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Cardiologie générale

Publié le 01 sep 2013Lecture 9 min

Complications cardiovasculaires des rhumatismes inflammatoires chroniques

M. SOUBRIER, CHU Clermont-Ferrand, D. ROSENBAUM, Hôpital de la Pitié, Paris

Le risque cardiovasculaire (CV) est augmenté au cours des rhumatismes inflammatoires que ce soit dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) ou dans les spondylarthropathies, et la PR est un facteur de risque aussi important que le diabète.
Les facteurs de risque traditionnels (tabagisme, diabète, HTA, dyslipidémie) sont plus fréquents chez les patients ayant un rhumatisme inflammatoire, mais n’expliquent pas à eux seuls l’augmentation du risque observée. En effet, après ajustement sur les facteurs de risque CV traditionnels, le risque relatif d’événements cardiaques n’est que très discrètement diminué.
Des recommandations viennent d’être publiées pour la prise en charge du risque CV en rhumatologie.
La gestion du risque nécessite un contrôle adéquat de la PR, et le méthotrexate (MTX) ainsi que les anti-TNF diminuent ce risque. La prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) doit être prudente, et les corticoïdes doivent être utilisés à la dose la plus faible possible. L’évaluation du risque CV est à réaliser annuellement.
En France, il a été conseillé de considérer la PR comme un facteur de risque additionnel. Si on évalue le risque CV global à partir d’une équation de risque, il faut multiplier le risque par 1,5 lorsque la PR a 2 des 3 caractéristiques suivantes : évolution depuis plus 10 ans, facteurs rhumatoïdes (FR) ou anti-CCP positifs, manifestations extra-articulaires. La nouvelle équation SCORE, validée dans la population française, fixant de nouveaux seuils optimaux pour le LDL-C, semble à privilégier.

La sensibilisation des rhumatologues à l’augmentation du risque CV au cours des rhumatismes inflammatoires devrait augmenter le nombre de patients adressés au cardiologue.   Données épidémiologiques L’augmentation de la mortalité des patients ayant une PR par rapport à la population générale est bien établie(1). La pathologie cardiovasculaire rend compte d’une augmentation d’environ 50 % de la mortalité au cours de la PR par un accroissement du risque de mortalité cardiaque et neurologique(2). 
L’élévation du risque de mortalité par rapport à l’ancienneté de la PR reste discutée. Ce sur-risque n’existe pas dans les PR débutantes, mais apparaît après 7 à 10 ans d’évolution. L’augmentation de la mortalité est plus importante, et pour certains seulement observée chez les patients ayant une PR avec facteurs rhumatoïdes ou des anticorps anti-CCP(1). Par ailleurs, la présence de manifestations extra-articulaires accroît le risque CV. Alors que la mortalité globale dans la PR et la mortalité cardiovasculaire dans la population générale ont diminué, il n’existe pas de réduction du risque de décès d’origine cardiovasculaire dans les cohortes de PR les plus récentes(2). L’infarctus du myocarde (IDM), conduisant au décès, est deux fois plus souvent asymptomatique et moins fréquemment précédé d’un angor que dans la population générale(1). 
La morbidité cardiovasculaire est également augmentée, avec un sur-risque attribuable à la PR aussi important que celui du diabète(1,3). L’étude la plus démonstrative est celle réalisée à partir de la population générale danoise(3). Plus de 4 millions de personnes ont été suivies (4 311 022 personnes) de 1997 à 2006 : 10 447 ont développé une PR et 130 215 un diabète. 
