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Rythmologie et rythmo interventionnelle

Publié le 17 juin 2024Lecture 6 min

ST plus ou pas ? AVR, la dérivation oubliée…

Laura BACIULESCU, CH d’Agen ; Sorin PRIPON, CH de Tarbes

Actuellement, selon les nouvelles recommandations, la coronarographie immédiate de routine après un arrêt cardio-respiratoire récupéré (ACR) n’est plus recommandée chez les patients stables, sans sus-décalage du segment ST persistant (ou équivalents). Cependant, certains de ces équivalents de SCA ST+ peuvent être moins bien connus, pouvant amener à la prise en charge inadaptée des patients avec surtout un retard de la revascularisation ou de la reperfusion (qui doit être urgente, exactement comme pour le SCA ST+ classique) et donc avec complications et séquelles importantes à distance.

Je souhaite vous présenter le cas d’un patient hospitalisé en réanimation pour arrêt cardio-respiratoire récupéré, qui présentait un équivalent de ST+ sur l’ECG fait par le SAMU : un sus-décalage du segment ST en AVR et un sous-décalage ST dans les dérivations inféro-latérales, mais qui a été récusé pour la coronarographie en urgence par deux centres en raison de l’absence de modification typique de syndrome coronarien aigu ST+. M. X, âgé de 54 ans, a présenté, dans la soirée, lors d’un effort de cyclisme en côte, une crampe au mollet. Il s’arrêtera. Il sera retrouvé inconscient par ses amis qui ne le voyaient pas arriver. Ils ont effectué un massage cardiaque immédiat avec un no flow évalué à moins de 5 minutes. Fibrillation ventriculaire mise en évidence à l’arrivée du SMUR pour laquelle le patient a bénéficié d’un choc électrique externe de 200 J et 2 mg d’adrénaline puis un 2e choc électrique externe avec passage en rythme sinusal avec de nombreuses extrasystoles ventriculaires puis tachycardie ventriculaire (TV) soutenue motivant un 3e choc électrique externe et 300 mg de cordarone intraveineuse devant la résistance de la tachycardie ventriculaire ; reprise d’un rythme sinusal après 5 à 6 minutes de low flow ; par la suite, l’ECG du patient montre un rythme sinusal avec de nombreuses extrasystoles ventriculaires ; le SAMU conclut à un arrêt cardio-respiratoire récupéré sur trouble du rythme à l’effort avec un électrocardiogramme en rythme sinusal sans trouble de repolarisation ; un avis auprès de plusieurs cardiologues interventionnels a été demandé qui refusent la coronarographie en urgence, car pas de sus-ST classique. Ils recommandent un traitement médical. Le patient est donc transféré en réanimation après la réalisation en urgence d’un scanner du crâne et thoraco-abdomino-pelvien de principe qui ne retrouve aucune anomalie. En fin de nuit l’état clinique du patient se dégrade avec progression vers un choc cardiogénique nécessitant l’introduction de noradrénaline à fortes doses en raison surtout de l’instabilité tensionnelle. Une échographie cardiaque a été pratiquée qui retrouve un ventricule gauche dilaté avec une fraction d’éjection à 35 %, akinésie paroi latérale et paroi antérieure et hypokinésie paroi postérieure et paroi libre du ventricule droit ; des oreillettes dilatées, une veine cave inférieure dilatée à 24 mm non respirante ; péricarde sec. La troponine de contrôle était à 12 591 pg/mL, NT-proBNP à 1 341 pg/mL ; devant l’instabilité hémodynamique et les troubles de la cinétique segmentaire avec diminution de la FEVG, une coronarographie est finalement réalisée après plus de 20 heures de l’ACR. La coronarographie retrouve une sténose de 50 % au niveau du segment II de la coronaire droite, une sténose de 40 % de l’IVA III, une sténose de 50 % du segment III de la circonflexe et surtout une subocclusion ostio-proximale d’une belle bissectrice avec un grand territoire ; il a bénéficié d’une angioplastie de la bissectrice avec implantation d’un stent actif dans la foulée. L’évolution par la suite est marquée par une pneumopathie d’inhalation à Escherichia coli et de troubles neuropsychiques à type de probable syndrome frontal et des crises d’épilepsie malgré un scanner cérébral normal. Le pic de troponine a été 30 000 pg/mL. La fraction d’éjection VG à la sortie de l’hospitalisation est à 45 % avec une hypokinésie entérolatérale persistante. Les électrocardiogrammes faits par le SAMU (figure 1) Figure 1. Tachycardie ventriculaire soutenue, puis réduction en rythme sinusal, avec sus-décalage AVR et sous décalage ST dans de multiples dérivations (figure 2) Figure 2. L’électrocardiogramme réalisé à l’arrivée du patient dans le service de réanimation (figure 3) Figure 3. Les critères classiques ECG de SCA ST+ sont : – sus-décalage ST