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Coronaires

Publié le 26 mai 2009Lecture 12 min

Que faire devant un coronarien stable ?

T. LAPERCHE, Centre Cardiologique du Nord, Saint-Denis

Si cette question avait été posée au docteur Parpalaid, la réponse aurait sûrement été de laisser tranquille ce brave coronarien. En revanche, si elle avait été posée à son successeur, le docteur Knock, nous aurions instantanément été avisés de la gravité de la situation tant il est clair que le coronarien stable ne peut être qu’un coronarien instable en sursis. Il existe heureusement un juste milieu entre ces deux attitudes.

Nous considérerons dans cet article le patient symptomatique pour de l’angor d’effort (l’éventail de la fréquence des crises et de la gêne occasionnée étant bien sûr très large) mais également le coronarien indemne d’insuffisance cardiaque et de troubles du rythme ventriculaire. Nous exclurons de notre propos les coronariens ayant une dysfonction ventriculaire gauche systolique (fraction d’éjection < 35 %) qui, même s’ils sont stabilisés voire asymptomatiques, peuvent justifier d’un recours à des stratégies thérapeutiques spécifiques, notamment à visée rythmologique.

Si l’on se réfère aux données de l’étude IONA rapportée en 2002, essai qui évaluait l’intérêt du nicorandil chez des coronariens stables et traités médicalement, le critère principal qui regroupait l’association des décès, des infarctus non mortels et des hospitalisations pour douleurs thoraciques, c’est-à-dire finalement ce qui représente le quotidien des complications du coronarien atteignait dans le groupe placebo 15,5 % sur une période de suivi de 2 ans et demi. Dans l’étude COURAGE parue en 2007, étude qui comparait, chez le coronarien stable, le traitement médical et la revascularisation par angioplastie, le taux de décès et d’infarctus non mortels est de 18,5 % sur un suivi médian de 4,6 ans dans le groupe traité médicalement. La vie des coronariens stables est donc loin d’être un long fleuve tranquille. Le suivi de ces patients impose donc rigueur et vigilance.   En premier, informer le patient La première des démarches est, bien sûr, de s’assurer que le patient connaît la nature de sa pathologie et les bonnes attitudes à adopter en cas de déstabilisation aiguë. Il faut qu’il ait à sa disposition de la trinitrine sublinguale et qu’il sache s’en servir, puis qu’il puisse appeler le 15 en cas de douleur prolongée ou ne cédant pas sous trinitrine, cette filière permettant la prise en charge la plus efficace et la plus rapide. Cette démarche n’est pas parfaitement et uniformément intégrée par tous les patients, mais il est du devoir du cardiologue de la leur rappeler. Ce message fait d’ailleurs l’objet de campagnes de sensibilisation répétées auprès du grand public, par le biais de la Fédération française de cardiologie, laquelle met à la disposition des patients des brochures d’information très utiles pour soutenir nos explications.   Le contrôle des facteurs de risque La vigilance du cardiologue s’impose vis-à-vis de son patient coronarien et ce, sur plusieurs points. En premier lieu, pour optimiser le contrôle des facteurs de risque, car si cette démarche peut paraître contraignante et peu efficace appliquée individuellement, ce message reste essentiel. La dernière étude EUROASPIRE a montré que, si le profil lipidique des patients était bien meilleur que lors des précédentes enquêtes, en grande partie du fait d’un recours large aux statines (46 % d’hypercholestérolémie contre 94 % dans l’étude réalisée 10 ans auparavant), que si le contrôle du profil tensionnel des coronariens était loin d’être maîtrisé malgré tout l’arsenal thérapeutique à notre disposition (2 coronariens hypertendus sur 3 restent mal contrôlés), cette enquête a bien montré la difficulté à obtenir un sevrage tabagique (1 coronarien sur 5 continue à fumer), ainsi que la médiocrité du contrôle du diabète (prévalence chez le coronarien de 28 % contre 17 % dix ans plus tôt) ou de l’obésité. S’il est aujourd’hui communément admis que les cardiologues sont à même de s’occuper des dyslipidémies et que ceci ne leur pose aucun problème depuis l’introduction des statines, il est de plus en plus évident que nous avons, ou que nous aurons, à prendre en charge l’équilibre du profil glycémique de nos patients. Des recommandations de la Société française de cardiologie ont été émises en ce sens, et les visites des représentants des différentes firmes pharmaceutiques spécialisées en diabétologie commencent à se faire plus fréquentes dans nos cabinets ou services hospitaliers, d’autant que le champ thérapeutique dans ce domaine s’est considérablement accru ces dernières