publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Mise au point

Publié le 29 oct 2024Lecture 10 min

Dénervation sympathique dans la prise en charge des tachycardies ventriculaires

Guillaume DUTHOIT, Paris

Dès 1916, Thomas Jonnesco(1) réalise avec succès la première chirurgie de dénervation sympathique cardiaque gauche (DSCG) chez un patient souffrant d’angine de poitrine réfractaire et de tachycardie ventriculaire (TV). Dans les années 70, Moss(2) a montré un effet antiarythmique de la DSC dans le syndrome du QT long (SQTL). Cette technique, utilisée principalement depuis pour traiter l’hyperhidrose, a été délaissée en cardiologie dans les années 80 au profit des traitements pharmacologiques et des techniques d’ablation de TV chirurgicales puis percutanées. Elle a fait l’objet d’un regain d’intérêt à la fin des années 90 pour le traitement des TV polymorphes catécholaminergiques (TVPC) et le SQTL, et depuis les années 2010 pour le traitement des TV réfractaires (TVR) et des orages rythmiques (OR) sur cardiomyopathie structurale, ischémique (CMI) ou non ischémique (CMNI).

Physiopathologie des TV et rôle du système nerveux sympathique   Le système nerveux sympathique joue un rôle clé dans la modulation de la fonction cardiaque. Il est fréquemment suractivé chez les patients insuffisants cardiaques (IC), entraînant une libération accrue de catécholamines qui accentue la susceptibilité du myocarde aux arythmies, en abaissant le seuil de vulnérabilité ventriculaire et en favorisant les automatismes anormaux. La stimulation du ganglion stellaire (GS) gauche exerce un effet dominant sur les ventricules avec un effet pro-fibrillant supérieur à celui du GS droit, dont l’activation a davantage une influence chronotrope(3,4). Dans le cas particulier des TVPC, il a été démontré que la genèse des arythmies impliquait l’activation par les catécholamines de la protéine kinase A dépendante de l’AMP cyclique, qui phosphoryle plusieurs protéines clés de gestion du Ca2+(5). Durant la stimulation sympathique, les canaux RYR2 mutants entraînent par gain de fonction une libération excessive du Ca2+ du réticulum sarcoplasmique qui génère des courants membranaires dépolarisants, des post-dépolarisations tardives et une arythmie ventriculaire(6).   Mécanismes de la dénervation sympathique   L’innervation sympathique cardiaque est assurée par des fibres préganglionnaires provenant des segments thoraciques de la moelle épinière et qui traversent les GS avant d’atteindre le cœur. L’objectif de la DSC ou sympathectomie est d’agir sur les GS et les ganglions paravertébraux thoraciques (principalement T1 à T4). Il en résulte une baisse de la fréquence cardiaque par augmentation réflexe de l’activité vagale efférente, un raccourcissement du QT et une moindre hétérogénéité de repolarisation. La DSCG vise à interrompre la principale source de noradrénaline libérée dans le cœur, en particulier à l’étage ventriculaire(7). Ceci a des bénéfices multiples, notamment antiarythmiques : la stellectomie augmente le seuil de FV(8) et augmente la période réfractaire ventriculaire(9) ; La DSCG assure une dénervation préganglionnaire sans risque de réinnervation ; du fait que la DSCG n’élimine pas complètement les catécholamines dans les ventricules, on n’observe pas de supersensibilité post-dénervation(5) ; enfin, la DSCG améliore la vasodilatation coronaire et préserve la contractilité(5).   Principales indications de la DSC   Canalopathies (TVPC et SQTL) La DSCG est particulièrement efficace dans ces 2 populations en cas de résistance auxβ-bloquants, réduisant de 68 % les événements rythmiques majeurs à 3 ans, de 93 % les chocs appropriés des TVPC symptomatiques sous traitement(5,10), et jusqu’à 90 % les événements rythmiques majeurs à 8 ans dans le SQTL(11).   