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Insuffisance cardiaque

Publié le 01 fév 2023Lecture 6 min

La carence martiale dans l’insuffisance cardiaque - Fréquente, grave mais réversible

Sophie MORET, Courbevoie

Associée à un mauvais pronostic, la carence martiale nécessite un dépistage et une prise en charge rapide et efficace comme le recommande très clairement la Société européenne de cardiologie. Mise au point sur ce problème insuffisamment considéré.

Jusqu’à 4 patients sur 5 en décompensation cardiaque carencés   Plus souvent associée à l’insuffisance cardiaque (IC) que le diabète ou l’apnée du sommeil, la carence martiale (CM) est une comorbidité importante mais souvent sous-estimée. C’est pourtant l'une des principales comorbidités non cardiovasculaires chez les patients atteints d'insuffisance cardiaque avec une prévalence estimée entre 30 à 50 % en phase chronique et à 70 à 80 % en aiguë(1,2). Prioritairement décrite dans l’IC à fraction d’éjection (FEVG) réduite, celle-ci serait toutefois au moins, sinon plus fréquente dans l’IC à FEVG préservée, comme l’a récemment montré l’étude CARENFER dont l’objectif était d’évaluer la prévalence de la CM dans un large panel de patients insuffisants cardiaques à différents stades de la maladie(2). Cette vaste étude prospective transversale nationale, réalisée en France en 2019, sur une population de 1 502 individus a révélé que les patients avec une FEVG préservée étaient significativement plus susceptibles d’avoir une carence martiale (284/494, 57,5 %, IC à 95 % : 53,1–61,8) que les patients avec une FEVG légèrement réduite (144/304, 47,4 %, IC à 95 % : 45,7-65,0) ou FEVG réduite (282/636, 44,3 %, IC à 95 % : 40,5-48,2) (p < 0,001)(2) (figure 1).   Diagnostic : 2 critères principaux   Dans le diagnostic de carence martiale, deux paramètres biologiques sont à considérer : le taux de ferritine et le coefficient de saturation de la transferrine. Un taux de ferritine < 100 mg/L signe à lui seul le diagnostic de carence martiale absolue. La carence martiale fonctionnelle quant à elle, associe des valeurs de ferritine comprises entre 100 et 299 mg/L et un coefficient de saturation de la transferrine inférieur à 20 %(3). L’attention doit être attirée sur le fait que le seuil de 30 mg/L pour la ferritine encore régulièrement utilisé comme référence de diagnostic de CM par certains laboratoires d’analyse est nettement en dessous des normes actuelles des recommandations internationales et ne permet donc pas de dépister toutes les carences. Il convient aussi de rappeler que le niveau d’hémoglobine n’est pas un critère diagnostique de CM mais d’anémie, et que ces deux manifestations peuvent exister indépendamment. Dans l’étude Klip et coll., 45,6 % des patients souffrant d’ICC carencés en fer étaient non anémiques (p < 0,001)(4). Cette donnée illustre la nécessité de décorréler la carence en fer de celle en hémoglobine et de ne plus considérer la CM uniquement sous l’angle de l’anémie ferriprive.   Moelle osseuse, muscles squelettiques et cœur directement impactés   Outre les troubles qu’elle entraîne sur l’érythropoïèse, la carence martiale perturbe aussi le fonctionnement normal de certains organes, ainsi que celui de nombreux processus moléculaires, en particulier au niveau des mitochondries avec des conséquences directes sur le cœur, les muscles squelettiques et les reins(5). Ceci a été illustré par diverses études expérimentales qui ont démontré qu’une déplétion en fer affectait la fonction musculaire en diminuant la contractibilité et la relaxation des cardiomyocytes(6). D’un point de vue clinique, ces différents phénomènes se matérialisent par une baisse de la tolérance à l’effort, une majoration des risques d’hospitalisation, une augmentation de la mortalité ainsi que par une diminution de la qualité de vie(5). Selon une revue de la littérature scientifique sur l’impact des comorbidités non cardiovasculaires sur la qualité de vie (QdV) des patients insuffisants cardiaques chroniques publiée entre 2009 et 2019, l’anémie et la carence martiale sont les comorbidités qui ont le plus d’effets négatifs sur la QdV(7).   