années. Il faut reconnaître que nous tardons trop souvent à réagir devant un diabète. Une enquête menée aux États-Unis et publiée en 2004 montrait que devant une hémoglobine glyquée à 8,6 %, le délai moyen de prescription d’un antidiabétique oral était de 2,5 ans et que, chez un sujet traité par monothérapie présentant une hémoglobine glyquée supérieure à 8,9 %, il fallait encore 2,6 ans pour passer à la bithérapie. Il faut également insister sur la nécessité d’une réduction pondérale et sur l’exercice physique, ce dernier point étant d’ailleurs conforté par les résultats de l’étude d’Hambrecht parue en 2004 puisque, dans ce travail, une rééducation physique menée sur douze mois chez le coronarien stable permettait d’obtenir de meilleurs résultats que l’angioplastie coronaire. L’entraînement physique améliore la capacité fonctionnelle des patients et diminue les symptômes. L’augmentation de la durée de l’épreuve d’effort, du niveau d’effort ou du pic de consommation d’oxygène de 20 à 25 % est obtenue après quelques semaines d’entraînement physique. Ces résultats sont présents, même lorsque l’épreuve d’effort est limitée par une ischémie myocardique. En général, il est conseillé de faire quotidiennement 30 à 60 minutes d’activité physique, ou à défaut cinq jours sur sept. Les structures de réadaptation cardiaque sont d’ailleurs des lieux privilégiés pour prendre en charge ces patients (que ce soit en hospitalisation ou en ambulatoire) et parfaire leur éducation tant sur le plan de l’activité physique que sur le plan du contrôle des autres facteurs de risque, en leur inculquant des informations essentielles sur les règles hygiéno-diététiques et en les aidant pour le sevrage tabagique. Cette prise en charge est le plus souvent proposée après un infarctus du myocarde, une revascularisation par angioplastie coronaire ou par pontages mais très rarement à un coronarien stable, ce qui constitue pourtant une excellente indication de réadaptation cardiaque. L’examen clinique   L’examen clinique se doit de rechercher des signes témoignant d’une détérioration de l’état du patient, notamment des arguments pour une dysfonction ventriculaire gauche. Il se doit aussi de s’assurer qu’il n’y a pas d’atteinte d’autres territoires artériels compte tenu du caractère multifocal de la pathologie athéroscléreuse. Il est important pour ce dernier point de s’aider d’un Doppler artériel : en effet, chez le coronarien, l’incidence des sténoses carotidiennes supérieures à 50 % atteint 39 % dans certaines études (la corrélation entre les données auscultatoires et la sévérité d’une sténose artérielle est loin d’être optimale), l’incidence d’un anévrisme de l’aorte abdominale est proche de 10 % (la palpation de l’abdomen a ses limites, surtout chez les sujets pléthoriques), et l’incidence de sténoses des artères rénales (sténoses > 50 %) ou des membres inférieurs (IPS < 0,9) atteint 20 à 30 %. L’examen clinique permet également de dépister d’éventuels facteurs de déstabilisation de la maladie coronaire, notamment tachyarythmie, anémie ou hypertension non contrôlée. Sur ce dernier point, la cible est d’obtenir une tension artérielle < 130/80. Si l’abaissement de la pression artérielle systolique est clairement corrélé à une réduction des complications cardiovasculaires chez le coronarien, il est possible que la diminution de la pression artérielle diastolique n’ait un rôle bénéfique sur le pronostic cardiovasculaire que si la perfusion coronaire reste adaptée. En pratique, il est recommandé que la pression artérielle diastolique soit abaissée de façon progressive sans descendre en deçà de 60 mmHg.   L’ECG, l’échocardiographie L’examen clinique est habituellement complété par un électrocardiogramme (pour l’European Society of Cardiology, ESC ; il s’agit d’une recommandation de classe IIb avec un niveau de preuves C), lequel sera comparé aux tracés antérieurs, à la recherche de troubles de la repolarisation, du rythme (notamment ventriculaire) ou de la conduction qui pourraient signifier une détérioration de l’état du patient et justifier des examens plus approfondis ou une modification thérapeutique. Une échocardiographie peut être pratiquée tous les 2 à 3 ans (recommandation de niveau II de la Société française de cardiologie: « surveillance tous les 2 à 3 ans, en l’absence de signes d’évolutivité, des patients coronariens traités afin de dépister une dégradation de la fonction ventriculaire gauche »). Quant au test d’effort, sans entrer dans le débat sur sa réalisation avec ou sans traitement bêtabloquant, nous pouvons affirmer que c’est un examen essentiel pour surveiller l’évolutivité de l’état du patient et apprécier son