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C Demain

Publié le 06 déc 2024Lecture 9 min

La rééducation vasculaire à l’heure de la santé numérique

Ambroise DUPREY*, Olivier CRETON**, *Service de chirurgie vasculaire, CHU de Reims, Hôpital Christian Cabrol, Reims, **Chirurgie vasculaire, hôpital privé des Côtes d’Armor, Plérin

Depuis la nuit des temps vasculaires, la rééducation reste le traitement de première intention pour les patients atteints d’AOMI au stade de la claudication. Plus précisément, c’est à partir des guidelines TASC, publiées en 2000, que la rééducation acquiert cette place importante dans la stratégie de prise en charge. Et malgré la force et la constance de cette recommandation, le constat est sans appel : peu de nos patients reçoivent une rééducation vasculaire digne de ce nom. À l’heure de la santé numérique et des objets connectés, que peut-on attendre et espérer des nouvelles technologies pour améliorer l’accès à une rééducation bien conduite ?

La rééducation supervisée en centre pour tous n’existe pas   Depuis les recommandations TASC jusqu’à celles toutes récentes de l’European Society for Vascular Surgery (ESVS) cette année(1,2), la rééducation vasculaire est le traitement de référence pour les patients claudicants (grade 1A). En pratique, il s’agit de proposer aux patients des exercices supervisés en centre, à raison d’un minimum de 3 heures par semaine pendant au moins 3 mois selon le schéma le plus couramment proposé. Dans ces recommandations, le scénario d’un manque d’accès est envisagé et, dans ce cas, on doit se contenter d’exercices non supervisés, le fameux et si insatisfaisant « go home and walk ». Les enquêtes montrent que seuls 30 % des praticiens affirment avoir accès à un programme d’exercices supervisés pour leurs patients(3) et la majorité des programmes de rééducation sont adossés à la cardiologie(4). Au problème de l’accès se surajoute celui de l’inobservance estimée à 25 % et liée principalement à un manque de motivation et aux comorbidités(5). Dans une autre enquête, on apprend que seule la moitié des praticiens a déjà adressé un patient à un centre de rééducation, alors qu’ils sont 98 % à vouloir en faire bénéficier leurs patients s’ils avaient un programme d’exercice supervisé disponible dans leur environnement proche(4). À partir des données de la littérature et à partir de notre expérience quotidienne, à l’exception de quelques territoires, on fait rapidement le constat que la grande majorité des patients n’aura pas le droit de bénéficier d’une rééducation respectant les recommandations des sociétés savantes. Un effort a donc été investi dans une première alternative : les exercices supervisés à domicile.   La rééducation : c’est mieux à la maison !   Parmi les causes d’inobservance, on retrouve aussi la pénibilité du transport et les difficultés d’agenda pour des patients parfois jeunes et actifs. La rééducation à domicile représente donc une solution de choix pour faire face aux nombreuses problématiques de la rééducation en centre. Mais pas à n’importe quelles conditions ! Dans un essai randomisé, Gardner et coll. ont demandé aux patients de porter à la cheville un monitorage d’activité sous la forme d’un podomètre et de réaliser un programme bien défini de marche à raison de 3 sorties par semaine pendant 12 semaines(6). En comparaison du groupe exercice supervisé en centre, on observait une augmentation équivalente du temps d’apparition de la douleur et du temps maximal de marche, avec une observance identique de 80 % dans les deux groupes. Fait intéressant : l’activité quotidienne mesurée après le programme de rééducation était meilleure dans le groupe des exercices à domicile. Ce résultat est-il à mettre sur le compte des habitudes d’exercice que le patient va développer dans son quotidien ? Ou bien s’agit-il d’un effet de rupture que va connaître le patient entre l’environnement médicalisé du centre de rééducation et son environnement habituel, dans lequel il devra prolonger en autonomie les bénéfices du centre de rééducation ? Comparons aussi les effets des exercices supervisés à domicile par rapport à l’absence complète de tout suivi. Dans une métaanalyse de 11 essais randomisés regroupant 807 patients, on note une augmentation significative de tous les paramètres : distance maximale de marche, distance d’apparition des douleurs, test de marche de 6 minutes et activité physique globale(7). Témoignant de l’intérêt grandissant autour de ces technologies, une étude récente de 2021 publiée dans l’European Journal of Vascular and Endovascular Surgery met en évidence que l’utilisation d’un moniteur d’activités augmente la capacité de marche, le niveau d’activité physique quotidienne et la qualité de vie(8). Dans tous ces articles, les appareils utilisés sont des podomètres ou des accéléromètres triaxiaux disponibles dans le commerce. Il ne s’agit pas d’appareils dédiés au patient claudicant. Ces études montrent le chemin d’un nouveau type de rééducation connectée utilisant des appareils portés par le patient.   