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Mise au point

Publié le 31 mai 2010Lecture 12 min

Sécurité des stents actifs de première génération Cypher® et Taxus® - Tout ce bruit pour ça ?

S. MANZO-SILBERMAN, A. CHAÏB, O. VARENNE, service de cardiologie, Hôpital Cochin Paris

Aucun dispositif intracoronaire n'a été autant testé que les stents actifs, dans autant de situations (infarctus, occlusion chronique, etc.), dans autant de lésions (petits vaisseaux, longues lésions, tronc commun, etc.), dans autant de sous-groupes de patients spécifiques (diabétiques). Cependant, le taux d'implantation de stents actifs en France est plutôt plus faible que dans le reste de l'Europe, mais il existe également des différences importantes entre les centres français.  

En 2006, la présentation lors du Congrès Européen de Cardiologie de chiffres suggérant un risque accru de thromboses de stents et une surmortalité a durement et durablement affecté les implantations d'endoprothèses actives. Le prix élevé des stents actifs est aussi un frein qui limite les implantations auquel s’ajoute une incertitude quant au bénéfice médicoéconomique pour les patients.  Cependant, les données scientifiques publiées sur les stents actifs de première génération (Cypher®, Cordis et Taxus®, Boston Scientific) sont considérables et donnent une évaluation précise des événements thrombotiques après implantation.  Il convient de revenir sur ces données afin de pouvoir choisir en toute connaissance de cause, les bénéfices et les risques à attendre des stents actifs. Nous limiterons ce travail aux stents actifs de première génération pour lesquels les données sont de loin les plus riches, le nombre de patients randomisés de loin le plus important mais aussi pour lesquels nous avons le plus long recul (> 5 ans), gage de sécurité pour évaluer des événements tardifs dont la fréquence est, somme toute, assez faible.  Risques théoriques des stents actifs et mécanismes des thromboses  Les thromboses de stents sont des événements rares mais aux conséquences dramatiques avec le plus souvent un infarctus massif pouvant être fatal.  Dans les études réalisées avec des stents nus, la plupart concernant des patients avec peu de comorbidités et des lésions peu complexes, les thromboses de stents sont rapportées chez moins de 1 % des patients grâce à l’utilisation combinée de l’aspirine et des thiénopyridines et de la postdilatation à haute pression. Au sein de populations de patients plus complexes, les taux de thrombose peuvent atteindre 2 à 3 %. Dans la très grande majorité des cas, ces événements surviennent dans les jours qui suivent l’implantation du stent et du fait de la définition des protocoles cliniques, ces événements ne sont plus rapportés au-delà de 30 jours.  Les premiers cas de thromboses dites « tardives » c’est-à-dire au-delà de 30 jours ont été rapportés pour des stents nus dans les études évaluant la brachythérapie intrastent. Ce n’est qu’à partir de l’année 2006 que certains auteurs ont commencé à rapporter des thromboses tardives de stents actifs, en particulier après arrêt du double traitement antiagrégant plaquettaire.  Le terme « thrombose de stent » a longtemps représenté des définitions très différentes, le plus souvent nécessitant une confirmation angiographique.  Toutes les définitions utilisées dans les études ne sont, bien sûr, pas comparables. Cela rend extrêmement complexes et aléatoires les comparaisons qui n'ont pas manqué entre études randomisées, ou pire encore, entre registres ne concernant pas des populations homogènes de patients. On comprend d'autant plus la fragilité de ces résultats que la fréquence des thromboses dans les essais est relativement faible (< 1%) augmentant encore le risque d'erreur dans les interprétations.  Mais plus encore, c'est la comparaison entre stents actifs et stents nus qui a été la plus contestable. En effet, la thrombose de stent nu était bien connue, mais la thrombose tardive de stent nu jamais décrite.    On sait aujourd'hui que la thrombose de stent nu tardive est possible.    Elle survient même dans environ 0,4 % des cas par an si on considère les thromboses prouvées angiographiquement et aussi les infarctus dans le territoire de l'artère stentée, ce qui est proche des 0,6 % par an dans le registre Bern-Rotterdam des thromboses de stents actifs. De plus, l'efficacité des stents actifs dans la réduction des réinterventions a justifié leur prescription dans des lésions de plus en plus complexes et souvent à plus haut risque de thrombose (longues lésions, petits vaisseaux, etc.). C’est pour homogénéiser les résultats et autoriser les comparaisons d'une étude à l'autre que le groupe Academic Research Consortium (ARC) a proposé des définitions précises des thromboses de stents (tableau).      Ces définitions tiennent également compte du degré de probabilité de thrombose de « certaine » en cas de preuve, à « possible » en cas de doute légitime (encadré).  