HTP-TEC
Publié le 31 mai 2022Lecture 7 min
De l’embolie pulmonaire aiguë au suivi
Olivier CHABOT, d’après l’intervention de Francis COUTURAUD (CHU de Brest)
L’embolie pulmonaire (EP) est une maladie fréquente touchant 1 personne sur mille chaque année, avec une mortalité de 10 %. Aujourd'hui, c'est la troisième cause de mortalité cardiovasculaire dans le monde.
Phase aiguë
À la phase aiguë, il faut d’abord confirmer le diagnostic d’EP, définir les modalités de traitement et d'ores et déjà mettre en place les éléments de suivi.
Diagnostic
L’évaluation clinique à l’aide d’une grille de probabilité clinique (figure 1) est primordiale, pour établir le diagnostic positif et éliminer les diagnostics d’exclusion. Cliniquement, si la probabilité est haute, un angioscanner est immédiatement demandé. Si elle est faible ou intermédiaire, on dose les D-dimères pour confirmer ou infirmer le diagnostic(1). Si cet algorithme est mal ou partiellement suivi c’est jusqu’à 8 % de patients pour lesquels le diagnostic n’est pas fait.
Figure 1. Algorithme décisionnel pour le diagnostic de l’EP. D’après(1).
Stratification du risque
Il faut ensuite établir la sévérité d'EP (figure 2)(2).
Les patients en état de choc sont pris en charge en réanimation pour notamment une thrombolyse. En l’absence de choc, les 2 éléments clés sont la sévérité clinique et la fonction ventriculaire droite.
Lorsqu’il n’y a pas de dysfonction ventriculaire droite, qu'il n'y a pas de dilatation du ventricule droit à l'angioscanner, que le score clinique sPESI ou HESTIA est égale à 0 et qu'il n'y a pas de problème sur le plan social et psychologique alors le patient est éligible pour une sortie dans les 24 heures.
En phase intermédiaire, avec une dilatation du ventricule droit ou avec un score sPESI ou HESTIA supérieur ou égal à 1, un dosage des troponines est nécessaire.
• Si les troponines sont négatives, il s’agit d'une EP à risque intermédiaire/faible de décès. Dans ce cas, le patient est hospitalisé quelques jours avec traitement par un anticoagulant.
• Si les troponines sont positives, c’est une EP à risque intermédiaire/élevé. Le patient doit être hospitalisé en USIC, avec un traitement anticoagulant. En cas d’aggravation, une fibrinolyse est possible.
Cette stratification est très importante, car chez les patients avec des critères de sévérité, une élévation de la pression artérielle pulmonaire systolique est possible. Si à l’échographie cardiaque, à la phase aiguë de l’EP, la pression artérielle systolique augmente au-delà de 60 mmHg, il faut se méfier que ce ne soit pas d’ores et déjà une hypertension pulmonaire thrombo-embolique chronique (HTP-TEC ou CTEPH), qui serait en décompensation.Le scanner est utile à la phase précoce pour distinguer une EP aiguë et une maladie chronique résiduelle (figure 3), Il permet de détecter les éléments d’HTP thrombo-embolique déjà présents. Dans l’EP aiguë, il y a un défect intraluminal et au contraire, on observe un aspect de thrombus marginé ou d’épaississement de paroi dans les anomalies obstructives résiduelles.
Figure 2. Stratification du risque d’EP. D’après(2).
Figure 3. Scanner à la phase aiguë de l’EP.
Parcours de soins
Pour éviter une rupture du parcours de soins, si le patient est sorti dans les 24 heures, il doit être revu dans les 72 heures par un référent thrombose de votre établissement, et il est indispensable d’établir le contact avec le médecin traitant afin de sécuriser les premiers jours de prise en charge du patient.
Suivi post-EP
Alors au-delà de l’épisode aigu, un suivi est nécessaire avec des consultations à 1 mois et 3 ou 6 mois pour :
– déterminer la durée du traitement ;
– l'indication ou non d'un bilan de thrombophilie ;
– chercher ou non un cancer ;
– éventuellement chercher des séquelles obstructives ;
– chercher une dyspnée résiduelle ;
– évaluer la qualité de vie du patient.
Consultation à 1 mois
Il a été montré qu’après une EP les patients présentent des signes de stress post-traumatique(3). Ce sont des patients qui décrivent souvent une errance diagnostique avant que le diagnostic ne soit établi. Ils ont des symptômes angoissants. Ils sont souvent démunis lorsqu'ils sortent de l'hôpital d’autant plus qu’ils sortent précocement. Ils vont développer ensuite des sentiments d'incertitude et d'inquiétude sur les projets d'avenir, ils ont parfois des bouffées d'angoisse. Il est donc très important d’aborder ces points avec les patients lors de la consultation de suivi à 1 mois (debriefing). Les patients doivent être interrogés, non pas sur ce qu’ils savent de la maladie, mais sur leur vécu et aussi les perceptions de l’entourage afin de leur permettre de mieux vivre avec cette maladie.
Lors de cette consultation à 1 mois, on doit s'assurer :
– que le traitement est efficace et bien toléré ;
– que les changements de doses des anticoagulants ont été réalisés ;
– commencer à se poser la question de déterminer s’il faut ou ne pas réaliser un bilan étiologique qui n’est jamais systématique ;
– commencer à s'interroger sur les risques familiaux ;
– envisager le bilan à 3 ou 6 mois.
Bilan à 3 ou 6 mois
Le bilan à 3 ou 6 mois doit être systématique.
