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HTP-TEC

Publié le 20 juin 2023Lecture 11 min

Prise en charge multimodale de l’HTP-TEC

Olivier CHABOT, d’après l’intervention de Xavier Jaïs (Hôpital Bicêtre) lors des Rencontres de l’HTP‑TEC

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  Rappels sur l’HTP-TEC L’hypertension pulmonaire thrombo-embolique chronique (HTP-TEC) est une maladie liée à la persistance et à l'organisation fibreuse de caillots au sein des artères pulmonaires après un ou plusieurs épisodes d'embolie pulmonaire (EP). 
L'incidence n'est pas très bien connue, mais on estime qu'elle se situe entre 1 et 2 % après une EP, ce qui représente en France environ 300 à 600 nouveaux cas par an. Cette maladie est définie par plusieurs critères : La présence de symptômes, dont le maître symptôme, la dyspnée est présente chez 95 % des patients, avec ou sans antécédents de maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV). On ne va pas trouver systématiquement d'antécédents documentés de MTEV chez un patient avec un diagnostic d’HTP-TEC. Dans les différentes études, ces antécédents documentés se situent entre 50 et 75 % des cas. Ce qui veut dire que dans 1 cas sur 4 à 1 cas sur 2, on ne va pas trouver d’antécédents de MTEV documentés, il ne faut donc pas exclure a priori le diagnostic d’HTP-TEC en l’absence d’antécédents de MTEV documentés. À ces symptômes doit être associée la présence d'au moins un défaut de perfusion non concordant sur la scintigraphie pulmonaire de ventilation/perfusion. Scintigraphie qui reste l’examen de dépistage : c’est un examen très simple, il est positif ou négatif. C’est seulement après que l’on va réaliser soit un angioscanner dédié, soit une angiographie pulmonaire pour confirmer le diagnostic et préciser la localisation des lésions, ce qui est extrêmement important pour le choix thérapeutique (cf. infra). Enfin, il faut qu’il y ait une hypertension pulmonaire (HTP), dont la définition a changé dans  les dernières recommandations. L’’HTP précapillaire est définie par une pression artérielle pulmonaire moyenne à plus de 20 mmHg, une pression artérielle pulmonaire d'occlusion à moins de 15 mmHg et des résistances vasculaires pulmonaires à plus de 2 unités Wood. Une dernière chose, extrêmement importante : il faut que ces anomalies soient observées après au moins 3 mois d’un traitement anticoagulant efficace. En effet, dans ce cas où l’HTP-TEC est révélée par une embolie aiguë, il se peut qu'il y ait un certain nombre de thrombi qui disparaissent avec le traitement anticoagulant : on considère que les lésions sont fixées au bout de 3 mois d'anticoagulation efficace. En l’absence de traitement spécifique, le pronostic de l’HTP-TEC est sombre. D’après des données de 1982, à une époque où n’existait pas de traitement spécifique, on voit que le pronostic est fortement corrélé à la sévérité hémodynamique : les patients ayant une pression artérielle pulmonaire moyenne à plus de 30 mmHg avaient une médiane de survie de 1 an(1). Aujourd'hui, cette survie est bien meilleure grâce à tous les traitements dont on dispose.   Stratégie de prise en charge Les dernières recommandations de l’ESC/ERS publiées en 2022(2) ont précisé cette stratégie de prise en charge avec plusieurs évolutions par rapport à celles de 2015.
