Coronaires
Publié le 14 fév 2006Lecture 12 min
Pontage coronarien sans CEC
S. JAZAYERI, CHU de DIJON
Depuis plus de trois décennies la chirurgie coronarienne conventionnelle par sternotomie médiane sous circulation extracorporelle (CEC) et cardioplégie est devenue le traitement de choix pour les patients pluritronculaires candidats à une revascularisation coronarienne. La chirurgie conventionnelle sous CEC a démontré au fil de ces années son efficacité et ses excellents résultats à long terme. Actuellement, plus de 800 000 opérations à cœur ouvert sont réalisées chaque année à travers le monde. Malgré des bénéfices indiscutables, la CEC s’accompagne d’effets néfastes reconnus et décrits (tableau). Kirklin, en 1991, a émis rapidement l’hypothèse que ces effets délétères étaient consécutifs au contact entre le sang et le circuit de CEC, entraînant une réponse inflammatoire en cascade communément nommée « syndrome vasculaire disséminé post-pompe ».
Principaux effets néfastes de CEC
- Activation du complément et des neutrophiles avec augmentation de la perméabilité capillaire aboutissant à un transfert du liquide vers le compartiment interstitiel ;
- Altération des plaquettes et l’hémostase ;
- Hémodilution : avec diminution de la pression oncotique aboutissant à un œdème (y compris œdème pulmonaire) ;
- Coagulopathie due à l’utilisation de l’héparine, hémolyse, consommation des facteurs de coagulation et des plaquettes, dysfonctionnement des plaquettes ;
- Altération de la fonction cardiaque, diminution du débit cardiaque et arythmie cardiaque ;
- Altération de la fonction du système nerveux central due aux emboles gazeux, graisseux, etc. et à l’inflammation ;
- Altération de la fonction pulmonaire : œdème pulmonaire, atélectasie, SDRA ;
- Altération de la fonction gastro-intestinale avec vasoconstriction splanchnique, ischémie intestinale et hémorragie.
Les acteurs de cette réaction inflammatoire, qui se généralise à l’ensemble de l’organisme et qui est responsable de la morbidité postopératoire, sont :
• l’activation du complément et des leucocytes,
• la libération des cytokines pro-inflammatoires,
• l’altération du métabolisme du NO,
• l’augmentation des radicaux libres qui, dans certains cas, peut aboutir à des lésions dues au stress oxydatif.
Dans le but de diminuer les effets délétères de la CEC, il est possible de réaliser une chirurgie coronaire sans CEC, encore appelée à cœur battant. Cette chirurgie n’est pas une technique nouvelle. Kolesov, en 1957, a effectué les premiers pontages coronariens à cœur battant. Cette chirurgie s’est surtout développée ces dernières années avec l’arrivée sur le marché de nouveaux instruments : les stabilisateurs mécaniques (figure 1). On arrive actuellement à réaliser des pontages multiples (revascularisation complète) sans CEC dans de très bonnes conditions. Chez les patients à haut risque opératoire on parviendrait à diminuer la morbidité postopératoire en évitant la CEC et les manipulations de l’aorte ascendante.
Figure 1. Stabilisateur mécanique placé sur la face postérieure du cœur pour la réalisation d’un pontage sur la circonflexe.
Historique
La chirurgie coronarienne à cœur battant fait partie des nouvelles techniques développées dans les années 90, globalement dénommées techniques moins invasives (minimally invasive cardiac surgery). Celles-ci visent toutes à améliorer la qualité de la chirurgie tant du point de vue de la technique chirurgicale pure que de la diminution des douleurs, de l’amélioration de la récupération postopératoire et éventuellement de la sortie accélérée de l’hôpital.
Cela voudrait-il dire que la chirurgie cardiaque dite conventionnelle ne donnerait plus entière satisfaction ? Evidemment non, mais au cours des trois dernières décennies – qui ont permis à la chirurgie cardiaque de conquérir ses lettres de noblesse – plusieurs facteurs péjoratifs qui tendent à rendre cette chirurgie plus lourde à supporter pour le patient, ont pu être dégagés :
• l’utilisation de la CEC avec manipulation de l’aorte ascendante,
• la cardioplégie,
• la sternotomie.
Par ailleurs, avec les progrès des techniques d’angioplastie et l’arrivée des stents actifs, les patients adressés en chirurgie sont de plus en plus âgés et présentent plus de facteurs de risque, ce qui tend à augmenter le risque de morbi-mortalité après chirurgie conventionnelle.