Faut-il réaliser un bilan de thrombophilie ? Ce n’est pas systématique. Finalement, ce sont rarement des prédicteurs de récidive. Donc, dans le cadre de l’appréciation du risque de récidive, il peut être utile de rechercher uniquement un déficit en antithrombine et l’existence d’un syndrome des antiphospholipides (SAPL).
Et pour déterminer le risque chez les membres de famille, cette recherche de thrombophilie n’est quasiment pas discriminante et, là encore, la seule qu'il faille rechercher, c'est le déficit en antithrombine, voire les déficits en protéine C et S.
Faut-il rechercher un cancer ? La prévalence du cancer est assez faible, environ 5 %, et pour la moitié de ces 5 %, le cancer est d'ores et déjà évident au moment de l'EP. De plus, en dessous de 50 ans, la prévalence est très faible(4,5). Il est donc indispensable d’éviter de stresser les patients avec des recherches systématiques. Finalement, c’est l’examen clinique qui est primordial ainsi que la mise à jour des dépistages validés dans la population générale (prostate, sein, frottis).
Lors de cette évaluation à 3 ou 6 mois, il faut déterminer si les patients conservent une dyspnée persistante qui rentre dans le cadre du syndrome post-EP(6). Globalement, ce sont des patients qui ont une dyspnée persistante ou qui aggravent leur dyspnée au cours du suivi malgré 3 mois de traitement anticoagulant bien conduit et, qui n’est pas expliqué par une comorbidité existante.
Ce syndrome regroupe à la fois les anomalies obstructives vasculaires avec l’HTP-TEC et la maladie thrombo-embolique chronique sans hypertension pulmonaire (le CTED des Anglo-Saxons). Sur une cohorte de patients suivis après une EP aiguë, 20 à 30 % ont des séquelles obstructives pulmonaires vasculaires résiduelles et environ 2 % au total vont avoir une HTP-TEC. Seulement 10 % des malades ayant une obstruction pulmonaire vasculaire résiduelle (CTED) vont développer une HTP-TEC.
Au total on va identifier deux grandes entités(7,8) :
– l’HTP-TEC : environ entre 0,5 % et 3 % des patients vont la développer au décours d'une EP ;
– la CTED : présente chez environ 20 % des patients, ils n'ont pas d’hypertension pulmonaire au repos avec une PAPm inférieure à 20 mmHg mais sont dyspnéiques à l'effort. C’est lors du cathétérisme d'effort, que l'on va démasquer l’hypertension avec un seuil de PAPm supérieur à 30 mmHg.
Les examens clés sont la scintigraphie et l’angioscanner.
Durée du traitement Il y a trois grandes situations (figure 4) :
• En présence d’un facteur majeur transitoire (chirurgie, traumatisme immobilisation grossesse, post-partum, estrogènes), le traitement est court de 3 à 6 mois.
• S’il existe un facteur persistant (cancer, maladie inflammatoire chronique…), le traitement est de 6 mois minimum et tant que la maladie persiste, en particulier avec le cancer.
• La troisième situation est plus difficile à appréhender car le malade a un épisode non provoqué par un facteur majeur transitoire.
Un traitement au long cours pleine dose pour une durée non limitée est prescrit en cas :
– de déficit en antithrombine ou un SAPL ;
– ou une première EP avec un haut risque de décès ;
– un épisode non provoqué récidivant.
Figure 4. Algorithme décisionnel de la durée de traitement. D’après(2,9).
Pour la prise en charge d’un premier épisode non provoqué sans critères de sévérité, chez un homme, sans facteur associé ; on se pose la question d'un traitement non limité éventuellement à dose réduite.
Dans le cas d’une femme, avec un facteur transitoire associé, c'est une thrombose veineuse profonde, le traitement est court de 3 à 6 mois grand maximum.
Ceci est à pondérer avec la préférence des patients et le risque hémorragique. De plus, l’obstruction vasculaire est potentiellement un élément très intéressant de cette prise en charge.
En pratique
Cette prise en charge à 3 ou 6 mois peut se faire en hôpital de jour quand il y a une dyspnée persistante. Il est nécessaire de combiner l’évaluation clinique et les examens clefs (échographie cardiaque, scintigraphie et éventuellement épreuve d'effort respiratoire et cathétérisme droit). Cette prise en charge est toujours pluridisciplinaire. Il faut se mettre en lien avec des centres experts de maladies thrombo-emboliques veineuses et des centres de compétence de l’HTP pour bien réaliser les examens.
Au-delà de 6 mois
Au-delà de 6 mois, il faut poursuivre le suivi de ces patients.
Si le traitement anticoagulant est maintenu, il est nécessaire de les voir 1 à 2 fois par an pour réévaluer le bénéfice/risque, en particulier s’il n’y a pas un risque hémorragique qui ferait revoir l’estimation initiale.
Si le traitement a été arrêté à 3 ou 6 mois, il faut rester disponible pour que ces patients puissent être investigués immédiatement s’il y a une suspicion de récidive.
Conclusion
Il est très important d'identifier des référents dans des structures spécifiques (centre de de compétences en MVTE et HTP). Il faut encadrer les grandes étapes :
– à la phase hospitalière ;
– la consultation dans les 72 heures s'il y a une sortie précoce ;
– la mise en relation avec le médecin traitant (J7) ;
– revoir les patients à moi notamment pour le « debriefing » ;
– l'évaluation systématique à 3 ou 6 mois pour rechercher en particulier des séquelles ;
– la nécessité d’un suivi au-delà de 6 mois.
Avec le soutien institutionnel de
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