pronostic. Enfin, concernant la surveillance du traitement hypolipémiant, l’HAS précisait en 2005 : « une fois l’objectif thérapeutique atteint, un contrôle biologique annuel semble suffisant (bien qu’aucune étude ne permette d’appuyer cette prise de position). Un contrôle tous les 6 mois peut être une aide à la bonne observance chez certains patients. Il comporte la vérification de la concentration de LDL-cholestérol. Ces recommandations de contrôle annuel s’entendent pour tous les patients qu’ils soient sous traitement diététique seul ou associé à un traitement médicamenteux. La surveillance des paramètres de tolérance biologique hépatique est particulièrement recommandée la première année d’un traitement par statine ou fibrate, la majorité des manifestations d’intolérance clinique survenant au cours de celle-ci ».   Revoir les prescriptions médicamenteuses Sur le plan du traitement médical, il faut savoir être critique vis-à-vis de ses prescriptions et s’assurer que le coronarien reçoit bien les médicaments recommandés pour sa pathologie. Il faut d’ailleurs séparer les médicaments qui vont agir sur le pronostic en minorant la survenue d’événements graves et ceux qui sont à visée symptomatique. Dans le premier groupe, il n’y a aujourd’hui aucune contestation quant à l’intérêt d’un traitement antiagrégant plaquettaire (aspirine ou clopidogrel) et d’une statine. Il faut ajouter certains inhibiteurs de l’enzyme de conversion puisque deux ont démontré leur efficacité, le ramipril à la dose de 10 mg par jour (étude HOPE) et le perindopril à la dose de 10 mg par jour (étude EUROPA). En cas d’intolérance aux IEC, le telmisartan représente une alternative pertinente (étude ONTARGET). À côté de ces médicaments que l’on peut considérer comme étant des médicaments de fond de la maladie athéromateuse, le coronarien dispose de produits pour lutter contre l’ischémie myocardique, les plus utilisés d’entre eux étant les bêtabloquants qui, malgré leur effet bénéfique incontesté sur les symptômes, n’ont jamais démontré de réduction de la mortalité chez le coronarien stable. Les inhibiteurs calciques ont une action anti-ischémique comparable à celle des bêtabloquants, tant sur la diminution des crises angineuses que sur l’allongement de la durée à l’effort. Les dérivés nitrés et la molsidomine sont plus utilisés comme un traitement d’appoint que comme traitement de première intention de l’angor. Le nicorandil a montré une diminution de l’incidence de survenue d’un syndrome coronarien chez les coronariens stables de 14 % sur un suivi de 1 à 3 ans. L’ivabradine récemment commercialisée permet une diminution du seuil ischémique par son effet bradycardisant. La trimétazidine, en préservant le métabolisme énergétique de la cellule exposée à l’hypoxie, augmente la réserve coronaire, c’est-à-dire le délai d’apparition des troubles ischémiques à l’effort. L’étude COURAGE, publiée en 2007, offre une vision actualisée du traitement du coronarien : 95 % des patients recrutés avaient un antiagrégant, 86 % un bêtabloquant, 93 % une statine et 65 % un IEC. Ces pourcentages sont ceux à l’inclusion des patients. Il est clair que ce ne sont pas les mêmes sur un suivi plus long, le coronarien stable ayant souvent tendance à solliciter de la part de son médecin ou à décider de son propre chef une diminution du nombre de ses médicaments. Aux États-Unis, le taux de patients sous bêtabloquants dans les semaines qui suivent un infarctus est proche de 100 % (pour ceux qui n’ont pas de contre-indication à ces molécules). Ce taux tombe à 60 % un an après l’infarctus. Il est donc primordial d’expliquer au patient l’intérêt de prendre le traitement dans son intégralité, et sur le long cours du fait du caractère chronique de sa maladie. Conseils pour la vie quotidienne Il faut également pouvoir répondre à toutes les questions de nos patients concernant leur vie quotidienne : activité physique, voyages, conduite automobile, sexualité… En matière d’activité sportive, le risque zéro n’existe pas et, s’il est préférable d’interdire la compétition à nos coronariens (sauf rares exceptions), il faut veiller à ce qu’ils restent actifs en leur demandant de favoriser l’exercice aérobie. Une épreuve d’effort apportera des renseignements essentiels quant à la capacité fonctionnelle d’effort. Les messages clés pour l’activité sportive sont : – de partir accompagné ou d’avoir un téléphone portable sur soi et d’être équipé d’un cardiofréquence/mètre ; – de respecter une phase d’échauffement avant l’exercice puis une phase de récupération après ; – de veiller à bien s’hydrater pendant l’effort ; – de s’adapter à l’environnement, d’être à l’écoute de ses sensations, et de savoir