Une fois le diagnostic d’HTP-TEC confirmé, tous les patients doivent avoir un traitement anticoagulant efficace soit par anticoagulants oraux directs (AOD), soit par AVK. À noter que dans le cas du syndrome des antiphospholipides, les AVK sont supérieurs aux AOD, dans les autres situations, on peut utiliser indifféremment les AOD ou les AVK. La 1re étape, qui vient rapidement, est l’évaluation par une équipe multidisciplinaire d'une approche multimodale. L'évaluation de l'éligibilité pour une approche multimodale apparaît très tôt dans l'algorithme de prise en charge (recommandation classe I)(1). Le rationnel de l’approche multimodale est présenté dans l’encadré ci-après. Encadré. Rationnel de l'approche multimodale. • Il existe différents types de lésions dans l’HTP-TEC (figure 1). Il y a une composante obstructive qui est liée à l'obstruction par des caillots fibreux au niveau des artères pulmonaires. Cette obstruction peut se situer sur des artères de gros calibre, les artères proximales, mais elle peut aussi se situer sur les artères plus distales : les artères segmentaires ou les artères sous-segmentaires. En fonction de la localisation de ces caillots fibreux, le traitement va être différent : • L’endartériectomie pulmonaire va permettre de retirer les caillots proximaux, ceux qui se situent sur le tronc, sur les artères principales, sur les artères segmentaires proximales, mais pas en dessous de 3 mm de diamètre. • L’angioplastie pulmonaire va cibler les lésions qui se situent plutôt sur les artères segmentaires et sous-segmentaires jusqu'à 2 mm de diamètre environ. • Chez un certain nombre de patients, il y a une microvasculopathie qui touche les artères microscopiques de moins de 0,5 mm, avec un remodelage vasculaire, qui est assez proche de celui qu'on observe dans hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), avec un épaississement de la paroi des vaisseaux et une hypertrophie de la média. Dans ce cas, le traitement médicamenteux est possible. On comprend ainsi que les patients peuvent avoir différents types de lésions, des obstructions qui peuvent siéger de façon plus ou moins proximale ainsi qu’une microvasculopathie. Dans la mesure où les différents traitements vont cibler différentes lésions, il y a donc un intérêt potentiel à associer au moins deux de ces traitements. On parle d’approche multimodale à partir du moment où l’on propose une combinaison séquentielle d’au moins deux de ces trois traitements. Figure 1. Différents types de lésions dans l’HTP-TEC (d’après 1).   Patients opérables La première étape après le diagnostic d’un HTP-TEC, est d'évaluer si le patient est opérable ou non. Lorsque les lésions se situent sur les artères proximales, le traitement recommandé est l'endartériectomie pulmonaire avec une classe de recommandation élevée (classe I). Il est important de noter que la valeur des résistances vasculaires pulmonaires préopératoire est associée à la mortalité après endartériectomie pulmonaire. Pour les patients qui ont un niveau de résistances à moins de 800 dynes en préopératoire, la mortalité est de l'ordre de 2,8 % ; à partir de 800 dynes, elle augmente de façon considérable, et au-delà de 1 200 dynes de résistances, la mortalité est beaucoup plus élevée(3). Ces données ont un intérêt car dans le cadre d'une approche multimodale, on se demande s’il est utile de traiter médicalement un patient avant une chirurgie, lorsque les résistances préopératoires sont élevées. Ceci afin d'améliorer l’hémodynamique pulmonaire, de faire baisser les résistances et par conséquent de réduire la mortalité périopératoire. Les quelques données de la littérature ne sont pas très concluantes. Il n'y a pas de bénéfices clairement démontrés du traitement médical. Il a été démontré dans plusieurs études que cela retardait le délai de prise en charge chirurgicale et donc le traitement radical qu’est l’endartériectomie pulmonaire lorsque les lésions sont proximales. C’est une discussion qui doit avoir lieu au cas par cas, il ne faut pas exclure totalement l'intérêt potentiel du traitement médicamenteux préopératoire. Il faut mettre en place d’autres études pour évaluer cette stratégie. Une notion importante à avoir en tête est la corrélation entre l’obstruction anatomique et le niveau des résistances. Plus la discordance est importante, plus on est en présence de microvasculopathie avec un remodelage, et plus les patients sont à risque de ne pas répondre au