TV/FV réfractaires et OR Sur CMI ou CMNI, après échec d’une associationβ-bloquant, amiodarone, anxiolyse ; en cas d’échec d’ablation ou de contre-indication à l’ablation (thrombus intra-ventriculaire ; abord impossible ou complexe : double valve mécanique par exemple).   Prévention des chocs récurrents de défibrillateur (DAI) Chez les patients ayant un DAI, la DSC réduit le nombre de chocs appropriés.   Technique chirurgicale   La DSC est habituellement réalisée de façon mini-invasive par vidéothoracoscopie sous anesthésie générale. Elle consiste en une résection du ou des GS (T1, surtout le gauche) au tiers inférieur afin d’éviter un syndrome de Claude Bernard-Horner (car les fibres nerveuses oculaires se croisent dans la moitié supérieure des GS) et des ganglions thoraciques supérieurs (T2 à T4)(10). Quand il est visualisé, le nerf de Kuntz est sectionné, car il relie les premier et deuxième nerfs thoraciques, contournant la chaîne sympathique entre le ganglion T2 et le GS(12). Des abords chirurgicaux alternatifs ont pu être proposés par voie transaxillaire(13) ou sus-claviculaire afin d’éviter l’anesthésie générale et l’insufflation thoracique chez des patients instables(14). Une dénervation incomplète (en dessous de T1 ou au-dessus de T4) est associée à un risque accru de TV dans les TVPC comparativement à une dénervation complète(10).   Complications et effets secondaires   Les complications de la DSC thoracoscopique sont bien connues et ont été décrites dans deux méta-analyses(15,16) : • Syndrome de Claude BernardHorner : rencontré dans 2,2 à 3 % des séries, il associe un ptosis, un myosis et une anhidrose ipsilatéraux. Il est la plupart du temps résolutif (80-100 %) à 6 mois. • Douleurs neuropathiques : des douleurs résiduelles thoraciques ou de l’omoplate peuvent persister dans 4 % des cas pendant plusieurs semaines(15). • Hypotension orthostatique : rapportée chez 9 % des patients, son retentissement paraît trivial dans le contexte de TVR/OR, alors qu’aucun patient n’a présenté de décès en lien avec la DSC. • Complications chirurgicales : risque anesthésique, infections (cellulite 1 %), hémothorax (2 %), pneumothorax (3,2 à 5 %), en font un facteur limitant pour proposer la DSC chirurgicale aux patients en OR et hémodynamiquement instables.   Efficacité clinique dans les cardiopathies structurales   Schwartz a montré en 1992(17) dans une étude randomisée que la DSCG réduisait comme lesβ-bloquants le risque absolu de mort subite cardiaque à 22 mois dans une population de 144 patients en prévention secondaire de TV/FV, plus de 30 jours après un infarctus antérieur (3,6 % de mort subite après DSCG, 2,7 % sous oxprenol, vs 21,3 % sous placebo). L’ablation par radiofréquence des TV sur cardiopathie, bien que supérieure au traitement antiarythmique, ne prévient leur récidive que dans 56 à 77 % des CMI et dans 38 à 67 % des CMNI(18). Les CMI, bien que souvent surreprésentées dans les séries d’ablation, où cette dernière est plus efficace sur le substrat, ne représentaient que 28 % des cardiopathies traitées par DSC (vidéo-thoracoscopie) pour TVR dans la méta-analyse de Shah (n = 173, âge moyen 54,6 ans, 70 % d’hommes, 65 % ayant déjà eu une ablation)(15). Les CMNI comprenaient des cas de CM dilatée (29 %), maladie de Chagas (13 %), CM arythmogènes du ventricule droit (9 %), CM hypertrophiques (6 %), myocardite (5 %), valvulopathie (4 %), sarcoïdose (3 %). Chez ces patients graves (FEVG moyenne 38 %), une sympathectomie bilatérale a souvent été préférée (82 % vs 18 % de DSCG) afin d’obtenir une dénervation en un temps, sur un maximum de fibres afférentes et efférentes. À un an la survie sans choc était de 58 % pour les CMI et CMNI(19) et de 63 % pour les CM arythmogènes du ventricule droit(20), malgré un arrêt des traitements antiarythmiques obtenu chez 32 % des patients. Pour Barward(21), 69 % des 65 patients pris en