Le risque d’IDM est de 1,7 [1,5-6,9] chez les patients atteints de PR, similaire à celui des diabétiques : 1,7 [1,6-1,8] (p = 0,64)(1,4). Le risque d’IDM au cours de la PR est similaire à celui de sujets normaux, mais plus âgés de 10 ans(3). L’augmentation du risque d’IDM par rapport à l’évolution de la PR est controversée : elle pourrait précéder le diagnostic, apparaître dès le diagnostic, dans l’année suivante ou seulement 7 ans après(4). L’atteinte coronaire, plus souvent asymptomatique, est également plus grave que dans la population générale, puisqu’elle est plus couramment multitronculaire avec un risque augmenté de récidive et de décès après un premier IDM(1). 
 De nombreuses études concernant des marqueurs précoces et infracliniques ont été réalisées dans la PR(5). L’altération de la fonction endothéliale et l’augmentation de la rigidité artérielle et de l’épaisseur intima-média, qui sont des facteurs prédictifs d’accident cardiovasculaire, ont été retrouvées chez les patients ayant une PR par rapport aux sujets contrôles dans des études transversales ou longitudinales(5). 
 Il existe également une augmentation de la morbi-mortalité cardiovasculaire dans le rhumatisme psoriasique et la spondylarthrite ankylosante (SPA), du même ordre que celle observée dans la PR(6,7).   Physiopathologie Les facteurs de risque traditionnels, notamment le tabagisme, sont augmentés dans la PR, mais n’expliquent pas à eux seuls l’accroissement du risque. En effet, après ajustement sur les facteurs de risque cardiovasculaire traditionnels, le sur-risque relatif (RR) d’événements CV persiste(1). Le risque CV pourrait aussi être expliqué par l’effet délétère de l’inflammation sur la paroi vasculaire. Dans la population générale, les études épidémiologiques ont montré que la C-Reactive Protein (CRP) et l’interleukine 6 sont des facteurs prédictifs indépendants d’accident cardiovasculaire(1). En fait, ces deux hypothèses ne semblent pas exclusives, et il existe une interaction entre les facteurs de risque classiques et l’inflammation(8). 
 Concernant les facteurs de risque traditionnels, la prévalence du tabagisme est plus élevée chez les patients ayant une PR que chez les témoins (OR : 1,56 [1,35- 1,80]), dans une méta-analyse de 4 études cas-témoins totalisant 1 415 patients(9). 
L’HTA est commune chez les patients ayant une PR, mais ne paraît pas plus fréquente que dans la population générale(9). Il semble toutefois qu’elle soit souvent sous-diagnostiquée et sous-traitée chez les patients ayant une PR et qu’elle soit plus fréquente chez ceux ayant une PR mal contrôlée par le traitement(1). De nombreux autres facteurs peuvent influencer le contrôle de la pression artérielle (PA) chez les patients ayant une PR : 
 - l’inactivité physique ; - l’obésité ; - les traitements anti-inflammatoires non stéroïdiens ou stéroïdiens ; 
 - et les traitements de fond (léflunomide). La prévalence du diabète est augmentée chez les patients ayant une polyarthrite par rapport aux sujets contrôles (OR : 1,74 [1,22-2,50])(9). Le diabète pourrait être secondaire à l’obésité abdominale, à l’activité de la maladie et à la corticothérapie. 
À l’inverse, l’hydroxychloroquine et le traitement anti- TNF-alpha diminuent l’incidence du diabète(10). 
La dyslipidémie observée dans la PR illustre les intrications entre l’inflammation et les facteurs de risque traditionnels. Lorsque la PR est active, le cholestérol total et le LDL-C sont diminués, alors que contrairement à la population générale, le risque de mortalité CV est augmenté(1). Cela traduit un processus inflammatoire non contrôlé malgré le traitement. 
Toutefois, même si le cholestérol total est diminué, il existe dans la PR une dyslipidémie caractérisée par une réduction encore plus importante du HDL avec une augmentation de l’indice athérogène(11). Au cours de la PR et des spondylarthropathies, le HDL devient pro-inflammatoire, augmentant l’oxydation des LDL, l’inflammation de l’endothélium et diminuant le transport réverse du cholestérol(11). 
