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Insuffisance cardiaque

Publié le 31 jan 2025Lecture 9 min

Le tirzépatide démontre son efficacité chez les insuffisants cardiaques à fraction d’éjection préservée et avec obésité

Jean-Sébastien HULOT, Université Paris Cité, INSERM, PARCC, Paris ; CIC1418 & DMU CARTE, AP-HP, Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris

Le tirzépatide (un double agoniste des récepteurs GLP-1 et GIP) démontre son bénéfice chez les patients obèses (IMC ≥ 30) et insuffisants cardiaques avec fraction d’éjection ≥ 50 % en réduisant l’incidence d’un critère composite combinant décès cardiovasculaire et hospitalisations ou visites urgentes liées à l’insuffisance cardiaque. C’est ce qu’a montré l’étude SUMMIT dont les résultats ont été présentés en session plénière hotline lors du congrès AHA 2024 et publiés simultanément dans le New England Journal of Medicine(1).

Les résultats de SUMMIT   L’étude SUMMIT a inclus 731 patients présentant une insuffisance cardiaque avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) d’au moins 50 % (moyenne à 61 %), symptomatiques (72 % en classe NYHA II et 28 % NYHA III/IV) et avec une obésité globalement sévère (IMC moyen à 38,3 kg/m2). Il faut noter que le niveau de NT-proBNP moyen était aux alentours de 180 pg/mL, ce qui peut paraître assez bas, mais on sait que le niveau de peptides natriurétiques est faussement abaissé chez les patients obèses (probablement par un effet propre du tissu adipeux sur le BNP) et que l’élévation du NT-proBNP reflète assez mal la sévérité de l’insuffisance cardiaque chez ces patients obèses. D’ailleurs, environ 50 % de ces patients avaient un antécédent d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque dans l’année précédente, et le score KCCQ moyen était de 54 points, ce qui est bas et indique le retentissement fonctionnel important de l’insuffisance cardiaque. De même, la distance de marche de 6 minutes (un autre bon marqueur du retentissement fonctionnel de l’insuffisance cardiaque) était en moyenne de 300 mètres. La moyenne d’âge des patients inclus a été de 65 ans, et la proportion de femmes de 55 %, ce qui est un peu différent des chiffres observés dans les autres études ayant inclus des patients avec fraction d’éjection moyennement préservée(2), mais il s’agit ici d’une population obèse et souvent plus jeune. Environ 25 % de ces patients présentaient une fibrillation atriale au moment de l’inclusion. Comme souvent, on observe un fort taux d’utilisation des bloqueurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (IEC ou sartan ou ARNi : 80 %), expliqué par la prise en charge de l’hypertension artérielle chez ces patients. Les diurétiques étaient prescrits chez 74 % de chez patients. À l’inverse, la proportion de patients recevant une gliflozine est inférieure à 20 %. L’étude a en effet été conduite entre avril 2021 et juin 2023, à un moment où la démonstration de l’efficacité des iSGLT2 chez les patients avec insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée n’était pas encore établie(2). La prescription d’iSGLT2 a été principalement motivée par le diabète de type 2, retrouvé chez près de la moitié des patients. Les patients ont été randomisés pour recevoir le tirzépatide (n = 364) ou un placebo (n = 367). Le tirzépatide était administré par une injection sous-cutanée hebdomadaire, en débutant à une dose minimale de 2,5 mg puis avec une titration progressive toutes les 4 semaines jusqu’à la dose pleine de 10 mg par semaine. Il faut tout de suite noter que 20 % des patients ont stoppé le traitement durant l’étude (et ceci est équilibré entre les 2 groupes), mais que l’analyse statistique a été conduite en intention de traiter sur l’ensemble de la population. Le principal effet indésirable du tirzépatide correspond à la survenue de symptômes gastro-intestinaux, ce qui a conduit à l’arrêt du traitement chez 4,1 % des patients sous tirzépatide. Ainsi, à la visite finale, 72,1 % des patients dans le groupe tirzépatide recevaient la dose pleine de 10 mg par semaine. Enfin, par rapport au placebo, le tirzépatide a provoqué une diminution relative du poids initial de 11,6 % en une année (figure 1). Figure 1. Pourcentage de variation du poids corporel dans les groupes tirzépatide et placebo.   