charge pour TVR/OR (46 % CMI, FEVG moyenne 28 %, ablation 21 %) étaient indemnes de choc à 27 mois, 72 % avec une réponse complète (réduction > 75 % du nombre de chocs après un blanking de 2 semaines) et 70 % avec un seul antiarythmique (vs 72 % sous 2 antiarythmiques ou plus avant la DSC). On n’observait pas de différence entre les CMI et les CMNI. À un an, la mortalité varie entre 12 et 26 %, avec jusqu’à 8 % de transplantations(19,21). Les prédicteurs indépendants de récidive de chocs appropriés sont une classe NYHA ≥3 et un cycle de TV > 400 ms, alors que les prédicteurs indépendants d’un critère combiné associant chocs appropriés/décès/transplantation sont la classe NYHA ≥ 3, un cycle de TV > 400 ms et une stellectomie unilatérale gauche. L’efficacité de la DSC bilatérale semble supérieure pour réduire en nombre et dans la durée les épisodes de TV, mais la DSCG n’était pas un facteur indépendant de récidive de choc dans plusieurs études rétrospectives(15,19). Il existe un biais probable quant au choix d’une DSC unilatérale vs bilatérale, sans doute influencé par la fragilité des patients et par crainte de complications notamment laryngées bilatérales. Même si on ne dispose pas d’étude de l’impact de la DSC sur la qualité de vie, son amélioration est probable au décours alors que la plupart des études rétrospectives ont montré une réduction jusqu’à 92 % des chocs appropriés(21). Une étude récente a montré une diminution de l’anxiété, sans impact néanmoins sur la dépression et le stress post-traumatique(22). Dans la méta-analyse de Murtaza(16), sur 311 patients admis pour TVR/OR, 60 % ne présentaient pas de récidive de TV à 15 mois (50 % après exclusion des TVPC ou SQTL). Le nombre moyen de chocs était globalement réduit de -3,01 et de -0,97 choc par patient après exclusion des TVPC et SQTL.   Implications en électrophysiologie   Certains auteurs ont émis l’hypothèse d’une plus grande sensibilité des TV à la stimulation anti-tachycardique et d’une plus grande stabilité des patients après DSC, pouvant les amener en salle d’ablation dans de meilleurs conditions(21). En effet, Hayase(23) a montré chez 16 patients (14 CMNI) ayant des TVR à 2 ablations que le cycle des TV était allongé cliniquement (422 ms vs 355 ms pré-DSC), et pendant l’ablation (457 ms vs 406 ms pré-DSC), que 100 % des TV induites étaient monomorphes vs 2/16 polymorphes en pré-DSC, et que 58 % étaient tolérées et cartographiables vs 35 % en pré-DSC (p = 0,03), sans observer de différence en termes d’étendue de cicatrice (figure 1). Figure 1. Adaptée d’Hayase et coll.(23). Changement de cycle de TV : (A) Comparaison des cycles de TV (ms) déclenchées au cours des ablations réalisée avant et après la DSC. (B) Comparaison des cycles de TV spontanées documentées par ECG 12-dérivations ou par interrogation de DAI avant et après DSC.   Sympathectomie percutanée   Des stratégies percutanées de bloc sympathique transitoire (bloc stellaire) par anesthésiques locaux prennent une place grandissante en USIC et en réanimation du fait de leur relative simplicité et de la possibilité de les effectuer le plus souvent au lit du malade, chez des patients en IC avancée (OR, ECMO…). Elles permettent de sélectionner de potentiels répondeurs, candidats à une DSC définitive ultérieurement, et de stabiliser une situation critique d’OR. Une étude récente prospective multicentrique(24) (figure 2) a montré la faisabilité et l’efficacité d’un bloc stellaire (82 % gauche, 18 % bilatéral) échoguidé par bupivacaïne (71 %) ou ropivacaïne (29 %) chez 117 patients en OR/TVR (52 % CMI, 85 % sous amiodarone, 56 % après ablation ; 1 paralysie récurrentielle, un bloc plexique brachial, résolutifs dans les 24 h). Il était observé 24 h après le bloc stellaire une réduction reproductible du nombre médian d’épisodes de TV/VF de 7,5 à 1 par patient et