Le MIDCAB
Dans le but de diminuer ce risque, la chirurgie coronarienne sans CEC depuis 1995 est passée par différentes étapes débutant par le minimally invasive direct coronary artery bypass (MIDCAB). Cette technique permet la revascularisation d’une seule artère coronaire par une petite incision de quelques centimètres sous le sein gauche (minithoracotomie antérolatérale gauche située au niveau du 4 ou 5e espace intercostal). Le prélèvement de l’artère mammaire peut être réalisé soit en vision directe à travers la thoracotomie soit à l’aide d’une technique vidéo assistée (thoracoscopie).
Le MIDCAB permet d’éviter la sternotomie et la CEC mais ses indications sont très limitées et s’adressent seulement aux lésions monotronculaires de l’IVA ou de la coronaire droite.
Le MIDCAB peut, dans certaines indications, être combiné à une ou plusieurs angioplasties coronariennes. On parle alors de procédure hybride.
L’OPCAB
Très rapidement l’OPCAB (Off-pump Coronary Artery Bypass) ou chirurgie coronarienne sans CEC qui conserve la sternotomie mais élimine la CEC, est devenue la technique la plus couramment utilisée. Grâce aux nouvelles techniques d’exposition et de stabilisation myocardique, l’OPCAB permet de réaliser une revascularisation complète. Cette intervention est techniquement plus difficile pour le chirurgien et sa réalisation dépend non seulement de l’anatomie des artères coronaires mais aussi des conséquences hémodynamiques de la luxation cardiaque lors de l’exposition de la paroi postérieure. C’est la raison pour laquelle, dans la plupart des institutions, cette technique est réservée à des patients sélectionnés.
La TECAB
Récemment, l’apparition de la robotique a autorisé le développement de la chirurgie cardiaque à thorax fermé : TECAB ou totally endoscopic coronary artery bypass (figure 2). Cette technique reste néanmoins très coûteuse ; elle augmente le temps d’intervention et nécessite le plus souvent le recours à une CEC adaptée par cannulation périphérique et clampage endoluminal (système Heartport). De plus, pour des raisons anatomiques, toutes les lésions coronaires ne sont pas abordables et des pathologies associées peuvent contre-indiquer son utilisation, comme par exemple l’artérite ou des problèmes pulmonaires sévères. Finalement, les indications de cette technique sont encore très limitées et son but ultime, qui était de réaliser des pontages coronaires à cœur battant et à thorax fermé, n’est pas encore atteint de manière routinière.
Figure 2. TECAB ou Totally Endoscopic Coronary Artery Bypass.
Sélection des patients
Les indications de la chirurgie sans CEC dépendent essentiellement de l’expérience du chirurgien dans ce type de chirurgie et, en pratique, il existe très peu de contre-indications absolues et seulement quelques contre-indications relatives. Certains chirurgiens réalisent pratiquement toute la chirurgie coronarienne à cœur battant.
Avant le développement des techniques d’exposition et des stabilisateurs performants, cette chirurgie était réservée aux patients nécessitant un ou deux pontages sur la face antérieure du cœur et, si besoin, en association avec une angioplastie par voie percutanée : technique hybride.
Avec l’expérience, la chirurgie sans CEC est utilisée pour un nombre de plus en plus important de patients et ses principales indications sont présentées dans le tableau ci-dessus.
En revanche, les patients ayant des artères de petit calibre avec une atteinte diffuse ou présentant des artères coronaires intramyocardiques sont sans doute des candidats difficiles pour cette chirurgie.
De même, les patients instables soit hémodynamiquement soit présentant des signes électriques susceptibles de ne pas tolérer les manipulations cardiaques seront préférentiellement revascularisés sous CEC.
La technique chirurgicale et la technologie
La chirurgie
La sternotomie médiane est nécessaire pour la réalisation d’une revascularisation complète. Cette voie d’abord permet le prélèvement des deux artères mammaires et d’aborder l’ensemble du réseau coronarien. La sternotomie partielle ou les incisions parasternales n’ont pas prouvé leur supériorité en ce qui concerne la réduction de la morbidité postopératoire ou la douleur. En plus, si une conversion vers une chirurgie standard sous CEC est nécessaire, la sternotomie médiane permet un accès plus facile pour la cannulation.
La position Trendelenburg et les rotations latérales de la table facilitent l’exposition de l’artère cible tout en préservant une bonne condition hémodynamique (avec l’augmentation du débit cardiaque par amélioration du retour veineux).
