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Thrombose

Publié le 29 nov 2005Lecture 7 min

EP massive : reste-t-il une place à l'embolectomie chirurgicale ?

N. MENEVEAU, CHU Jean Minjoz, Besançon

Les progrès réalisés dans le traitement médical des embolies pulmonaires massives ont conduit à réduire le recours à l’embolectomie chirurgicale dont les indications sont devenues relativement rares. Cette technique lourde de mise en œuvre n’est disponible en urgence que dans les centres spécialisés pourvus d’un service de chirurgie cardiothoracique. Jusqu’à un passé récent, l'embolectomie chirurgicale était limitée aux contre-indications ou échecs du traitement thrombolytique et réservée aux patients les plus graves n’ayant pas d’autre alternative thérapeutique. Les récents progrès accomplis dans la stratégie de prise en charge de l’embolie pulmonaire ont pourtant conduit certaines équipes à reconsidérer la place de l’embolectomie autrement que comme « l’intervention de la dernière chance ».

Pour quel type d'embolies pulmonaires ? Dans l'absolu, le candidat idéal à l’embolectomie chirurgicale est un patient avec emboles proximaux situés au niveau du tronc de l'artère pulmonaire ou de ses premières branches de division, sans hypertension artérielle pulmonaire fixée. La documentation anatomique de l'obstruction vasculaire pulmonaire est donc indispensable. Le recours à l'échographie transœsophagienne et surtout à l'examen tomodensitométrique (scanner spiralé) ont aujourd'hui supplanté l’angiographie pulmonaire (figures 1 et 2). L'examen échographique permet, en effet, de visualiser la localisation des thrombi et d'évaluer le retentissement de l'obstruction pulmonaire sur les cavités droites. Le scanner spiralé est encore plus performant dans la localisation des emboles pulmonaires et leur dissémination au niveau des branches de division segmentaires ou sous-segmentaires. Figure 1. Visualisation d’un thrombus situé dans le tronc de l’artère pulmonaire en échographie œsophagienne. Figure 2. Embolie pulmonaire proximale bilatérale au scanner spiralé avec volumineux thrombi situés dans l’artère pulmonaire droite et les branches de division de l’artère pulmonaire gauche. Les modalités de l’intervention L'embolectomie bilatérale sans circulation extracorporelle (CEC), réalisée par sternotomie médiane avec arrêt circulatoire bref par clampage des deux veines caves, ou l'embolectomie unilatérale par incision de l'artère pulmonaire droite ou gauche, ne sont pratiquement plus réalisées. L’embolectomie chirurgicale est aujourd'hui pratiquée dans la majorité des cas sous CEC, en normothermie. La technique consiste en une sternotomie médiane avec canulation de l’aorte et de l'oreillette droite (ou canulation des deux veines caves), et instauration d'une CEC. L'artère pulmonaire est incisée longitudinalement et les caillots sont extraits au moyen de pinces adaptées ou d'une canule aspirative. L'oreillette et le ventricule droit sont également explorés. Les cavités droites sont alors refermées, la CEC est interrompue, les canules sont retirées et la protamine administrée. Cette technique, seulement disponible dans les centres pourvus d'un service de chirurgie cardiothoracique, nécessite de pouvoir être mise en œuvre très rapidement par une équipe expérimentée. Dans la majorité des cas, un filtre cave est mis en place au décours de l'intervention, afin de prévenir les conséquences fatales d'une récidive embolique chez des patients instables dont le traitement anticoagulant efficace est parfois difficile à conduire en postopératoire immédiat. Toutefois, en l’absence de thrombose veineuse profonde et de contre-indication au traitement anticoagulant, l'interruption cave est controversée.   Mortalité opératoire et pronostic à long terme Jusqu'à un passé récent, les chiffres de mortalité opératoire étaient très élevés et variaient selon les études de 20 à 50 %. Les interventions conduites sous CEC étaient grevées d’une mortalité de 33 % en moyenne, alors que celles réalisées sans CEC, pratiquées chez les patients les plus graves et dans des centres dépourvus de chirurgie cardiothoracique, avaient une mortalité atteignant 56 %. Ces chiffres moyens sont à confronter à la faible mortalité observée dans les grandes séries récentes de patients fibrinolysés, en sachant bien évidemment que les populations ne sont généralement pas comparables à l'inclusion, notamment en termes de gravité hémodynamique. Dans de nombreux cas, l’embolectomie était réalisée chez des patients moribonds, au décours de manœuvres de ressuscitation prolongées. La survenue d'un arrêt circulatoire initial multiplie, en effet, le risque de mortalité opératoire par 3,4, et l'existence d'antécédents cardiorespiratoires par 4,7. Il a été évoqué que la réalisation d'un massage cardiaque externe puisse fragmenter les thrombi pulmonaires proximaux, rendant plus difficile leur extraction chirurgicale. Les chiffres de mortalité atteignent ainsi 65 % en cas de manœuvres de ressuscitation préopératoires. Chez les patients les plus instables, une assistance circulatoire partielle fémoro-fémorale peut être discutée pour stabiliser l'hémodynamique si l’embolectomie ne peut être réalisée immédiatement, ou s'il est nécessaire d'entreprendre au préalable des examens visant à confirmer le diagnostic. Les complications postopératoires sont également très fréquentes. La défaillance cardiaque est la principale cause de mortalité postopératoire. S'y ajoutent l'hémorragie alvéolaire liée aux lésions de reperfusion pulmonaire, les complications neurologiques secondaires aux arrêts circulatoires préopératoires et les médiastinites. L'évolution secondaire et le pronostic à plus long terme sont généralement satisfaisants une fois passée la phase aiguë périopératoire. À 8 ans, la survie des patients embolectomisés est de 71 % et 84 % d’entre eux ont une amélioration significative de leur fonction cardiorespiratoire (stades I et II de la NYHA). La mortalité tardive est principalement liée aux comorbidités, et plus particulièrement aux pathologies cancéreuses.   