de novo au point J dans ≥ 2 dérivations contiguës, incluant les V3R et V4R ; – dans les dérivations V1-V3 le sus-décalage du segment ST doit être de ≥ 2,5 mm chez les hommes de < 40 ans, ≥ 2 mm chez les hommes ≥ 40 ans ou ≥ 1,5 mm chez les femmes de tout âge ≥ 1 mm ; – dans toutes les autres dérivations, le sus-décalage du segment ST doit être de ≥ 1 mm en absence d’hypertrophie ventriculaire gauche ou bloc de branche gauche. Selon le guide de la société européenne de cardiologie, les modifications suivantes ECG sont considérées comme équivalents de ST plus, et donc nécessitant une revascularisation/reperfusion urgente : Le sus-décalage de ST de plus de 1,5 mm en AVR dans l’infarctus myocardique aigu est un indicateur d’ischémie coronarienne multi-tronculaire ou d’obstruction du tronc commun (surtout si le patient présente un choc cardiogénique) ou de l’interventriculaire antérieure. Dans l’infarctus myocardique aigu, le sus-décalage de ST en AVR est couplé d’habitude avec un sous-décalage ST de ≥ 1 mm dans ≥ des 6 dérivations (d’habitude les dérivations inféro-latérales) et plus ou moins un sus-décalage ST en V1. Le sus-décalage du ST en AVR est un facteur prédicteur indépendant d’évènement ischémique récurrent intrahospitalier, insuffisance cardiaque et mortalité. L’occlusion du tronc commun a une très haute mortalité et elle est fréquemment réfractaire à la thrombolyse (figure 4). Figure 4. Le sous-décalage ST du V1 a V3, surtout quand la phase terminale de l’onde T est positive, et le sus-décalage concomitant du segment ST ≥ 0,5 mm du V7 a V9 sont très suggestives d’une occlusion d’une artère coronarienne postérieure (fréquemment occlusion de la circonflexe) (figure 5). Figure 5. Le sus-décalage ST en V3R et V4R relève d’un infarctus aigu du ventricule droit (figure 6). Bloc de branche gauche Bloc de branche droit Rythme ventriculaire électro-entraîné Il y a aussi des modifications ECG atypiques du ST-T, comme le signe de Wellens et le signe de Winter, qui sont suggestives d’une occlusion ou sténose sévère de l’IVA proximale, mais qui sont à traiter comme un SCA ST moins. Figure 6. Signe de Winter (figure 7) Figure 7. Signe de Wellens (figure 8) Figure 8. La dérivation AVR est très importante, car elle permet de faire plusieurs diagnostics différentiels : – sus-décalage PR en AVR : lésion sous épicardique atriale dû à l’inflammation péricardique. Quand il y a un sus-décalage ST dans de multiples dérivations, l’élévation du PR en AVR est suggestive d’une péricardite et non pas de SCA ST plus ; – surdosage en antidépresseur tricyclique : onde R terminale proéminente en AVR ; prédicteur d’arythmie : R/S en AVR > 0,7 ; – tachycardie par rentrée atrioventriculaire dans le syndrome de Wolf Parkinson White : l’élévation du segment ST en AVR dans les tachycardies à complexes QRS fins est en faveur d’un faisceau accessoire ; – diagnostic différentiel de la tachycardie ventriculaire versus la tachycardie supraventriculaire à QRS larges ; les critères de Vereckei regardent que la dérivation AVR ; ils sont plus sensibles et spécifiques que les critères de Brugada ; il y a 4 questions : si la réponse est oui, alors c’est une TV… : – y a-t-il une onde R initiale ? – y a-t-il une onde r ou q d’une durée de plus de 40 ms ? – y a-t-il une encoche sur la branche descendante d’un complexe QRS négatif ? – mesurer le changement de voltage dans les premières (Vi) et dans les dernières 40 ms (Vt). Est-ce que le Vi/Vt < 1 ? Figure 9 Figure 9. EN PRATIQUE • Actuellement, selon les nouvelles recommandations, la coronarographie immédiate de routine après un arrêt cardio-respiratoire récupéré (ACR) n’est plus recommandée chez les patients stables, sans sus-décalage du segment ST persistant (ou équivalents). • Les équivalents électriques de SCA ST+ doivent être bien connus pour une prise en charge optimale de ces patients qui doivent également bénéficier d’une revascularisation/reperfusion urgente. Un sus-décalage de segment ST en AVR et/ou V1 associé à un sous-décalage de ST dans minimum 6 dérivations est un équivalent de SCA ST+ et suggère une atteinte tri tronculaire ou occlusion du tronc commun. • Les SCA ST- avec les signes de Winter ou Wellens présents sur l’ECG suggèrent une occlusion ou une subocclusion de l’interventriculaire antérieure proximale et doivent bénéficier aussi d’une coronarographie rapidement. La dérivation AVR peut être très utile pour le diagnostic différentiel de SCA ST+, péricardite, tachycardie ventriculaire versus tachycardie supraventriculaire à QRS larges, la présence ou pas d’un faisceau accessoire.

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