L’exposition de l’artère cible est l’élément-clé de la réussite de l’intervention. Les deux moyens utilisés sont des points de tractions péricardiques et les appareils utilisés pour la suspension de point du cœur par succion (figure 1).
La stabilisation de l’artère cible, dont dépend la réalisation d’une anastomose de bonne qualité, est obtenue par l’utilisation d’un stabilisateur mécanique. Il existe deux grands types de stabilisateurs :
• des stabilisateurs par compression en appuyant sur l’épicarde,
• des stabilisateurs par succion qui immobilisent le cœur en aspirant l’épicarde qui entoure le vaisseau cible.
L’anastomose est alors réalisée pratiquement dans les mêmes conditions que lors de la chirurgie standard. Pour obtenir un champ opératoire exsangue, deux procédures peuvent être utilisés :
• l’utilisation d’un fil Silastic pour clamper la partie proximale de l’artère,
• l’utilisation d’un shunt intracoronaire qui évite l’ischémie dans le territoire de l’artère coronaire pontée.
Cependant d’une manière générale l’utilisation de shunt n’est pas indispensable car la durée d’ischémie est très courte et le clampage est très bien supporté. Dans de rares cas, du fait des modifications électriques ou des troubles du rythme lors du clampage d’une grosse artère coronaire droite, l’utilisation d’un shunt devient obligatoire.
L’anesthésie
Elle doit s’adapter à cette nouvelle chirurgie. Ses buts sont multiples : maintenir la stabilité hémodynamique et assurer à la fois une surveillance adéquate, une protection myocardique et une réversibilité de l’anesthésie la plus rapide possible. Une très bonne communication entre le chirurgien et l’anesthésiste est capitale pour la réussite de l’intervention.
La décoagulation
La posologie conseillée de l’héparine varie selon les protocoles de 100 à 150 UI/kg de manière à obtenir un ACT > 250 secondes pendant toute l’intervention. Concrètement, la dose d’héparine est divisée par 2, voire par 3 par rapport à la chirurgie conventionnelle.
La régularisation thermique
Il est essentiel de maintenir la normothermie à l’aide de matelas chauffants, de couvertures chauffantes à air pulsé et des perfusions réchauffées.
La surveillance hémodynamique
La pression artérielle moyenne doit être stabilisée autour de 60 à 65 mmHg grâce à un remplissage vasculaire adapté et, le cas échéant, par l’utilisation d’inotropes et de vasopresseurs ou par la pose d’une contre-pulsion par ballon intraaortique.
La surveillance du segment ST étant perturbée par des manipulations de rotation ou de luxation du cœur, il est donc préférable pour détecter précocement une ischémie myocardique d’utiliser un ECG 12 dérivations avec lecture simultanée des dérivations DII, V4 et V5.
De même, du fait des manipulations cardiaques, les différentes mesures de pressions (PVC, Pcap) et de débit cardiaque (mesures directes ou indirectes) deviennent trop imprécises. L’appréciation du débit cardiaque par le CO2 expiré (NICO) est une nouvelle technique séduisante, mais elle nécessite 5 à 7 minutes pour obtenir un résultat, ce qui peut être trop tardif. Enfin la capnographie, qui détecte la baisse du CO2 expiré lors des modifications aiguës du débit cardiaque, peut être utilisée, car les modifications sont immédiates.
Avantages et inconvénients
L’efficacité
La chirurgie coronarienne sans CEC est rapidement devenue une alternative sûre à la chirurgie conventionnelle. Cependant, les données disponibles dans la littérature sur cette chirurgie doivent être interprétées avec précaution car la plupart des études sont soit rétrospectives soit non randomisées. Cependant, des métaanalyses et quelques études prospectives randomisées ont montré que cette chirurgie est au moins aussi efficace et sûre que la chirurgie conventionnelle sous CEC en ce qui concerne les résultats précoces et à moyen terme.
La mortalité et la survie
Plusieurs études ont montré que la mortalité de la chirurgie sans CEC est au moins comparable à celle de la chirurgie conventionnelle pour une population normale candidate à la chirurgie coronarienne et même diminuée chez des patients à haut risque. Selon Magge et coll., les patients qui bénéficient le plus de cette diminution de la mortalité sont des patients aux antécédents de chirurgie coronarienne, des diabétiques, des patients avec une altération de la fonction VG (30 % < FE < 50 %), des femmes, ou des patients âgés > 66 ans.
