiques centré sur le pronostic. Nous n’aborderons ni le diagnostic ni le traitement de l’insuffisance cardiaque.
Les objectifs de la prise en charge des patients en insuffisance cardiaque ont été définis par la Haute Autorité de santé (HAS). Ralentir la progression de la maladie, réduire la mortalité. Prévenir les épisodes de décompensation cardiaque espérant ainsi raccourcir les nombres et la durée des hospitalisations, tout ceci dans un but d’améliorer la qualité de vie en soulageant les symptômes. Mais, la prise en charge de l’insuffisance cardiaque ne peut être réduite simplement au soulagement des symptômes. L’évaluation du pronostic doit permettre en termes de morbi-mortalité de guider les stratégies thérapeutiques et son optimisation.
Quels sont les facteurs permettant d’évaluer le pronostic des patients en insuffisance cardiaque ? Ces facteurs ont été répertoriés par l’HAS et pour ceux qui souhaitent approfondir le sujet des guidelines ont été publiées en 2022(1).
New York Heart Association (NYHA)
Afin de mieux comprendre, nous allons d’abord rappeler le stade fonctionnel de l’insuffisance cardiaque par la classification de la New York Heart Association (NYHA). Cette répartition permet de définir le stade fonctionnel et la sévérité de l’insuffisance cardiaque, nous les avons exposés dans le tableau 1.
Le stade fonctionnel NYHA est corrélé au pronostic de l’insuffisance cardiaque. Ceci a été corroboré par une publication de Pokock et coll. montrant sur une méta-analyse comportant près de 40 000 patients, quel était le taux de survie en fonction du score sus-défini(2). La valeur pronostique et l’impact sont résumés dans le tableau 2.
En pratique la classification NYHA est simple, elle est la plus utilisée. Elle évalue la sévérité des symptômes et le pronostic, elle permet également d’estimer la qualité de vie des patients, de plus guider la prise en charge du traitement et le suivi. Elle présente néanmoins quelques limites et, notamment, la subjectivité du patient concernant la notion d’activité physique selon le sexe, l’âge ou les activités quotidiennes. Elle est peu reproductible, l’évaluation est laissée à la discrétion du praticien avec une variabilité importante inter-médecins surtout pour les stades II et III. Rappelons aussi qu’elle est mal corrélée à la capacité à l’effort, en effet l’évaluation par le pic de VO2 différencie très mal les stades II et III.
Les peptides natriurétiques
Parmi les autres facteurs liés au pronostic, les peptides natriurétiques (PN) ont montré une importance majeure non seulement dans le diagnostic, mais aussi dans le suivi des patients en insuffisance cardiaque.
Les PN sont sécrétés quasi exclusivement par les cardiomyocytes en réponse à des situations de stress myocardique résultant de l’augmentation des pressions et des volumes de remplissage intracardiaque. Le Brain Natriuretic Peptid (BNP) et le N-Terminal pro-Brain Natriuretic Peptid (NT-proBNP) sont des marqueurs fiables et sensibles du dysfonctionnement ventriculaire, permettant d’exprimer la gravité de l’état d’un patient en insuffisance cardiaque. Comme nous l’avons souligné, les taux de PN peuvent être élevés au début du développement de l’insuffisance cardiaque, ce qui permet de la dépister avant même l’apparition des symptômes cliniques. De plus, les PN ont une grande précision pronostique pour le décès et les hospitalisations pour insuffisance cardiaque. Il semble difficile de relater le nombre incalculable de publications, dans l’ensemble elles sont d’accord pour dire que, si le NT-proBNP est supérieur à 1 000 ng/L, il représente une augmentation constante du risque de mortalité et d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque. Pour chaque augmentation du taux de BNP de 100 ng/L, il a été démontré une augmentation de 35 % du risque relatif de décès chez les patients en insuffisance cardiaque. De plus, pour une augmentation de la concentration de 50 % de la valeur mesurée de PN chez un patient stable, celle-ci semble être à faveur d’une décompensation. Chez les patients en insuffisance cardiaque, les méta-analyses évaluant la prise en charge guidée par le PN vers une prise en charge conventionnelle ne sont plus à démontrer. Celles-ci montrent une réduction significative de la mortalité. Nous citons une étude pionnière, celle de Troughton et coll., qui a comparé l’effet de la prise en charge guidée par le PN par rapport à une prise en charge conventionnelle sur le taux de mortalité. Dans cette étude 1 006 patients pris en charge, guidés par le PN, ont été comparés à 994 pris en charge conventionnelle. La mortalité a été de 172 dans le groupe guidé par le PN versus 207 dans le bras pris en charge conventionnelle (HR 0,62 ; IC 0,45-0,86 ; p = 0,004). En pratique, si on choisit le taux de PN comme mesure qualitative de la gravité de l’insuffisance cardiaque lors des consultations, celui-ci doit être réalisé régulièrement. Pour un patient en insuffisance cardiaque chronique, le suivi devrait viser des valeurs les plus basses possible de NT-proBNP inférieur à 1 000 ng/L et de BNP inférieur à 100 ng/L. Adapter les traitements de l’insuffisance cardiaque jusqu’à l’atteinte des doses cibles de PN. Si, malgré tout, les taux restent un peu élevés et que les pressions de remplissage sont quasi normales, on rappelle qu’il peut exister d’autres causes qui augmentent le PN. L’interprétation des taux des PN doit toujours prendre en considération toutes les autres informations cliniques. Nous avons vu les avantages de ces peptides, ils présentent néanmoins quelques limites, en effet, les valeurs peuvent être affectées par l’âge, le sexe, l’obésité et l’insuffisance rénale dont il faudra tenir compte lors de l’analyse. En un mot, un NT-proBNP inférieur à 1 000 ng/L, ou un BNP inférieur à 125 ng/L, diminue la mortalité, diminue les éventements cardio-vasculaires tout en augmentant la qualité de vie.