L’arrivée du GPS : une première étape pour l’auto-rééducation   Une des équipes ayant une des meilleures expériences de l’utilisation du GPS appliquée au patient claudicant est celle du service de Médecine vasculaire du CHU d’Angers. La première étude publiée en 2008 consistait à mesurer la distance maximale de marche à l’aide d’un GPS embarqué par le patient lors d’une séance de marche dans un parc. Cette distance était fortement corrélée à d’autres mesures effectuées au laboratoire d’explorations vasculaires sans forcément être totalement concordantes(9). L’utilisation du GPS comporte de nombreux avantages : il permet d’évaluer l’activité de marche du patient dans les conditions réelles, de connaître le trajet effectué par le patient avec des informations sur la distance, la vitesse, les temps de repos et le dénivelé. Son coût est faible et les données sont recueillies de manière automatique sans supervision. Une seconde étude prometteuse réalisée par la même équipe a inclus 218 patients claudicants à qui il a été demandé de porter un système GPS pendant une séance de marche d’une heure en extérieur(10). Le trajet était laissé à leur choix. Après deux tentatives, 93 % des enregistrements GPS étaient complets permettant une analyse. L’article détaille les résultats concernant la distance maximale de marche, la vitesse moyenne et la durée moyenne des arrêts. Une des causes d’échec est la durée de vie de la batterie qui représente un écueil technique classique de toute technologie numérique embarquée. On sait aussi que la performance des batteries est en progrès constant depuis cet article datant de 2014. Le GPS a aussi été utilisé pour mesurer l’effet bénéfique d’une revascularisation chez 44 patients pour lesquels la distance maximale de marche et la vitesse moyenne étaient significativement augmentées par rapport à un groupe contrôle n’ayant pas bénéficié d’une revascularisation(11). On entrevoit la possibilité d’utiliser le suivi d’activité par GPS en postopératoire d’une revascularisation pour, d’une part, documenter le bénéfice clinique du geste chirurgical et, d’autre part, accompagner les efforts de rééducation du patient qui ne doit pas compter uniquement sur les effets de la revascularisation. Malgré ces travaux prometteurs sur le GPS et le faible coût du dispositif, il est peu probable que tous les patients puissent obtenir, voire accepter de porter un appareil en plus sur le long terme. Avec le développement des smartphones, de leur technologie embarquée de plus en plus performante avec GPS, podomètre et accéléromètre intégrés, il devient possible de créer les nouveaux outils capables d’aider les patients à réaliser leur rééducation à plus large échelle.   Le smartphone : le véritable game changer pour l’auto-rééducation ?   Le smartphone contient tous les outils nécessaires au suivi d’activités de n’importe quel individu et on ne compte pas les applications grand public en accès libre ou payantes qui viennent compléter les applications « built-in ». Les applications dédiées au patient claudicant sont encore peu nombreuses en comparaison à ce qui existe déjà dans d’autres spécialités. On en compte à ce jour deux ayant déjà fait l’objet de publications.   