La morbidité
La réaction inflammatoire. La chirurgie conventionnelle (traumatisme chirurgical, contact du sang avec le circuit de CEC, clampage aortique, lésions dues à l’ischémie-reperfusion), comme nous l’avons déjà précisé dans l’introduction, s’accompagne d’une réaction inflammatoire responsable d’atteinte de la fonction myocardique, de troubles neurocognitifs, de dysfonctionnement rénal et pulmonaire, et de coagulopathie. La chirurgie coronarienne sans CEC diminue la production des médiateurs de la réaction inflammatoire et, de ce fait, la morbidité postopératoire.
Les complications neurologiques. L’accident vasculaire cérébral et la survenue de troubles neurocognitifs sont des complications sérieuses de la chirurgie coronarienne conventionnelle. L’incidence des AVC varie en effet de 0,8 à 5,2 %. Ce risque est particulièrement élevé chez les patients présentant une aorte ascendante athéromateuse ou calcifiée. La chirurgie sans CEC, en évitant les manipulations de l’aorte ascendante et en diminuant la réaction inflammatoire généralisée, permettrait une diminution des taux de complications neurologiques.
Le dysfonctionnement pulmonaire. L’altération de la fonction pulmonaire est due à une atélectasie, à un œdème pulmonaire, à une augmentation de la perméabilité capillaire et à un épanchement pleural. La chirurgie sans CEC diminue cette altération pulmonaire et par conséquent la durée d’intubation.
L’ischémie myocardique. La CEC, le clampage aortique, la cardioplégie et les lésions d’ischémie-reperfusion aboutissent à une ischémie myocardique et à une altération de la fonction ventriculaire gauche. Des études récentes ont montré que la chirurgie sans CEC permet une meilleure protection myocardique avec une diminution du taux des troponine T et I et des CPK MB.
La coagulation, la perte de sang et la transfusion sanguine. Les patients opérés de pontages coronaires conventionnels présentent un risque de saignement périopératoire plus élevée nécessitant une transfusion sanguine. Le contact du sang avec le circuit de CEC, l’activation du complément, la fibrinolyse et certains médicaments peuvent contribuer au dysfonctionnement des plaquettes qui peut aboutir à un saignement plus important après la chirurgie conventionnelle. Plusieurs études randomisées ont montré que le volume des pertes sanguines et la fréquence des transfusions sanguines sont significativement diminués chez les patients opérés sans CEC.
L’altération de la fonction rénale. Elle est plurifactorielle. La baisse du débit rénal, le débit non pulsatile, l’hypothermie et la réaction inflammatoire sont des facteurs pouvant expliquer ce dysfonctionnement. La chirurgie sans CEC en éliminant ces facteurs de risque permet une meilleure conservation de la fonction rénale.
L’arythmie (AC/FA). Les données de la littérature sont contradictoires à ce sujet. Mais il semblerait que chez certains patients à haut risque, la chirurgie sans CEC diminue la fréquence de l’AC/FA postopératoire.
La durée d’hospitalisation et bénéfice économique. L’utilisation de techniques d’anesthésie rapide et la diminution de la morbidité postopératoire permettent une diminution de la durée de séjour en réanimation et en hospitalisation, et par conséquent du coût global de cette chirurgie.
Les limitations
La chirurgie à cœur battant est techniquement plus exigeante et nécessite une courbe d’apprentissage. Dans les premières études publiées dans la littérature, le nombre moyen de pontages par patient était significativement plus bas chez les patients opérés sans CEC. Cependant, avec l’expérience grandissante des équipes pratiquant ce type de chirurgie, le nombre moyen de pontages par patient rejoint actuellement celui de la chirurgie standard.
La perméabilité des pontages coronaires à long terme est l’élément le plus important pour juger de l’efficacité de la chirurgie coronarienne. Mise à part une étude randomisée récemment publiée, les études prospectives et randomisées ont montré un taux de perméabilité identique pour la chirurgie sans CEC et la chirurgie classique. Cependant, le recul pour les pontages sans CEC n’est pas important et des études prospectives randomisées à long terme sont nécessaires pour juger de l’efficacité de cette chirurgie à distance.
En pratique
La chirurgie coronarienne continue d’évoluer afin de proposer des techniques moins invasives tout en préservant les excellents résultats à long terme.
Les résultats à court et moyen termes de la chirurgie sans CEC sont au moins identiques à ceux obtenus par la chirurgie conventionnelle, voire meilleurs dans certains domaines.
La revascularisation coronarienne sans CEC est devenue aujourd’hui une technique incontournable dans l’arsenal thérapeutique que nous proposons aux patients. Les patients à haut risque opératoire tirent plus bénéfice de cette chirurgie.
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