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Insuffisance cardiaque

Publié le 01 avr 2017Lecture 8 min

Quoi de neuf sur les biomarqueurs ?

Alain COHEN-SOLAL, Hôpital Lariboisière, Paris

Les biomarqueurs ont révolutionné la stratégie pronostique et surtout diagnostique de l’insuffisance cardiaque depuis une dizaine d’années. Auparavant, les cardiologues étaient relativement orphelins en termes de biomarqueurs puisqu’en dehors de la troponine pour le diagnostic de l’insuffisance coronaire, il n’existait pas de biomarqueurs plasmatiques pour l’insuffisance cardiaque.
L’avènement des peptides natriurétiques a complètement bouleversé la façon de voir l’insuffisance cardiaque. Où en est-on 15 ans après ? Le nombre de publications consacrées aux biomarqueurs a crû de façon exponentielle, et il est difficile pour un non-initié de ne pas être perdu. Les quelques lignes qui suivent permettront de faire le point de cette thématique.

Diagnostic Sur le plan diagnostique, les peptides natriurétiques restent indétrônés. Rappelons que le BNP est une forme active alors que le NT-proBNP est une forme inactive. Il existe un rapport de 1 à 3 à 1 à 6 entre le BNP et le NT-proBNP selon la technique de dosage. Le NT-proBNP a une demi-vie un peu plus longue et serait un peu plus affecté par la dysfonction rénale. Le coût du marqueur a bien baissé, de l’ordre de 20 euros. Les peptides natriurétiques sont irremplaçables en ce qui concerne le diagnostic d’une insuffisance cardiaque. Toutefois, il y a eu de larges excès depuis les publications initiales. L’élément indiscutable est le suivant : devant un sujet présentant une pathologie susceptible d’être une insuffisance cardiaque, dyspnée essentiellement, mais probablement aussi oedème des membres inférieurs, un taux de BNP bas a une valeur prédictive négative extrêmement importante. Malheureusement, le seuil inférieur antérieurement retenu de 100 pg/ml pour le BNP et de 400 pg/ml pour le NT-proBNP a été largement modifié lors des dernières recommandations avec maintenant des valeurs bien plus basses (< 35 pg/ml dans l’IC chronique et < 100 pg/ml dans l’IC aiguë pour le BNP et < 125 pg/ml dans l’IC chronique et < 300 pg/ml dans l’IC aiguë pour le NTproBNP). Un taux de BNP bas a une valeur prédictive négative extrêmement importante. Avec ces seuils, la valeur prédictive négative est bien plus importante. Mais la valeur prédictive positive devient relativement faible et tous les cardiologues savent qu’il n’est pas possible devant un BNP supérieur à 125 pg/ml d’être sûr que le patient a une insuffisance cardiaque. Les seuils supérieurs antérieurement proposés par A. Maisel et par notre équipe de 400 à 500 pg/ml restent valides pour beaucoup de cardiologues, avec raison. La zone grise existe toujours entre 100 et 500 pg/ml (BNP). On sait que d’autres pathologies peuvent augmenter le taux de BNP telles que l’insuffisance cardiaque droite secondaire à une BPCO ou à une HTAP, l’ischémie myocardique, l’insuffisance rénale, le vieillissement et la fibrillation atriale, etc. Toutes ces augmentations sont relativement modestes mais amènent souvent le BNP dans la fameuse zone grise… De même, un oedème pulmonaire aigu « flash » peut survenir alors que le BNP n’a pas eu le temps d’augmenter. Enfin, le rôle de l’obésité ne peut être méconnu puisqu’avec l‘augmentation de poids, les seuils de BNP diminuent de façon assez importante, faisant qu’un patient de 120 kilos peut très bien avoir de l’insuffisance cardiaque avec un BNP plasmatique de l’ordre de 100 à 200 pg/ml (figure). Le mécanisme de cette interaction entre l’obésité et le BNP n’est pas très clair : on invoque un rôle des adipocytes dans la dégradation du BNP. D’autres peptides natriurétiques ont été proposés pour le diagnostic : le MRproANP qui est la forme mère de l’ANP (sécrété surtout par l’oreillette) est sécrété essentiellement par le ventricule ; il semble un peu plus stable que le BNP. Il a une valeur diagnostique