Pour quels patients ? Le pronostic périopératoire extrêmement péjoratif des embolies pulmonaires traitées par embolectomie chirurgicale a finalement conduit à faire reculer les indications de cette option thérapeutique. L'efficacité établie du traitement thrombolytique dans les embolies pulmonaires massives avec instabilité hémodynamique a limité les indications opératoires réservées jusque-là aux patients les plus graves. La thrombolyse médicamenteuse permet, en effet, une amélioration hémodynamique rapide et s'accompagne d'une réduction de la mortalité des patients en choc cardiogénique. La décision d'embolectomie reste pourtant une option valable, qui doit se discuter au cas par cas en situation de sauvetage, chez les patients qui restent hémodynamiquement instables malgré un traitement médical optimal, et en cas de contre-indication absolue ou d'échec précoce du traitement thrombolytique.   En sauvetage après fibrinolyse Dans notre expérience, nous avons pu établir, sur une série de 488 embolies pulmonaires fibrinolysées entre 1995 et 2005, que le taux d'échecs du traitement thrombolytique, défini sur la persistance d'une instabilité hémodynamique et de signes de dysfonction ventriculaire droite à l'échographie, était de 8 %. Chez ces patients, l'embolectomie chirurgicale de sauvetage se montre très nettement supérieure à la réalisation d'une thrombolyse répétée (figure 3). En particulier, l'option chirurgicale permet une réduction de la mortalité hospitalière et des récidives emboliques, comparée à l'option médicamenteuse. Surtout, les complications hémorragiques graves observées chez les patients soumis à une deuxième thrombolyse se sont révélées fatales dans tous les cas (tableau). Figure 3. Pièces opératoires après embolectomie chirurgicale de sauvetage. À noter la coexistence de thrombi d’âges différents, témoins d’épisodes emboliques répétitifs. Ces données confirment donc l'intérêt de l'embolectomie chirurgicale en cas d'échec de la fibrinolyse et plaident pour un transfert rapide de ces patients vers un centre pourvu d’un service de chirurgie cardiothoracique.   Thrombus dans les cavités droites La présence de thrombus dans les cavités droites chez des patients avec embolie pulmonaire aiguë constitue également pour certains une indication d’embolectomie chirurgicale. L’extraction chirurgicale de ces thrombi est supposée réduire le risque de récidive embolique massive. On ne dispose toutefois d’aucune étude ayant spécifiquement comparé la chirurgie et la thrombolyse dans ce contexte particulier.   En première intention Enfin, certaines données récentes de la littérature pourraient conduire à reconsidérer en partie la place de l'embolectomie chirurgicale dans la stratégie thérapeutique de l’embolie pulmonaire, en première intention. À ce jour, une seule étude non randomisée a comparé le traitement médical et l'embolectomie chirurgicale dans l'embolie pulmonaire massive. Les patients traités médicalement avaient un taux de mortalité plus élevé (33 versus 23 %), ainsi qu'un risque de complications hémorragiques ou de récidives plus important. La situation a récemment évolué à la lumière d’études d'observation portant sur des séries limitées de patients avec embolie pulmonaire massive ou submassive et soumis à embolectomie chirurgicale. La mortalité à 1 mois (entre 8 et 11 % selon les séries) s’est montrée superposable aux chiffres rapportés après thrombolyse. Une équipe américaine vient de rapporter son expérience à partir de 47 patients consécutifs opérés entre 1999 et 2004. La prise en charge rapide des patients reposait sur la réalisation d’un scanner thoracique et d’une échocardiographie transthoracique, suivis d’une intervention très précoce. L’embolie devait être proximale et les patients devaient avoir des signes échographiques de cœur pulmonaire aigu. Les indications chirurgicales ont été portées devant une contre-indication à la thrombolyse dans 45 % des cas, un échec du traitement thrombolytique dans 10 % des cas, et une dysfonction ventriculaire droite isolée dans 32 % des cas. Un quart des patients étaient en choc cardiogénique et 11 % d’entre eux avaient présenté un arrêt cardiocirculatoire préopératoire. Trois patients (6 %) sont décédés en peropératoire (2 d’entre eux avaient présenté un arrêt circulatoire avant l’intervention). La survie à 1 et 3 ans a été de 86 et 83 %, respectivement. Ces résultats tendent à prouver que si le diagnostic d’embolie pulmonaire est rapide et l’intervention chirurgicale réalisée sans délai par une équipe entraînée, le pronostic des patients soumis à embolectomie en première intention est superposable à celui des patients fibrinolysés. Ils demandent, bien sûr, à être confirmés à plus grande échelle, mais permettent d’envisager l’embolectomie chirurgicale comme une alternative à la thrombolyse, d’autant plus que cette dernière tarde à prouver son efficacité en termes de réduction de mortalité.   En pratique La décision d'embolectomie chirurgicale doit se discuter en situation de sauvetage, chez les patients qui restent hémodynamiquement instables malgré un traitement médical optimal, et en cas de contre-indication absolue au traitement thrombolytique ou d'échec précoce de celui-ci. Les résultats prometteurs obtenus lorsque l’embolectomie est réalisée sans délai en première intention par une équipe entraînée doivent être confirmés à plus grande échelle avant que l’on puisse considérer la chirurgie comme une alternative valable à la thrombolyse. Une bibliographie sera adressée aux abonnés sur demande au journal.

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