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Cardiologie générale

Publié le 04 juil 2006Lecture 8 min

La prise en charge de l'arrêt cardiaque préhospitalier en 2006 : Monaco en exemple

P. RICARD, centre hospitalier Princesse Grace, Monaco

On estime qu’en France 40 000 personnes décèdent subitement chaque année. Il s’agit donc d’un problème de santé publique majeur. Plusieurs études montrent qu’environ 50 % de la mortalité cardiovasculaire est subite. La fibrillation ventriculaire (FV) est très souvent en cause puisque c’est, lors d’un arrêt cardiaque, le premier rythme enregistré par les secours dans 45 à 80 % des cas.

Force est de constater que trop de cardiologues se sentent peu concernés par le problème posé par la mort subite, certains d’entre eux avouant même un certain fatalisme devant ce fléau. Pourtant, la lutte contre la mort subite passe par deux actions principales : – la première est directement sous la responsabilité du cardiologue : il s’agit de l’identification des patients à haut risque de mort subite qui pourront être protégés par la mise en place d’un défibrillateur implantable ; – la seconde concerne plus l’organisation des secours et une action auprès du grand public pour une formation plus large aux gestes qui sauvent et à l’utilisation des défibrillateurs semi-automatiques. Une meilleure prise en charge de l’arrêt cardiaque préhospitalier est indispensable car sa mortalité reste effroyable et seule une infime partie des patients présentant un arrêt cardiaque vont survivre. Dans une étude canadienne prospective réalisée en Ontario (étude OPALS [Ontario Pre-hospital Advanced Life Support]), son incidence dans la population générale est de 0,6 ‰, tandis que la survie des sujets victimes d’un arrêt cardiaque est de 3,9 % seulement. Malheureusement dans la grande majorité des cas (plus de 70 %), l’arrêt cardiaque survient à domicile et rend plus difficile la mise en route d’une réanimation cardiopulmonaire et d’une défibrillation précoce. Aux États-Unis, dans l’expérience du King County, dans 90 % des cas, les secours ne sont pas sur place lors de l’arrêt cardiaque et, dans 59 % des cas, un témoin est présent.   Les 3 phases de l’arrêt cardiaque   Weisfeldt et Becker ont décrit un modèle en 3 phases de l’arrêt cardiaque en fonction du temps. Ils proposent pour chaque phase une prise en charge spécifique. La première phase, dite « électrique », inclut les 4 premières minutes ; le traitement le mieux adapté est la défibrillation immédiate. La deuxième phase, de la 4e à la 10e minute après le début de la FV, est appelée phase « circulatoire ». Les études expérimentales chez l’animal et cliniques chez l’homme montrent que la réduction de la FV par un choc électrique n’est pas toujours suivie d’une réponse hémodynamique efficace. Ainsi, l’objectif durant cette phase est de restaurer l’oxygénation des organes nobles, dont le cœur, en réalisant d’abord la réanimation cardiopulmonaire pour améliorer l’efficacité d’une défibrillation retardée de quelques minutes. La troisième phase, 10 minutes après l’arrêt cardiaque, est appelée « phase métabolique ». Durant celle-ci, il existe une production et une circulation, au moment de la réanimation, de TNF (tumor necrosis factor), d’endoxines et de cytokines qui se conjuguent pour diminuer ou supprimer la contractilité myocardique. C’est, bien sûr, durant cette phase que le pronostic est le plus péjoratif.   La défibrillation précoce durant les 4 premières minutes : une nécessité absolue   Le concept de l’accès public à la défibrillation Durant la phase dite « électrique », toutes les études ont montré que l’objectif essentiel était la réduction de la FV par un choc électrique. Dans l’étude OPALS, une meilleure organisation des secours et un accès plus facile à la défibrillation, en particulier par les pompiers, ont permis une amélioration de la survie de 3,9 à 5,2 %. Ces chiffres restent malgré tout préoccupants et très vite est née l’idée que les personnes qui devaient débuter la réanimation et délivrer un choc étaient les premières sur