Cette dyslipidémie pourrait contribuer à l’augmentation du risque cardiovasculaire au cours de la PR et des spondylarthropathies(11). Le contrôle de l’activité de la PR par les traitements de fond conventionnels améliore l’indice athérogène (rapport LDL/HDL)(11). L’effet des traitements biologiques, en particulier des anti-TNFα, sur le profil lipidique a été très discuté. Trois méta-analyses montrent une augmentation du cholestérol et du HDL-C avec un indice athérogène stable(12-14). Les traitements anti-TNFα semblent toutefois capables de restaurer l’effet anti-inflammatoire du HDL-C(11). Le traitement par tocilizumab entraîne très précocement une augmentation du ratio CT/HDL-C dans 20% des cas(11). À l’inverse, l’hydroxychloroquine améliore le profil lipidique avec une diminution du cholestérol total, du LDL-C et de l’indice athérogène(15). 
   Alors qu’un indice de masse corporelle (IMC) bas n’est pas associé à une augmentation du risque de mortalité CV dans la population générale, l’indice de masse osseuse a un effet paradoxal sur la survie des patients ayant une PR. Ainsi un IMC bas représente un risque de décès d’origine cardiovasculaire chez les patients ayant une PR, après ajustement sur les antécédents cardiaques, le tabagisme, le diabète et l’HTA(1). 
Il pourrait témoigner d’une inflammation active du fait d’un mauvais contrôle de la PR(1). Cependant comme dans la population générale, l’obésité dans la PR est associée à une insulinorésistance participant à l’augmentation du risque CV. Il n’est pas clairement établi que le syndrome métabolique soit plus fréquent au cours de la PR, mais s’il est présent, il doit être combattu car il participe à l’augmentation du risque CV et est associé à des PR plus actives(16). Enfin, l’activité physique moins importante chez les patients atteints de PR pourrait participer à l’augmentation du risque(1). 
 Des incertitudes persistent cependant sur la cause exacte de l’augmentation de la morbi-mortalité observée. Ainsi les études autopsiques ont montré plus de plaques d’athérome instables au cours de la PR que chez les sujets contrôles, alors que les lésions d’athérome n’étaient pas plus importantes. 
L’existence de ces plaques instables pourrait expliquer la récidive précoce des IDM au cours de la PR. Ainsi pour certains, l’inflammation ne serait pas responsable d’un athérome accéléré, mais de l’instabilité des plaques et de leur rupture(1). 
 Au cours des spondylarthrites, une interaction entre l’inflammation et les facteurs de risque CV est probable, mais il existe une augmentation des facteurs de risque traditionnels. Ainsi au cours de la SA et surtout du rhumatisme psoriasique, l’HTA, le syndrome métabolique et le diabète sont plus fréquents(6,7).   Prise en charge du risque cardiovasculaire Des recommandations ont été publiées par la Société européenne de rhumatologie pour la prise en charge du risque CV au cours de la PR et des spondylarthropathies(17).   Éviter les traitements délétères Même s’il n’est pas établi que les AINS augmentent la morbimortalité CV dans les rhumatismes inflammatoires, on ne peut exclure leur effet délétère(17). Tous les AINS en inhibant la Cox-2 augmentent le risque CV dans les essais randomisés, le naproxène étant le moins dangereux(18). Cela est aussi retrouvé dans la méta-analyse des études observationnelles (RR : 1,09 [1,02 -1,66])(19). 
Chez les patients ayant eu un IDM, la prise d’AINS augmente le risque de récidive ou de décès (HR : 1,45 [1,29-1,62]) dès le début du traitement. Le diclofénac est l’AINS dont le risque est le plus important(20). En cas de coprescription avec l’aspirine, celle-ci doit être prise en premier et un délai d’au moins 30 min avant la prise d’AINS doit être respecté. 