équivalente à celle des autres peptides natriurétiques ; il ne s’est pas imposé à ce jour. Figure. Relation entre le BNP plasmatique (ordonnée, en pg/ml) et le BMI (en abscisse) chez 684 insuffisants cardiaques chroniques. La grande question qui est apparue en 2016 concerne les interférences entre les peptides natriurétiques et le LCZ696. En effet, le LCZ696 (Entresto®), médicament qui va être pris par un nombre croissant d’insuffisants cardiaques, inhibe la néprilysine. La néprilysine est une enzyme qui dégrade le BNP et il a été démontré chez l’animal que sous LCZ696, le BNP augmente. Dans l’étude PARADIGM, les taux de NT-proBNP baissaient avec le traitement, suggérant une amélioration fonctionnelle en rapport avec une diminution des contraintes ventriculaires gauches. Le BNP semblait augmenter ou du moins baisser de façon beaucoup moins nette, faisant suggérer qu’à l’époque de l’Entresto®, il fallait abandonner le BNP pour doser le NT-proBNP. D’autres études restent à réaliser pour confirmer tout cela et la réponse sera probablement disponible en 2018. Pronostic Les peptides natriurétiques ont également une très grande valeur pronostique. Un taux de peptides natriurétiques élevé à l’admission du patient est toujours associé à un pronostic sévère. Dans la majorité des scores pronostiques réalisés aux urgences dans l’insuffisance cardiaque aiguë, les peptides natriurétiques font partie des éléments du score retenu. Les valeurs de peptides natriurétiques à la sortie d’une hospitalisation ont une valeur pronostique encore plus grande. Il s’agit probablement d’un des critères pronostiques les plus puissants : un patient gardant un taux de BNP ou de NT-proBNP augmenté est à très fort risque de rechute ou de décès à court terme et doit être pris en charge de façon très rigoureuse à la sortie de l’hôpital, notamment dans les 4 premières semaines. Stratégie thérapeutique La stratégie thérapeutique guidée par les biomarqueurs s’est également imposée au cours des dernières années. En effet, il a été montré dans plusieurs études qu’une stratégie thérapeutique adaptée sur la diminution des taux de BNP et de NT-proBNP était plus efficace sur la réduction de morbi-mortalité qu’une stratégie simplement basée sur la clinique et les examens complémentaires. Diverses métaanalyses ont confirmé cela, toutefois avec deux bémols : 1) cela est moins évident chez le sujet âgé ; 2) cela a essentiellement été démontré dans l’insuffisance cardiaque à FEVG abaissée et paraît beaucoup moins certain dans l’insuffisance cardiaque à FEVG préservée. Pourquoi cette stratégie est-elle efficace ? Tout simplement parce qu’un taux élevé est un élément incitant à aller plus loin dans la stratégie thérapeutique, médicamenteuse ou non, chez un patient qui semble stabilisé ou chez lequel on pense qu’on ne peut aller plus loin sans risque. Le biomarqueur nous offre une raison d’augmenter les thérapeutiques puisque malgré une amélioration clinique, le cardiologue sait qu’un taux résiduel élevé de peptides natriurétiques est associé à un mauvais pronostic. C’est pour cela que l’amélioration du pronostic est essentiellement liée à l’augmentation des doses des médicaments. Tout récemment, toutefois, l’étude GUIDE-IT réalisée par le NIH aux États-Unis, qui a essayé de reproduire ces données, s’est de façon surprenante révélée négative, donnant du grain à moudre aux opposants à cette stratégie. Il semblerait que dans cette étude, les patients traités de façon classique avaient une augmentation très agressive des doses de médicaments avec un suivi particulièrement fréquent. Une autre limite à la stratégie guidée par les biomarqueurs est qu’il n’existe pas de règles bien précises concernant la façon dont on doit optimiser le traitement : doit-on augmenter les doses de diurétiques ? celles des bêtabloquants ? des IEC ? L’élément important à retenir est que la persistance d’un taux élevé de BNP ne doit pas seulement mener à augmenter la posologie des