place, c’est-à-dire le plus souvent des témoins et non des professionnels. En effet, le succès de la défibrillation est directement fonction de la durée de la FV. Ainsi, dans une étude américaine, le pourcentage de patients à la sortie de l’hôpital est 3 fois plus élevé lorsque le choc a été délivré précocement (entre 1 et 3 minutes après le début de la FV) que lorsqu’il l’a été tardivement (après la 10e minute). Sur cette donnée fondamentale est basé le concept d’accès public à la défibrillation. Il s’agit donc de ne plus attendre les secours mais de faire délivrer un choc électrique par les témoins sur place après une courte formation à l’utilisation des défibrillateurs semi-automatiques (DSA). Ces appareils ont l’avantage de réaliser automatiquement l’étape du diagnostic électrocardiographique. Une voix de synthèse donne alors l’ordre de délivrer un choc si une FV a été diagnostiquée. Il ne reste plus à l’utilisateur qu’à appuyer sur le bouton. Par ailleurs, aucun choc ne pourra être délivré si l’appareil n’a pas diagnostiqué de FV.   Les expériences de défibrillation précoce aux États-Unis Ces dernières années de nombreuses publications ont montré l’utilité d’une défibrillation précoce. Un premier type d’étude a comparé le délai d’intervention entre les secours (paramedics) et les premiers arrivés sur place. Il apparaît que les secours arrivent toujours plus tardivement et qu’une défibrillation précoce par les témoins augmente les chances de survie. Les premières expériences d’utilisation des DSA par des non-professionnels de santé ont concerné surtout des lieux de grande fréquentation et de surface limitée. Ainsi entre 2000 et 2002, plusieurs études ont montré l’intérêt de l’utilisation du DSA dans les casinos, les avions ou les aéroports. Par exemple, dans l’état du Nevada, les personnels de sécurité de 32 casinos ont utilisé 105 fois le DSA durant 32 mois. La survie des patients présentant une FV a été très élevée, égale à 59 %, et encore plus élevée, égale à 74 %, quand la défibrillation était effectuée moins de 3 minutes après l’arrêt cardiaque. En revanche, lorsque le choc était délivré après ce délai, la survie était seulement de 49 %. Ces données corroborent l’importance d’une défibrillation précoce. L’aéroport de Chicago a été également le théâtre d’une étude de grande envergure puisque des DSA ont été répartis dans l’aéroport pour pouvoir être atteints au maximum en une minute et demi de marche. Vingt et une personnes ont présenté un arrêt cardiaque. Dans 18 cas, la FV en était responsable et 11 patients ont survécu. On est loin des 3 ou 5 % de survie évoqués plus haut. Dans un autre type d’étude, les DSA ont été confiés aux policiers compte tenu de leur arrivée habituellement précoce sur les lieux de l’accident. Par exemple à Miami, l’implication des policiers dans les secours a entraîné une diminution du temps d’intervention de 7,64 minutes en moyenne à 4,88 minutes. Cela s’est traduit pour les patients présentant un trouble du rythme et pouvant être choqués, par une survie de 9 % dans le groupe des secours conventionnels contre 17,2 % dans le groupe des secours incluant la police. Récemment A. Capucci et coll. ont réalisé dans la région de Piacenza en Italie, un travail intéressant. Partant du postulat que la défibrillation précoce est l’objectif essentiel dans la prise en charge de l’arrêt cardiaque, ils ont décidé de supprimer totalement la réanimation. Dans une région de plus 170 000 habitants, ils ont formé 1 285 volontaires et mis en place 39 DSA répartis entre les lieux publics, les ambulances et la police. Durant une période de 22 mois, 354 arrêts cardiaques sont survenus. La survie à la sortie de l’hôpital était de 3,3 % seulement dans le groupe des victimes prises en charge par les secours conventionnels et de 10,5 % chez les patients secourus par les volontaires formés à l’utilisation des DSA.   La défibrillation est-elle la seule arme pour traiter tous les arrêts cardiaques ?   