L’utilisation de ces définitions seules ou combinées avec une stratification temporelle peut donner lieu à des interprétations et des vues différentes sur la sécurité des stents actifs. Par exemple, dans l'étude TYPHOON qui a évalué les stents Cypher® en phase aiguë IDM, les taux de thromboses de stent ont alarmé de nombreux experts bien que similaires entre stents actifs et nus (3,4 % vs 3,6 % ; p = 1,00). Ces taux de thrombose prenaient en compte des situations cliniques hautement suspectes de thromboses de stent et jusqu'alors généralement non considérées comme telles sans preuves angiographique ou autopsique.    Dans l'étude HORIZONS, qui étudiait l'efficacité et la sécurité des stents actifs Taxus® dans les mêmes conditions d'angioplastie primaire chez 3 006 patients (plus grande étude randomisée dans cette indication), les taux de thrombose étaient similaires entre stents actifs et nus (3,2 % vs 3,4 % ; p = 0,77), et du même ordre que ceux rapportés dans TYPHOON. Ceci confirme a posteriori la validité de ce chiffre faussement alarmant car il regroupe des situations non qualifiantes dans des études plus anciennes.  Dans la pratique quotidienne, dans la majorité des cas, les thromboses de stents se produisent dans les 30 jours qui suivent l’implantation, que ce soit avec des stents nus ou des stents actifs. Dans cette période les principaux facteurs de risque sont, d’une part, l’interruption de la double antiagrégation plaquettaire et, d’autre part, les risques liés à la procédure.    Bien plus que les rares thromboses tardives ou très tardives très « médiatisées », c'est bien sur ces thromboses aiguës et subaiguës que doit porter notre action, en soignant particulièrement la préparation des vaisseaux à stenter.    Ceci comprend la prescription de doses correctes d'antiagrégants plaquettaires (la dose de charge de clopidogrel est maintenant de 600 mg le plus souvent, la dose d'entretien de 150 mg le premier mois), la détection des patients ne répondant pas correctement au clopidogrel, en repérant les polymorphismes génétiques conduisant à une relative résistance aux antiplaquettaires et en prescrivant du prasugrel chez certains patients (diabétiques). Il est aussi utile de prévoir une prédilatation en particulier dans les lésions complexes et calcifiées, mais aussi de recommander une post-dilatation afin d'éviter une sous-expansion du stent, source de thrombose.  La crainte des thromboses aura au moins eu le mérite de forcer la communauté cardiologique interventionnelle à améliorer la qualité technique des gestes endocoronaires et optimiser le traitement antiplaquettaire péri-interventionnel.  La survenue de thromboses dans les 6 à 12 mois qui suivent cette période est plus rare et est le plus souvent due au défaut d'observance du double traitement antiagrégant plaquettaire. D’autres facteurs de risque ont également été identifiés avec notamment la présence d’une bifurcation au site d’implantation du stent.  Bien que rares, il a été rapporté avec les stents actifs des thromboses à plus d’un an de l’implantation et cela malgré la prise d’un double traitement antiagrégant plaquettaire ou à distance de l’arrêt du clopidogrel et en l’absence de facteurs de risque technique ou anatomique. Ces phénomènes de thromboses tardives n’ont pas été détectés lors des premiers essais randomisés qui ont permis l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché (marquage CE) des stents actifs.  C’est seulement après la mise sur le marché des stents actifs qu’une étude a montré le manque de réendothélialisation, le dépôt de fibrine et l’inflammation marquée dans les artères de lapins après implantation de deux stents actifs qui se chevauchaient.  Les études comparant après autopsie les thromboses avec des stents nus et celles avec des stents actifs ont mis en évidence pour les stents actifs le phénomène de cicatrisation retardée de l’artère, la présence de fibrine sur les mailles du stent, la couverture incomplète du stent par l’endothélium et une faible épaisseur néo-intimale. Par comparaison, pour les stents nus, on remarque la présence abondante de cellules musculaires lisses, une endothélialisation complète 3 ou 4 mois après l’implantation du stent et peu de dépôt de fibrine. La présence de cellules musculaires lisses est maximale entre 9 et 18 mois après l’implantation du stent nu.  Il existe de nombreux facteurs qui peuvent retarder ou empêcher la cicatrisation des artères coronaires avec les stents actifs :  - des critères anatomiques : bifurcations, ostium ;  - des critères techniques : les malappositions de stent, ou la présence de tissus nécrotiques.  Mais ces facteurs sont également présents lors de l’implantation de stents nus. La présence de calcification dans l’artère est responsable de malappositions et de perturbations du flux sanguin qui peuvent avoir un impact sur la cicatrisation de l’artère.  