YORwalK La première application a été conçue au Royaume-Uni : YORwalK(12). Elle utilise la fonction podomètre du smartphone dans une application qui contient deux rubriques : l’une pour relever l’activité quotidienne et l’autre pour faire un test de marche de 6 minutes. Dans l’activité quotidienne, le patient a des objectifs à atteindre et il est accompagné visuellement par une barre de progression (figure 1). Dans le test de 6 minutes, l’application lui donne des instructions, puis il entend un compte à rebours pendant la réalisation du test et il peut signaler la douleur par un bouton. On remarque immédiatement l’intérêt d’une application dédiée au patient claudicant : les tests sont adaptés à la pathologie, les instructions sont détaillées pour faciliter l’utilisation et le patient bénéficie d’un accompagnement pour utiliser l’application. La nouveauté par rapport à un simple podomètre est aussi la possibilité de recueillir une information clinique, la douleur, sous la forme d’un bouton facile à identifier pour le patient. Un autre avantage de l’application est la fonction « report » qui permet au patient de suivre facilement son activité et ses progrès en temps réel. Figure 1. Captures d’écran de l’application YORwalK avec la barre de progression (A), un rapport hebdomadaire (B) ou mensuel (C).   TrackPAD La seconde application s’appelle TrackPAD et nous vient d’une équipe allemande avec une première publication sur les principes de l’application et le lancement d’une étude randomisée(13), et une seconde sur les résultats(14). Comme la précédente application, on retrouve l’utilisation du podomètre comme technologie de recueil de l’activité. Pendant une activité de marche, le patient a la possibilité de donner un feedback lorsqu’il s’arrête de marcher sur son niveau de douleur, sa respiration et sa fatigue générale. Une originalité de cette application est l’aspect motivationnel avec un système de récompenses par des médailles et un classement effectué au sein du groupe patients utilisateurs (figure 2). L’étude a randomisé les patients claudicants entre groupe utilisateurs de l’application et un groupe contrôle. Les résultats à 3 mois montrent une augmentation significative des performances du test de marche de 6 minutes dans le groupe utilisateurs de l’application. Une autre information intéressante dans cette étude est le détail des patients qui l’ont quittée soit au moment de l’inclusion, soit au cours du suivi. Au départ, 65 patients étaient éligibles avant inclusion pour 46 patients inclus, pour finir à 39 patients au cours du suivi. On note qu’un patient a perdu l’intérêt au cours de l’utilisation et qu’un autre a arrêté suite à plusieurs bugs de l’application. Figure 2. Exemple de fonctionnalité motivationnelle de l’application TrackPAD où le patient peut se situer parmi un groupe d’utilisateurs.   E-REVA En parallèle de ces deux premières expériences, nous avons développé une nouvelle application « made in France » nommée E-REVA dédiée aux patients claudicants. Elle s’appuie sur deux fonctions principales : des séances de marche libre suivies par GPS et des séances de rééducation analytique (travail de certains segments musculaires) à réaliser à domicile. Lors des séances de marche libre, le patient doit indiquer quand il ressent la douleur en appuyant sur un bouton. On recueille donc une information clinique essentielle pour suivre les progrès de la rééducation (figure 3A, B). L’application va enregistrer le trajet du patient (figure 3C), les distances jusqu’à la douleur, le temps de récupération. Elle calculera notamment le périmètre de marche et la vitesse de marche. Les séances de rééducation analytique sont encouragées à raison de 3 séances le matin et 3 séances l’après-midi. Le praticien prescripteur de l’application peut consulter l’activité de son patient sur un portail médecins sur le web. On peut aussi paramétrer une alerte en cas de chute brutale du périmètre de marche, ce qui peut amener à contacter le patient et lui prescrire de nouveaux examens. Le patient pourra aussi consulter lui-même ses progrès dans une rubrique « statistiques » comme cela existe déjà pour les applications grand public. Figure 3. Captures d’écran de l’application E-REVA avec la page d’accueil et ses différentes fonctionnalités (A), la marche libre (B) avec le bouton douleur et une représentation d’un trajet effectué (C) avec en rouge les douleurs signalées par le patient.   Une étude randomisée (APAISE) est en cours au CHU de Reims utilisant cette application E-REVA (NCT05457738). Nous espérons pouvoir présenter des résultats au cours du second semestre 2025.   En conclusion   Nous sommes, aujourd’hui, encore à l’aube de la révolution numérique dans le domaine de la santé. Il est fort à parier que ces outils qui semblent novateurs deviennent le « gold standard » des prises en charges de demain. La prise en compte de ces modalités alternatives de rééducation dans les nouvelles recommandations de l’ESVS 2024 est un témoignage de cette évolution.

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