diurétiques mais à augmenter celles des bêtabloquants et des IEC. En effet, une augmentation des peptides natriurétiques est liée bien entendu à une augmentation de la volémie mais également au remodelage ventriculaire gauche. Ainsi, il est parfaitement possible d’entraîner une hypovolémie relative avec insuffisance rénale fonctionnelle chez un patient avec un BNP à 500 pg/ml par exemple, si le seul remodelage ventriculaire gauche est responsable par exemple d’un taux de BNP aux alentours de 700 pg/ml. Autres biomarqueurs Le récepteur soluble de ST2 (sST2) • Apparu ces dernières années dans plusieurs études, il s’est révélé avoir une valeur pronostique plus puissante que celle des peptides natriurétiques. La difficulté est que le rôle exact du sST2 n’est pas très clair, ce qui peut nuire à son acceptation par l’ensemble des cardiologues (à la différence d’un peptide natriurétique par exemple) : - sST2 est une récepteur soluble : il se lie ainsi à l’IL-33, son ligand naturel, l’empêchant ainsi de se lier à son récepteur membranaire et exercer ainsi des fonctions bénéfiques vis-à-vis du remodelage et de l’inflammation ; - sST2 peut être utile pour guider la stratégie thérapeutique au moins autant que les peptides natriurétiques. Toutefois les expériences avec le sST2 sont limitées à quelques équipes ; - sST2 apparaît comme un marqueur pronostique extrêmement puissant et dont l’absence de baisse sous traitement est aussi péjorative que celle des peptides natriurétiques. La galectine 3 • Elle est sécrétée en cas d’inflammation et de fibrose. On a voulu faire de la galectine 3 un biomarqueur plasmatique de la fibrose myocardique. Les premières études ont montré que la galectine 3 était très souvent associée à un pronostic réservé. Toutefois, on s’est aperçu que la fonction rénale avait un rôle très important dans l’augmentation des valeurs plasmatiques de galectine 3, que l’inflammation tout autant que la fibrose augmentait la galectine 3 et qu’il est très difficile de faire varier un taux plasmatique de galectine 3 avec les thérapeutiques. De ce fait, il semble peu probable que la galectine 3 soit à l’avenir un biomarqueur essentiel dans le diagnostic ou la prise en charge thérapeutique d’une insuffisance cardiaque. De très nombreux autres biomarqueurs sont en cours d’évaluation MR pro-adrénomédulline, GDF 15, apeline, néprilysine… Il est trop tôt pour en faire des marqueurs à retenir pour le cardiologue traitant. Au niveau rénal, cystatine C, NGAL, Kim-1 ont aussi été évalués avec l’idée de permettre un diagnostic plus précoce de la dysfonction rénale que la créatininémie ou le DFG. Ces biomarqueurs explorent des mécanismes différents de la filtration glomérulaire ; ils ne se sont pas imposés à ce jour. La pro-enkephaline a été récemment évaluée avec quelques succès. Signalons également le développement de stratégies multimarqueurs, avec des systèmes dosant par exemple chez le même patient de façon simple BNP, troponine et D-dimères ou créatinine, hématocrite et potassium. Enfin, l’avenir est probablement au dosage capillaire (au bout du doigt) de biomarqueurs, réalisable par le patient comme c’est le cas pour la glycémie capillaire. Un tel système pourrait être intéressant en télémédecine. En pratique  Les biomarqueurs se sont imposés dans la prise en charge de l’insuffisance cardiaque ; difficilement. Beaucoup préfèrent diagnostiquer, suivre une IC et en prédire le pronostic par l’écho. Les deux sont complémentaires. De nombreux biomarqueurs arrivent qui n’ont pas pour l’instant réussi à détrôner les peptides natriurétiques et leur valeur diagnostique et pronostique, malgré les limites qui ont été objectivées ces dernières années. L’avenir est peut-être à la combinaison de biomarqueurs — à condition qu’on démontre qu’elle fasse mieux que la clinique et les seuls peptides natriurétiques — et au dosage d’un ou de plusieurs biomarqueurs au bout du doigt. 

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