Certainement pas, compte tenu de la physiopathologie des arrêts cardiaques, que nous avons déjà évoquée, avec 3 phases très différentes. La défibrillation d’emblée est donc l’arme de choix lorsque le délai d’intervention est très court (< 4 minutes), mais lorsque ce dernier est plus long, durant la phase « circulatoire » ou « métabolique », une réanimation cardiopulmonaire avant la délivrance du choc est utile. Cette donnée a été confirmée par des études expérimentales chez le chien où, après 5 minutes de FV, la survie est nettement meilleure si une réanimation cardiopulmonaire est effectuée une minute avant le choc comparativement aux chiens traités par une défibrillation d’emblée (40 versus 0 %). Cette donnée est retrouvée aussi dans une étude réalisée à Oslo sur 200 patients. Par ailleurs,d’autres études ont souligné récemment l’intérêt de réaliser un massage cardiaque avec un appareil permettant de réaliser une compression et une décompression active pour augmenter le retour veineux, d’utiliser des antiarythmiques comme l’amiodarone pour les FV rebelles, d’éviter l’hyperventilation ou de provoquer une hypothermie (jusqu’à 33°C) pendant les 48 heures qui suivent l’arrêt cardiaque. Le boîtier pour le DSA juste avant sa mise en place au jardin exotique. Les actions contre la mort subite à Monaco   La prise de conscience de la nécessité de lutter activement contre ce fléau qu’est la mort subite est déjà ancienne à Monaco. Sous l’impulsion du Prince Rainier III en 2001, 9 défibrillateurs semi-automatiques ont été installés dans des lieux de grande fréquentation (centre commercial, héliport, plage, centre de congrès, stade, hôtels, palais princier). Ces DSA sont sous dépendance des personnels de sécurité et ne sont pas visibles par le grand public. En 2003, nous avons créé l’Association monégasque de lutte contre la mort subite, dont le Prince Albert II est le président d’honneur. En octobre 2005, 25 DSA ont été installés dans les rues de la principauté (voir carte ci-dessous). Ceux-ci sont placés dans une boîte orange reconnaissable, fermée par un scellé (photo ci-dessus). Cette action a impliqué de nombreuses personnes, institutions et associations de Monaco. Ainsi, une soirée caritative a été organisée par le Lion’s club durant laquelle de nombreux donateurs ont permis à l’association l’achat de ces DSA. Le gouvernement et le service d’urbanisme ont autorisé et installé ces DSA dans Monaco. La jeune chambre économique a organisé la production d’un dépliant, qui sera diffusé à 30 000 exemplaires, montrant la localisation des appareils et les renseignements utiles pour participer à une formation. Le service des urgences est associé à cette action et sera équipé pour récupérer les tracés enregistrés par les DSA. Enfin, la Croix-Rouge monégasque a joué un rôle capital : elle a déjà formé 650 non-professionnels de santé à l’utilisation du DSA dans le cadre de leur travail. Il s’agit par exemple de policiers, stadiers, personnels des hôtels et des galeries marchandes, carabiniers, etc. Cette formation est longue (6 jours environ) car elle représente l’ultime échelon du diplôme de secouriste. À l’occasion de la mise en place de ces 25 DSA, la Croix-Rouge monégasque a débuté une formation pilote de 2 heures seulement à l’utilisation du DSA et aux gestes qui sauvent. Celle-ci est gratuite et s’adresse à l’ensemble de la population. En effet, le succès de cette action passe non seulement par l’implantation de ces appareils mais surtout par la formation du public le plus large. L’association a encore beaucoup de travail, elle souhaite par exemple généraliser l’implantation de ces DSA, y compris dans des espaces privés comme les grands immeubles de Monaco puisque environ 70 % des arrêts cardiaques surviennent à la maison. Espérons que cette action portera ces fruits et permettra de sauver quelques vies en rendant, dans notre vie quotidienne, le DSA aussi présent que l’extincteur. Avec la participation de N. Zarqane, K. Yaïci, C. Bertrand, J.-P. Rinaldi, P. Bruner, M.-Y. Mourou et N. Saoudi.        La carte des défibrillateurs semi-automatiques en Principauté de Monaco.

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