Carence en fer et pronostic dans l’IC chronique   La CM est étroitement liée à la gravité de la maladie et semble être un facteur prédictif puissant et indépendant de mortalité. Une cohorte internationale de 1 506 patients s’intéressant aux facteurs associés à l’ICC sur une durée de 8 ans, a montré que dès le 6e mois de suivi, les taux de mortalité entre les personnes carencées et non carencées différaient significativement (8,7 % contre 3,6 % respectivement, p < 0,001). Ces différences restaient statistiquement significatives pendant toute la durée du suivi, avec une mortalité accrue chez les patients avec CM par rapport aux patients sans ID (p = 0,001)(4) (figure 2).   Mise à jour récente des recommandations   Dans ses dernières recommandations datant de 2021, la Société européenne de cardiologie décrit ainsi les situations dans lesquelles une supplémentation en fer injectable devrait être envisagée. Outre les patients symptomatiques avec FEVG < 45 % avec CM (classe IIa, niveau A), ont été ajoutés les patients(8) : – en pré-sortie ou nouvellement sortis d’une hospitalisation pour décompensation cardiaque (classe IIa, niveau B) ; – symptomatiques récemment hospitalisés pour IC avec FEVG < 50 % avec carence martiale (classe IIa, niveau B). Il faut aussi rappeler que celles-ci recommandent fortement que tous les patients atteints d’IC soient périodiquement dépistés pour l’anémie et la carence martiale avec une analyse de sang complète, comprenant le taux de ferritine et le coefficient de saturation de la transferrine (classe I, niveau C)(8).   Intérêt du fer oral et de l’érythropoïétine   Compte tenu des avantages offerts par la supplémentation orale (facilité, faible coût), son efficacité a été étudiée chez les patients carencés et souffrant d’IC à FEVG réduite. L’essai randomisé, en double aveugle, contrôlé versus placebo IRONOUT a montré que le polysaccharide de fer oral à haute dose n’avait pas amélioré la capacité d’exercice(9). Le manque d’effet serait lié au règlement de l’hepcidine, peptide inhibant l’absorption intestinale du fer causée par l’inflammation accrue associée à l’IC. Ces résultats et les explications physiologiques ne soutiennent donc pas l’utilisation de la voie orale pour le traitement de la CM pour la grande majorité des insuffisances cardiaques. De même, les études cliniques n’ont pas permis d’associer les injections l’érythropoïétine (EPO) à des résultats favorables dans l’IC ; l’EPO ayant pour objectif de corriger une anémie, manifestation non systématiquement associée à une carence martiale.   Le parcours de soins   De façon classique, la carence martiale peut être prise en charge dans le cadre d’une simple hospitalisation, en hôpital de jour (HDJ) ou en établissement de réadaptation. Toutefois avec le développement de l’ambulatoire, l’hospitalisation à domicile (HAD) se révèle être une modalité intéressante comme l’a montré une expérimentation réalisée depuis 2 ans à l’hôpital Saint-Joseph à Marseille. Pour la mise en place de ce service, plusieurs protocoles d’administration et d’urgence ont été instaurés dont ceux pour la prise en charge d’événements anaphylactiques (avec algorithme décisionnel et trousse de secours spécifique) ou de risque de tatouage en cas d’extravasation du produit. En pratique, la prise en charge nécessite une heure, 30 minutes pour la pose et l’injection, et 30 minutes de surveillance avec un suivi jusqu’à la vingt-quatrième heure pour s’assurer de l’absence de réactions indésirables. Après 2 ans d’expérience, le bilan est prometteur. En 2021 : 499 injections à domicile ont été réalisées et les projections pour 2022 basées sur les 10 premiers mois de l’année montrent une augmentation de 25 %. Les indications de supplémentation en fer étaient diverses : orthopédie, périopératoire, gynécologie et cardiologie qui ont représenté 20 % des injections la première année et qui nécessitait dans 45 % des cas une deuxième injection du fait de la profondeur des carences. Du point de vue médico-économique, le rapport est satisfaisant ; la facturation et le bienêtre du patient étant en faveur de HAD par rapport à l’HDJ. Cette nouvelle option de prise en charge de la carence martiale est donc une opportunité supplémentaire pour offrir le traitement le plus adapté aux patients souffrant d’IC dans l’objectif d’améliorer leurs capacités fonctionnelles et leur qualité de vie.

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