L’analyse du critère de jugement principal, combinant décès cardiovasculaire et événements liés à l’insuffisance cardiaque, montre un taux moins élevé d’événements chez les patients recevant le tirzépatide : 9,9 % (n = 36) dans le groupe tirzépatide contre 15,3 % dans le groupe placebo, soit un hazard ratio de 0,62 (0,41- 0,95), p = 0,026 (figure 2A). L’analyse séparée des 2 paramètres composant le critère de jugement principal montre que le tirzépatide réduit significativement la survenue de nouveaux événements liés à l’insuffisance cardiaque (HR 0,54 [0,34-0,85]) (figure 2B), et notamment les événements conduisant à une hospitalisation (HR 0,44 [0,22- 0,87]). Il n’existe en revanche pas d’effet significatif sur la mortalité (HR 1,25 [0,63-2,54], p = NS), avec un nombre faible d’événements (n = 19 dans le groupe tirzépatide et n = 15 dans le groupe placebo) (figure 2C). Il faut enfin noter que ces résultats sont concordants dans tous les sous-groupes étudiés, sans influence notable du niveau de FEVG ou bien du niveau d’IMC(1). Figure 2. A. Critère composite : décès d’origine cardiovasculaire ou aggravation d’un événement d’insuffisance cardiaque. B. Analyse du délai avant le premier événement pour déterminer l’effet du tirzépatide sur l’aggravation des événements d’insuffisance cardiaque nécessitant une hospitalisation, des médicaments intraveineux urgents ou une intensification des diurétiques oraux. C. Analyse du délai jusqu’au premier événement pour évaluer l’effet du tirzépatide sur la mortalité toutes causes confondues. L’étude possédait un second critère principal basé sur l’évolution du score KCCQ à 1 an. D’un point de vue statistique, cette approche était préspécifiée et le seuil de significativité est ajusté en conséquence (à 0,04 pour le critère d’événements décès/insuffisance cardiaque et à 0,01 pour le score KCCQ). Il a été observé une augmentation plus importante du KCCQ chez les patients traités par tirzépatide (+19,5 points) que sous placebo (+12,7 points) (différence entre les groupes de 6,9 points, IC95% 3,3-10,3, p < 0,001), indiquant une amélioration fonctionnelle plus importante chez les patients recevant le tirzépatide (figure 3). De manière concordante, la distance de marche de 6 minutes est améliorée sous tirzépatide, et on note de plus une réduction nette du niveau de hs-CRP (différence entre les 2 groupes -34,9 %, IC95% -45,6 à -22,2, p < 0,001). Figure 3. Changement dans le KCCQ-CSS (Kansas City Cardiomyopathy Questionnaire Clinical Summary Score). Une nouvelle classe pour le traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée ?   Les résultats de l’étude SUMMIT sont à mettre en parallèle de ceux obtenus avec le sémaglutide dans l’essai STEP-HFpEF(3). Cette étude, présentée en 2023 à l’ESC, a été la première à montrer le bénéfice fonctionnel d’une molécule initialement développée pour la prise en charge de l’obésité chez l’insuffisant cardiaque. Il existe un certain nombre de différences majeures entre l’essai STEPHFpEF et l’essai SUMMIT(1,3). D’un point de vue pharmacologique, les deux molécules ont un effet agoniste sur les récepteurs GLP1. GLP1 est une incrétine, c’est-à-dire une hormone naturellement sécrétée par le tube digestif après une prise alimentaire sucrée et on commence à progressivement comprendre les effets physiologiques et pharmacologiques plus larges liés à la stimulation des récepteurs au GLP1. Un des premiers effets est de réduire la masse grasse, avec une réduction du poids entre 10 et 15 % avec les deux molécules. Cependant, le tirzépatide est un double agoniste, possédant en plus la possibilité de stimuler les récepteurs du GIP (glucose-dependent insulinotropic polypeptide), qui sont très abondants dans les adipocytes composant la graisse épicardique et agissent probablement de manière synergique avec les récepteurs GLP1. Ainsi, le tirzépatide possède théoriquement un effet agoniste renforcé par rapport au sémaglutide. S’agit-il d’une différence pharmacologique majeure ? Il est difficile de répondre à cette question en l’absence de comparaison directe entre les deux molécules chez les insuffisants cardiaques à fraction d’éjection préservée et obèses. Les effets bénéfiques vont cependant dans le même sens. De même, les deux molécules réduisent significativement l’inflammation systémique(3), et probablement liés à l’activité pro-inflammatoire des adipocytes. D’un de point de vue méthodologique ensuite. Le critère principal de l’étude STEPHFpEF était un critère fonctionnel, basé sur l’évolution du score KCCQ(3). Mais l’étude n’était pas dessinée pour tester l’efficacité du sémaglutide en termes d’événements cliniques, et no tamment sur les événements d’insuffisance cardiaque. Une méta-analyse ayant regroupé les données des patients insuffisants cardiaques et obèses, inclus dans les 4 essais cliniques ayant étudié le sémaglutide, avait suggéré un effet bénéfique en termes de réduction des événements liés à l’insuffisance cardiaque(4). Mais, formellement, l’essai SUMMIT est le premier à démontrer clairement cet effet chez les patients insuffisants cardiaque à fraction d’éjection préservée (avec FEVG ≥ 50 %) et obèses (IMC ≥ 30 kg/m2). Au passage, les investigateurs de l’essai SUMMIT pourront remercier ceux de STEP-HFpEF, car à la lecture des résultats de STEP-HFpEF en août 2023, un amendement a été fait afin de modifier les critères principaux de l’essai SUMMIT(1) et ainsi séparer le critère lié aux événements cliniques de celui lié au changement de score KCCQ (il était initialement prévu de les analyser au sein du même critère combiné). Tout cela a été fait dans les règles, avant la fin de l’étude et en aveugle de tout résultat(1). Mais on peut se dire que les résultats de l’essai SUMMIT n’auraient peut-être pas été les mêmes si STEP-HFpEF n’avait pas existé. Les grandes évolutions se font toujours progressivement et s’inspirant des autres, les vraies ruptures sont bien plus rares.   Quelle place maintenant pour le tirzépatide dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque ?   Il s’agit d’une question essentielle. Les recommandations actuelles ne mentionnent pas l’utilisation des agonistes GLP1 (± GP1) comme un traitement potentiel de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée(5). De toute évidence, les résultats de l’étude SUMMIT, couplés aux résultats précédemment observés avec le sémaglutide(3,4), vont faire bouger les lignes avec une probable recommandation d’usage des agonistes GLP1 chez les patients avec FEVG > 50 %, et avec une obésité (IMG ≥ 30 kg/m2). Comment intégrer ces résultats dans notre prise en charge de l’insuffisance cardiaque ? Il s’agit ici d’une autre question fondamentale. Les résultats de l’étude SUMMIT sont marquants, en venant renforcer le concept de traitements métaboliques de l’insuffisance cardiaque, notamment à fraction d’éjection préservée. Ces résultats montrent pour la première fois qu’un traitement ciblant en premier lieu les adipocytes et la masse grasse, peut réduire les décompensations congestives cardiaques ! Ce n’est pas rien, et il y a fort à parier que la communauté cardiologique va vouloir utiliser le tirzépatide chez les insuffisants cardiaques à fraction d’éjection préservée et avec obésité. Mais, aura-t-on le droit de le prescrire ? Car il s’agit d’abord d’un traitement approuvé pour le diabète de type 2 et pour l’obésité. Sera-t-on dans le même cas que pour le sémaglutide avec une prescription réservée aux spécialistes en endocrinologie-diabétologie-nutrition ? On notera ensuite que la démonstration est maintenant faite dans le traitement de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, mais elle est moins claire pour les patients avec fraction d’éjection réduite. Les agonistes GLP1 (sémaglutide comme tirzépatide) ont un petit effet tachycardisant avec une augmentation moyenne de la fréquence cardiaque d’environ 3 battements par minute en moyenne. Cet effet n’est peut-être pas souhaitable en cas de FEVG altérée. Il est fort probable que l’utilisation du tirzépatide reste réservée à l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, et il faudra d’autres données pour savoir si cette classe thérapeutique peut être utilisée dans d’autres formes d’insuffisance cardiaque. Enfin, on peut se poser la question du seuil d’IMC. L’IMC n’est probablement pas le meilleur marqueur pour repérer une adiposité viscérale excessive. D’autres critères seraient peutêtre plus adaptés. Mais il faut se rappeler que le tirzépatide provoque une diminution du poids qui peut être parfois très importante (plus de 20 % chez certains patients, figure 1), et son utilisation chez des insuffisants cardiaques à fraction d’éjection préservée non obèses paraît compliquée. Rappelons qu’en France, l’IMC moyen des patients insuffisants cardiaques à fraction d’éjection préservée est probablement aux alentours de 26 kg/m2. On attend donc plutôt le prochain médicament qui garderait les effets métaboliques et cardiaques bénéfiques de la stimulation des récepteurs GLP1/GIP, sans nécessairement provoquer une perte de poids importante. Mais pour cela, il faudra attendre.   EN PRATIQUE   • Le tirzépatide, un double agoniste des récepteurs GLP-1 et GIP, démontre son bénéfice chez les patients obèses (IMC ≥ 30) et insuffisants cardiaques avec fraction d’éjection ≥ 50 % en réduisant l’incidence d’un critère composite combinant décès cardiovasculaire et hospitalisations ou visites urgentes liées à l’insuffisance cardiaque. • L’essai SUMMIT apporte une nouvelle démonstration de l’efficacité de thérapies métaboliques chez ces patients. Déclaration d’intérêts : l’auteur a reçu des honoraires pour activités de consultants ou pour expertise de la part des sociétés suivantes : Alnylam, Amgen, AstraZeneca, Bayer, Bioserenity, Boerhinger Ingelheim, MSD, Novartis, Novo Nordisk, Vifor Pharma.

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