s’abstenir s’il le faut ; – d’éviter la petite cigarette de réconfort (au cas où le message sur le sevrage tabagique aura échoué !) ou la douche froide après l’effort. Il en est de même pour l’activité touristique, les charters actuels étant remplis de seniors qui s’adonnent aux joies de la découverte dans des contrées éloignées, parfois très à distance de tout secours médical. Là encore, l’avis du cardiologue est le meilleur atout pour éviter une situation périlleuse. Tout voyage exotique ou pouvant représenter un défi physique devra être discuté avec le cardiologue et accordé ou refusé en tenant compte des conditions climatiques et géophysiques de la destination choisie, de l’état cardiaque du patient, de son risque stratifié, de son entraînement physique, du résultat de sa dernière épreuve d’effort. L’espérance de vie augmentant, se posera tôt ou tard le problème de la conduite automobile. Il est rare qu’une coronaropathie stable soit source de contre-indication, cette dernière étant souvent le fait de troubles sensoriels, notamment auditifs ou visuels. Un arrêté français de 1997 concernant les restrictions imposées aux patients ayant fait un infarctus récent ne fait aucune mention pour la conduite des véhicules légers, mais considère que la pathologie est incompatible avec la conduite de véhicules lourds. L’ESC est moins stricte pour cette dernière catégorie et autorise la conduite 6 semaines après l’infarctus si le sujet est asymptomatique et s’il n’y a pas nécessité d’anti-angineux, sous réserve d’une évaluation à l’effort régulière. Enfin, nos patients ne manquent pas de nous signaler leurs troubles sexuels, au premier rang desquels leurs troubles érectiles. Bien évidemment, les médicaments anti-angineux ou antihypertenseurs sont d’emblée désignés comme responsables de ces maux, mais l’expérience prouve que la substitution de ces molécules par d’autres molécules réputées moins néfastes n’a que peu d’effet sur ces anomalies. Il faut alors avoir recours aux médicaments spécifiques des troubles de l’érection (sildénafil, vardénafil, tadalafil), sachant que l’utilisation de ces molécules est contre-indiquée en cas de prise concomitante de dérivés nitrés, de molsidomine ou de nicorandil. En dehors de ces réserves, chez le coronarien stable, ces médicaments contre les troubles de l’érection ne posent guère de problème. Il faut d’ailleurs rappeler que si au cours du rapport sexuel la charge émotionnelle peut être intense, l’activité métabolique reste bien modeste, puisque se situant entre 2,5 et 3,2 équivalents-métaboliques (à titre de comparaison, faire la vaisselle fait consommer moins de 3 METS, laver les vitres 3 à 5 METS, laver sa voiture à la main 5 à 7 METS !). Une étude rapportée par Drory en 1995 montre qu’un tiers des patients coronariens de l’étude ont une ischémie pendant les rapports sexuels, ischémie le plus souvent silencieuse, que tous les patients ayant une ischémie pendant les rapports en ont également une pendant l’épreuve d’effort, que les patients sans ischémie à l’épreuve d’effort n’ont pas d’ischémie pendant les rapports. La réalisation d’une épreuve d’effort permettra donc de sécuriser nos patients. Quant aux cas de mort subite au cours des rapports sexuels, ils sont exceptionnels (0,6 % des cas de mort subite), et le plus souvent survenant dans un contexte de relations extraconjugales. Or, il a été montré que les coronariens préféraient la sécurité des relations conjugales ! Enfin, le cardiologue devra faire preuve de disponibilité pour répondre non seulement aux interrogations de ses patients mais également de ses confrères, que ces derniers soient le médecin traitant du patient, le médecin du travail, le chirurgien-dentiste ou un anesthésiste, car la vie du coronarien est émaillée de problèmes extracardiaques et nous sommes amenés à donner de façon fréquente notre avis quant à une aptitude professionnelle, ou à la possibilité d’arrêter le traitement antiagrégant pour un geste chirurgical ou une extraction dentaire, ou pour juger de l’opérabilité d’un patient avant une chirurgie de confort.   En pratique : rigueur et vigilance   Voilà donc de quoi bien occuper le temps imparti à la consultation ! Pour toutes ces raisons, un suivi strict est souhaitable, avec des évaluations régulières de l’état clinique et fonctionnel, le vrai danger étant de céder à la routine, source de négligence ou d’inattention. Il est également clair que toute modification des données de l’examen clinique ou des examens complémentaires incitera à pousser les investigations pour ne pas méconnaître, entre autres, une éventuelle indication à une revascularisation.

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