La fraction d’éjection du ventriculaire gauche (FEVG)
En matière de pronostic, il semble difficile de ne pas parler de la fonction ventriculaire gauche. La FEVG est la mesure clinique la plus couramment utilisée de la fonction systolique du ventricule gauche. Les patients insuffisants cardiaques à fraction d’éjection altérée présentent une FEVG inférieure à 40 %. La valeur pronostique et son impact sont largement documentés. Elle permet une appréciation amplement validée du risque de morbi-mortalité. Un taux de survie est d’autant plus faible que la FEVG est basse. Une publication de Modin et coll. montre qu’une réduction de 10 % de la FEVG, augmente de 39 % le risque de mortalité toutes causes(3). De plus, dans un autre travail plus ancien, Pocock et coll. ont montré qu’une diminution de 5 % de la FEVG, augmentait de 13 % le risque de décès cardio-vasculaire ou d’hospitalisation(4). En pratique la FEVG est la mesure incontournable pour l’évaluation, la prise en charge et la stratification du risque des patients en insuffisance cardiaque, vu aussi les facilités échographiques à notre disposition. La FEVG constitue un important facteur prédictif de décès à la suite de l’aggravation de l’insuffisance cardiaque, de mort subite et d’hospitalisation chez les patients en insuffisance cardiaque présentant une FEVG inférieure à 40 %. Nous avons vu la puissance de ce paramètre, un mot concernant ses limites et, notamment, la variabilité inter et intra-observateur. Les valeurs estimées sont calculées par échocardiographie à partir d’estimations du volume du ventricule gauche.
Pic de VO2
Parmi les autres facteurs évaluant le pronostic, le pic de VO2 max est considéré comme un des paramètres très importants. La VO2 max correspond à la quantité d’oxygène consommée lors d’un effort maximal par l’organisme. Elle est rarement atteinte, alors on préfère calculer le pic de VO2, mesuré lors d’une épreuve d’effort. Sa valeur permet l’évaluation objective de la gêne fonctionnelle du patient. Chez un sujet sain, le pic de VO2 normal se situe entre 30 et 35 mL/kg/min. Chez le patient insuffisant cardiaque, il est abaissé et compris entre 10 et 20 mL/kg/min. Malgré les difficultés de réalisation, le pic de VO2 reste un des paramètres pronostiques les plus puissants. Plus le pic de VO2 est bas, plus la survie est faible. Il a été montré que, pour chaque baisse du pic de VO2 de 1 mL/kg/min, il y a une augmentation de 26 % du risque relatif de décès chez les patients en insuffisance cardiaque traités correctement sur le plan pharmacologique. En pratique ce test s’adresse à tous les patients en insuffisance cardiaque capables de réaliser une épreuve d’effort valable. La mesure du pic de VO2 à l’effort permet de suivre la progression de la maladie, plus elle est sévère, plus ce test devrait être prescrit. De plus, elle permet d’évaluer le bénéfice d’une réadaptation à l’effort et enfin optimiser le traitement. Ce test possède une bonne reproductibilité inter et intra-opérateur, ses limites sont la nécessité d’avoir un bon équipement (cyclo-ergomètre ou tapis) et surtout un personnel formé à la technique.
Le test de marche de 6 minutes
Le test de marche de 6 minutes fait aussi partie de l’arsenal pronostic de l’insuffisance cardiaque. Ce test mesure la distance que peut parcourir le plus rapidement possible un patient sur un sol plat pendant 6 minutes. Ce test est aussi utilisé pour d’autres pathologies et surtout en pneumologie. Il permet d’évaluer la capacité fonctionnelle des patients de manière simple et pratique, puisqu’il ne nécessite d’aucun outil ou équipement. Un test de marche inférieure à 300 mètres est un facteur prédictif de mortalité (cv et toutes causes) et de morbidité (hospitalisations pour décompensation). On peut admettre que le risque de mortalité est d’autant plus élevé que le test de 6 minutes est bas. Un travail de Ingle et coll. a évalué le score de marche comme facteur pronostique à long terme supérieur à 5 ans chez 1 667 patients en insuffisance cardiaque âge médian 72 ans dont 75 % d’hommes. La survie sans événements est résumée dans le tableau 3(5). En pratique, chez les patients en insuffisance cardiaque, une faible distance de marche de 6 minutes est associée à une augmentation de la mortalité totale et à un plus grand nombre d’hospitalisations pour décompensation cardiaque(6). Si sa réalisation est facile, il faut dire aussi que, lors de ce test, les patients n’atteignent pas leur capacité physique maximale. Malgré cette intensité sous maximale, le test de 6 minutes est un bon reflet du niveau d’exercice fonctionnel pour définir les activités au quotidien. Pour la bonne réussite du test, s’assurer que le patient a bien compris le déroulement avant la réalisation de celui-ci.
EN PRATIQUE
• Le pronostic du patient en insuffisance cardiaque reste sombre malgré nombre d’outils à notre disposition et l’énorme effort fait en matière de traitement pharmacologique.
• De nouvelles perspectives s’ouvrent à nous afin d’accompagner nos patients.
• Les pistes sont multiples pour déterminer les nouvelles modalités de prise en charge de l’insuffisance cardiaque.
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