Le polymère peut provoquer des réactions inflammatoires qui conduisent à des thromboses. Ces cas de thromboses après inflammation due au polymère ont été mis en évidence chez des patients porteurs d’un phénotype pré-inflammatoire. Ces thromboses surviennent plus de 4 mois après l’implantation ; il y a alors une diminution de l’immunité locale avec une infiltration de lymphocytes CD 45 et d’éosinophiles.  L’endothélialisation incomplète retrouvée dans les cas de thromboses de stents actifs n’est probablement qu’un facteur de risque de thrombose parmi d’autres. Évaluation du risque de thrombose tardive L’analyse de la cohorte de Bern-Rotterdam incluant plus de 8 000 patients recevant des stents actifs (3 823 Cypher® et 4 323 Taxus®) entre 2002 et 2005, retrouve une incidence cumulée de thrombose de stents démontrée par angio-graphie de 2,9 % à 3 ans. Les thromboses tardives au-delà de 30 jours, représentent 40 % des cas ; elles ont un taux constant de 0,6 % sur la période d’étude. Selon une métaanalyse publiée en 2007 dans le Lancet, comparant les taux de thromboses de stents précoces et tardives, il n’existe aucune différence significative entre les stents Cypher®, Taxus®, et les stents nus, aussi bien pour les taux de thromboses précoces à 0,7 %, que tardives à près de 0,4 %. Ces résultats ont été retrouvés sur des groupes incluant chacun un nombre important de patients (plus de 4 000 chacun). En effet, dans les différentes analyses réalisées comparant la survenue de thromboses tardives entre stents Cypher®, Taxus®, et les stents nus, il existe certes une tendance à plus d’événements mais la différence n’atteint pas la significativité statistique.  Cependant, avec les stents actifs on observe plus de thromboses de stents très tardives, au-delà d’un an, qu’avec les stents nus, avec un taux constant de 0,6 % contre 0,05 % pour les stents nus. Cette différence n’est plus significative si l’on prend en considération la survenue de thrombose de stent après revascularisation répétée. En effet, les cas de thrombose intrastents nus surviennent plus fréquemment après une revascularisation, et sont dues à la resténose itérative.  ● Les données de registres, notamment le registre suédois, colligeant les données chez plus de 35 000 patients, ne retrouvent pas de différence significative entre les taux de mortalité poststents Cypher®ou Taxus®, et poststents nus sur des périodes d’étude de plus de 4 ans.  Ces résultats ont été retrouvés par d’autres analyses de registres issus de la « vraie vie ».   Dans une métaanalyse évaluant la mortalité toute cause sur une période de plus de 5 ans, la comparaison entre stents Cypher® et stents nus, d’une part, et stents Taxus® et stents nus, d’autre part, ne retrouve pas de différence significative. La différence n’est pas non plus significative si l’on s’intéresse à la mortalité d’origine cardiaque. Bénéfice clinique net des stents actifs entre resténose et thrombose  Ainsi, si le risque de décès et d'infarctus n’est pas différent entre stents Cypher®, Taxus® et les stents nus, et puisqu’il a été clairement démontré que le risque de resténose et de revascularisation itératives est indiscutablement et significativement réduit avec les stents actifs, la balance bénéfice/risque penche alors nettement vers le recours aux endoprothèses actives, chez des patients sélectionnés, dans le cadre d'un traitement antiplaquettaire bien conduit et dans le cas d'une implantation soigneuse de l'endoprothèse active.  Conclusion Finalement, la lecture des études publiées permet une évaluation correcte du rapport bénéfice/risque des stents actifs de première génération Cypher® et Taxus®. Le risque de thrombose de ces stents est faible, principalement lors des 30 jours suivants l'implantation mais doit être réduit encore par une parfaite technique lors de l'angioplastie, par un cocktail antiplaquettaire optimisé et par une sélection correcte des patients. Le sur-risque modeste de thromboses tardives et très tardives, ne contrebalance pas le bénéfice marqué et durable de ces endoprothèses sur le risque de réintervention coronaire itérative. Les résultats encourageants de certains stents plus récents ne bénéficient pas du recul suffisant dans le temps, ni de l'utilisation dans les populations à très haut risque pour pouvoir être réellement comparés aux stents actifs de première génération. Figure 1. Résultats à 5 ans de l’étude TAXUS IV chez 1 230 patients. Bénéfice des stents actifs Taxus® en termes de TVR et de MACE par rapport aux stents nus (BMS). Aucune différence en termes de thrombose de stent à 5 ans (d’après Ellis et al. JACC Cardiovasc Interv 2009 ; 2 (12) : 1248-59).   Figure 2. Résultats à 5 ans des études Cypher. Bénéfice des stents actifs Cypher® en termes de TVR, par rapport aux stents nus (BMS) chez 1 748 patients. Aucune différence en termes de décès/IDM ou de thrombose de stent à 5 ans (d’après Caixeta et al. J Am Coll Cardiol 2009 1 ; 54 (10) : 894-902.  

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