traitement et de conserver une HTP résiduelle après endartériectomie pulmonaire. C’est quelque chose qui n’est pas facile à évaluer, on n’a pas d’outils précis permettant d’évaluer la part respective entre l’obstruction et la microvasculopathie au niveau des résistances. C’est quelque chose de très difficile à appréhender et une question majeure, pour un patient avec des résistances très élevées, de savoir le risque que l’on va lui faire prendre avec l’opération. L'endartériectomie pulmonaire est un traitement qui est très efficace, qui permet d’améliorer les symptômes, l’hémodynamique, la qualité de vie et le pronostic des patients. Malheureusement, dans un certain nombre de cas, il va rester une HTP résiduelle, une fois l'intervention réalisée. Il est donc nécessaire et important de réévaluer les patients, 3 et 6 mois après la chirurgie . Ainsi, une étude réalisée en Angleterre (Cannon et coll. 2016(4)) a montré qu’il existe un pourcentage élevé de patients qui vont conserver une HTP résiduelle après endartériectomie pulmonaire et que plus de 50 % des patients vont conserver une PAP moyenne > 25 mmHg. Il est donc très important d'évaluer ces patients après endartériectomie pulmonaire pour leur proposer un traitement complémentaire, dans le cadre d’une approche multimodale : soit avec un traitement médicamenteux, soit avec un angioplastie pulmonaire. On dispose d’essais thérapeutiques qui ont évalué l’intérêt de différents traitements médicamenteux et qui ont permis d’inclure dans les recommandations(2) : • Le riociguat  : recommandé en première intention pour les patients symptomatiques avec HTP résiduelle après endartériectomie pulmonaire (classe I). • Le tréprostinil sous-cutané : peut être envisagé chez des patients plus sévères en classe III ou IV (classe IIb) qui ont également une HTP persistante après endartériectomie pulmonaire. Concernant l’angioplastie pulmonaire complémentaire, il y a eu quelques études avec de petits effectifs. Celles-ci montrent qu’avec l’angioplastie pulmonaire après une endartériectomie pulmonaire, on obtient une baisse significative des résistances vasculaires. Dans ces études, la majorité des patients étaient également traités médicalement : nous sommes vraiment dans le cadre de l'approche multimodale qui intègre les trois traitements de manière séquentielle, avec un effet complémentaire de ces différents traitements sur les différentes lésions observées chez ces patients. Les recommandations de 2022(2) proposent l’angioplastie pulmonaire chez des patients qui ont une HTP résiduelle après endartériectomie pulmonaire (classe I). Bien sûr, si les lésions sont accessibles à l'angioplastie pulmonaire. Pour résumer la stratégie de prise en charge des patients opérables : – endartériectomie pulmonaire ; – réévaluation des patients à 3 ou 6 mois ; – en cas de persistance d'une HTP, traitement médicamenteux le plus souvent associé à une angioplastie pulmonaire. Et donc nécessité de réévaluer les patients après avoir effectué ces différents traitements pour éventuellement proposer une modification thérapeutique, que ce soit du traitement médical ou éventuellement reproposer des angioplasties pulmonaires.   Patients inopérables Lorsqu'on évalue les patients, il y entre 35 et 40 % des patients qui sont inopérables, le plus souvent en raison de la localisation distale des lésions — sur les artères segmentaires et sous-segmentaires — inaccessibles à l’endartériectomie pulmonaire. Pour les patients qui ont une forme inopérable, en 2015, seul le traitement médicamenteux avait un niveau de recommandation élevé. Il y avait peu de données comparatives entre le traitement médicamenteux et l’angioplastie. Depuis, il y a eu deux essais randomisés contrôlés comparant l’angioplastie au traitement par riociguat : une étude française menée au sein du Réseau français de l'hypertension pulmonaire (étude RACE)(5) et une étude japonaise (MRBPA)(6). Dans l’étude RACE, le critère de jugement était les résistances vasculaires pulmonaires à 26 semaines ; et dans l'étude MRBPA, c'était la PAP moyenne à 1 an. Ces deux études ont montré la supériorité de l'angioplastie pulmonaire par rapport au traitement médicamenteux, que ce soit sur les résistances vasculaires pulmonaires ou les pressions pulmonaires. Il faut noter que cette supériorité de l'angioplastie pulmonaire par rapport au traitement par riociguat se faisait au prix d'événements indésirables, notamment graves, plus élevés et