de chocs de DAI de 2 à 0 (p < 0,001), qu’il s’agisse de TV monomorphe ou de FV, avec 63,2 % de répondeurs (diminution ≥ 50 % de la charge en TV/FV sur 24 h), sans différence de réponse selon l’étiologie (CMI vs CMNI). Il existait une tendance à moins de mortalité hospitalière pour les répondeurs vs non répondeurs (35 % vs 53 % ; p = 0,08), comme déjà souligné par Tian en 2019(25). En outre, une injection continue vs unique d’anesthésique local réduit davantage la charge en arythmies ventriculaires (94 % vs 45 %)(26). Figure 2. (A) Bloc percutané du ganglion stellaire. Rapports anatomiques avec l’aiguille. (B) Apparition du ganglion stellaire (flèche) sous l’artère A. (C) Tissu injecté d’anesthésique local (flèche) ; adapté de Fudim et coll.(23). (D) Effets du bloc stellaire sur les arythmies ventriculaires. A = artère ; SGB = bloc du ganglion stellaire ; V = veine ; VF = fibrillation ventriculaire ; VT = tachycardie ventriculaire(24). D’après Chouairi F et al. J Am Coll Cardiol EP 2024 ; 10(4) : 750-8.   Certaines équipes ont pu rapporter des succès d’alcoolisation percutanée à l’éthanol du/des GS par voie antérieure(27) ou postérieure avec l’aide des radiologues vasculaires (décubitus ventral afin de limiter le risque de paralysie récurrentielle), mais nous ne disposons pour le moment pas de données sur son efficacité à moyen et long terme et sur d’éventuelles différences entre DSCG ou bilatérale.   Perspectives futures   De façon générale, la sympatholyse est bénéfique dans la prise en charge des TVR. De petites séries d’anesthésie péridurale thoracique(29) ont pu montrer jusqu’à 54 % de réduction de la charge en TV/FV, même s’il s’agit d’une solution temporaire et à risque hémorragique chez des patients souvent anticoagulés. De la même manière, une diminution des TV/FV a été observée après dénervation rénale bilatérale par radiofréquence : dans le post-infarctus récent chez le cochon en diminuant la charge en ESV, la prolongation du QT et les TV/FV ; chez l’homme IC en cas d’OR résistant aux antiarythmiques et à l’ablation, avec un effet retardé (31 % sans TV à 1 mois, 85 % à 3 mois)(30). Enfin, la neuromodulation par stimulation magnétique transcutanée semble être une option prometteuse dans la prise en charge des TVR(31). L’étude GANGSTER-VT devrait apporter des éléments de réponse concernant la place de la DSCG échoguidée dans la prise en charge des OR avant ou après ablation (NCT05078684).   CONCLUSION   • La sympathectomie vidéo-thoracoscopique pratiquée dans des centres experts reste une référence dans la prise en charge des TVR, en permettant la DSC la plus complète et une réduction franche et durable de la charge en TV/FV et des chocs appropriés. Les techniques percutanées utilisées précocement et accessibles devraient permettre de stabiliser plus rapidement les patients IC et peut-être de réaliser un geste d’ablation plus ciblé. La place de la DSC est bien définie en cas de TV/syncopes résistantes aux β-bloquants dans les TVPC et le SQTL, mais des séries plus larges, multicentriques et randomisées seront nécessaires pour affiner les recommandations sur la DSC dans la prise en charge des TVR sur cardiopathie, qui se basent actuellement uniquement sur des avis d’experts(32). Les techniques de DSC doivent être intégrées et hiérarchisées au sein d’une « Heart Team » en fonction de l’accessibilité/faisabilité du geste et dans une prise en charge globale des patients IC en TV. Cette dernière comprend un large panel de stratégies allant de l’ablation percutanée à la radiothérapie stéréotaxique, en passant parfois par l’anesthésie générale, la pose d’une assistance circulatoire et la DSC. L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt. Références sur demande à la rédaction : biblio@axis-sante.com

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

  • 3 sur 8