Les corticoïdes pourraient favoriser l’athérome en raison de leur effet délétère sur le métabolisme lipidique, glucidique et la PA. Cependant, ils pourraient aussi diminuer le risque CV du fait de leurs propriétés anti-inflammatoires. Une revue récente de la littérature montre que le risque CV augmente avec la dose(21) : la posologie la plus faible possible durant la période la plus courte possible est donc recommandée(17).   Contrôler l’activité de la polyarthrite Il est probable que le meilleur contrôle de l’activité de la PR permette de réduire la mortalité cardiovasculaire. Cela est suggéré par le fait que les patients en rémission ont des marqueurs cliniques (PA), biologiques et infracliniques (rigidité artérielle) moins augmentés que ceux ayant une PR active(22). 
Le méthotrexate diminue le risque cardiovasculaire global de 21% (0,73-0,87) et de 18% celui d’infarctus du myocarde (0,71-0,96) selon une méta-analyse récente(23). 
 De même, une méta-analyse montre que les anti-TNF-alpha ont un effet protecteur sur la survenue des accidents cardiovasculaires, avec une réduction du risque de tous les événements cardiovasculaires de 31% (RR : 0,69 [0,53 -0,89]), d’IDM de 19% (RR : 0,81 [0,68-0,96]) et des accidents vasculaires cérébraux de 15% (RR : 0,85 [0,53-0,89]) dans une méta-analyse incluant 16 études de cohorte(24).   Évaluer le risque cardiovasculaire et prendre en charge les facteurs de risque traditionnels En France, il a été conseillé de considérer la PR comme un facteur de risque additionnel(25). Le rhumatisme psoriasique et la spondylarthrite semblent également devoir être considérés comme des facteurs de risque additionnels(11). 
 Si on évalue le risque cardiovasculaire global à partir d’une équation de risque, il faut selon les recommandations de l’Eular multiplier le risque par 1,5 lorsque la PR a 2 des 3 caractéristiques suivantes : 
- évolution depuis plus 10 ans ; 
- FR ou anti-CCP positifs ; 
- manifestations extra-articulaires(17). 
 Cependant, Crowson suggère d’employer un coefficient multiplicateur de 1,5 dès que l’un de ces facteurs est présent pour mieux prendre en charge le risque(26). 
 L’Eular conseille d’évaluer le risque cardiovasculaire en utilisant l’équation SCORE, qui vient d’être recalibrée et qui fixe de nouveaux seuils optimaux pour le LDL-cholestérol(27). 
Il n’existe pas d’essai contrôlé de grande envergure sur l’effet des statines sur le risque CV en prévention primaire au cours de la PR. Cependant, l’étude d’une cohorte écossaise montre une diminution du risque d’événements cardiovasculaires (HR : 0,45 [0,20-0,98]) en prévention primaire avec également une réduction de la mortalité toute cause (OR : 0,43 [0,20-0,92])(28). 
 En prévention secondaire, la baisse du cholestérol sous statines et la récidive des IDM sont identiques que les patients aient ou non une PR(29). L’arrêt des statines s’accompagne d’un risque important d’accident cardiovasculaire(30). La prise en charge de la dyslipidémie dans la PR n’est pas satisfaisante, que ce soit en prévention primaire ou secondaire(31-34). En plus de leur effet hypolipémiant, les statines pourraient avoir un effet bénéfique dans le traitement de la PR(35), comme cela a été rapporté dans l’évolution des SPA(11). 
Il n’existe pas de recommandation spécifique concernant l’objectif tensionnel dans la PR. Il a été montré que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) ou les antagonistes de l’angiotensine II (ARA II) ont des propriétés anti-inflammatoires et améliorent la fonction endothéliale au cours de cette pathologie(17). En conclusion   La PR et les spondylarthropathies sont clairement des facteurs de risque cardiovasculaire. Si la physiopathologie de l’augmentation du risque reste débattue, sa diminution ne pourra passer que par le contrôle strict de l’activité du rhumatisme et la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire.

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