inhérents à la technique. Les complications observées suite au traitement par angioplastie pulmonaire sont des complications liées à des lésions vasculaires qui sont le plus souvent induites par le guide utilisé pour cibler le vaisseau à dilater. Cela peut créer des microperforations du vaisseau et entraîner un saignement autour du vaisseau, un hématome intrapulmonaire. Il peut y avoir des déchirures du vaisseau lorsqu'on va gonfler le ballonnet avec, là aussi, la possibilité d'un saignement. Il a été démontré dans plusieurs études, et également dans l'étude RACE, que ces complications étaient liées à la sévérité hémodynamique. Plus les pressions étaient élevées, plus les résistances étaient élevées, plus les saignements et surtout les conséquences de ces saignements étaient importants. C'était la principale cause de mortalité, heureusement faible, de l’ordre de 1 %. Dans les recommandations 2022(2), le niveau de preuve pour l’angioplastie pulmonaire et pour traitement par riociguat est le même avec un niveau de preuve élevé (classe I). D'autres traitements médicamenteux sont utilisables dans les formes d’HTP-TEC inopérables (avec un niveau de preuve moins élevé, classe IIb) que ce soit le tréprostinil ou d'autres traitements spécifiques de l’HTAP. C’est également le cas pour les combinaisons de plusieurs médicaments comme dans l’HTAP. Dans l'étude RACE, à l'issue des 26 semaines certains patients restaient symptomatiques. Ces patients pouvaient donc recevoir l'autre traitement (soit le riociguat, soit l’angioplastie). L’étude montre les mêmes résultats, quel que soit le sens dans lequel on avait donné les traitements. Par contre, ce qui était extrêmement intéressant, c’est qu’on a pu comparer les patients traités par angioplastie pulmonaire puis riociguat vs les patients traités par riociguat puis angioplastie pulmonaire, sur la fréquence des complications liées à l’angioplastie pulmonaire. L’étude montre ainsi que, traiter médicalement un patient, et améliorer l’hémodynamique avant de faire une angioplastie pulmonaire, permettait de réduire, de façon considérable, les complications liées à l’angioplastie pulmonaire. C’est la 1re étude à avoir démontré cela et c’est extrêmement important pour la pratique clinique. Cela a d’ailleurs été intégré dans les recommandations(2) : pour les patients ayant des résistances vasculaires pulmonaires > 4 unités Wood, il est préférable d'utiliser un traitement médicamenteux avant d'envisager une angioplastie pulmonaire afin de limiter les complications de l’angioplastie pulmonaire (classe IIa). Il y a donc toute une logique à utiliser un traitement médicamenteux puis l’angioplastie pulmonaire, considérant également la complémentarité discutée précédemment. Plus récemment, une équipe allemande a regardé l’impact de l’approche multimodale sur le pronostic dans les formes inopérables. Sur une cohorte de 83 malades traités par riociguat puis angioplastie, comparée à une cohorte historique matchée issue d’un registre international, ils ont pu montrer que la combinaison thérapeutique séquentielle ricociguat/angioplastie faisait mieux sur la survie à long terme que la cohorte historique. Les patients de la cohorte historique avaient soit un traitement médicamenteux sans angioplastie pulmonaire, soit une angioplastie sans traitement médicamenteux. Cela renforce l’intérêt et l’impact positif de l’approche multimodale dans l’HTP-TEC (figure 2). Figure 2. Algortithme de prise en charge de l'HTP-TEC.   Conclusion L’évaluation d’une prise en charge multimodale doit être faite dès le diagnostic de l’HTP-TEC, avec une réévaluation régulière. L’endartériectomie pulmonaire est le traitement de choix pour les formes opérables, lorsque les lésions sont accessibles. L'angioplastie est recommandée pour les formes inopérables ou lorsque les patients ont une HTP résiduelle après endartériectomie pulmonaire. Le riociguat est recommandé pour les patients symptomatiques avec une forme inopérable ou une HTP résiduelle après endartériectomie pulmonaire. L'approche multimodale doit être considérée pour les patients avec une HTP persistante après endartériectomie pulmonaire ou pour les patients inopérables. Dans le cas des patients inopérables, il y a un intérêt à utiliser un traitement médicamenteux avant angioplastie pulmonaire afin de réduire les risques de complications liées à l’angioplastie pulmonaire.   << RETOUR  

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