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Cardiologie générale

Publié le 15 nov 2005Lecture 8 min

Clinique du cœur de l'athlète

R. BRION, HIA Desgenettes, Lyon

Il existe, entre l’état d’esprit du corps médical et celui du sportif de compétition, des divergences fondamentales. Le sportif a des objectifs à court terme, est prêt à tout donner pour gagner et ce quel qu’en soit le prix au plan physique ; il est le plus souvent dans une recherche de reconnaissance médiatique. Le médecin en revanche se projette dans l’avenir dans un objectif de prévention des risques, donne priorité à la santé et à la vie ; le secret médical est inscrit dans son éthique. Il est clair que le médecin ne doit pas changer de camp, mais s’il souhaite s’occuper de sportifs, il doit englober et prendre en compte ces paramètres propres au sportif de compétition qui vont fortement influencer le contact médecin–patient.

L'ambiance de la première consultation Elle dépend de nombreux facteurs. Qui demande de l’avis du cardiologue ? La situation sera évidemment très différente selon que la demande émane de l’athlète lui-même (ou de son médecin traitant) ou du médecin du club ou de la fédération avec pour corollaire un avis sur l’aptitude. La tension atteint son paroxysme si c’est le staff technique qui souhaite un deuxième avis avant signature de contrat… Le sportif doit-il être seul ou accompagné ? Il est souhaitable, et s’il le désire, qu’un jeune sportif soit accompagné par ses parents. La présence d’un membre du staff technique est beaucoup plus discutable et nuit à la confidentialité de l’entretien. Il ne faut toutefois pas avoir d’attitude automatique et, devant la demande d’un entraîneur d’assister à la consultation, il convient d’apprécier le contexte et surtout de demander discrètement l’avis du sportif. Dans certains cas, la présence de l’entraîneur peut se révéler utile, et en particulier pour suppléer celle de parents éloignés. Avancement dans la carrière sportive Les enjeux, et donc l’abord, seront différents selon que le sujet est déjà engagé dans une carrière de haut niveau ou non, s’il a à choisir entre la poursuite d’études secondaires usuelles ou une orientation dans une filière sport-étude, s’il est en pleine ascension avec des objectifs à quelques années ou si, au contraire, il est proche d’une reconversion. Le médecin doit rester maître de l’ambiance de la consultation - Rien ne doit se faire sans sérénité. - Il faut donner à la consultation une physionomie médicale habituelle. - Rien d’efficace ne peut se faire sans établir un lien de confiance avec le sportif. - Il est indispensable de reprendre dans le calme l’ensemble des données qui sont confiées par le sportif ou son médecin en les contrôlant une à une. C’est un domaine dans lequel il ne faut pas prendre de décision hâtive (en dehors naturellement du cadre de l’urgence). Exemple d’ambiance conflictuelle Un footballeur professionnel est adressé par son club. Ce joueur a été réfuté par une équipe étrangère pour valvulopathie, mais il a été engagé sans visite médicale préalable par une équipe française. Le problème médical n’est levé qu’après signature du contrat et engagements financiers considérables. Un avis cardiologique est demandé : l’indication de remplacement valvulaire aortique pour une insuffisance aortique très évoluée est rapidement évidente…   L’interrogatoire est un temps essentiel Il faut savoir écouter : « à poser des questions, on n’obtient que des réponses »… Il faut ensuite interroger et « tout replacer dans le contexte sportif ». Les étapes de l’interrogatoire du sportif peuvent être schématisées : – descriptif précis du contexte sportif et étude des objectifs sportifs ; – recherche orientée d’antécédents familiaux et personnels médicaux ; – recherche et analyse critique des signes fonctionnels ; – intégration de ces signes dans le contexte sportif.   L’histoire sportive de l’individu   Il faut bien en connaître les principales étapes : âge du début de la pratique, évolution de la carrière sportive : clubs, compétitions, performances successives, modes d’entraînement (durée, type, effets), etc. L’anamnèse récente mettra bien en évidence l’évolution dans l’année, les mois et les semaines qui ont précédé la consultation et les évènements médicaux. Il faut valider les données qualitatives par des documents objectifs : cahiers d’entraînement, tests réalisés en laboratoire (VO2 max, etc.), tests de terrain, temps en compétition, etc. Historique de la surveillance médico-sportive effective. Il est nécessaire de colliger tous les documents médicaux, les comptes-rendus d’examens, etc. À l’issue de cette phase, il doit être possible de situer les événements médicaux dans le déroulement de l’histoire sportive.   La recherche des antécédents est un temps primordial   Antécédents familiaux La plupart des affections pouvant être à l’origine des morts subites de l’adolescent et de l’adulte jeune sont de cause génétique. Existe-t-il des antécédents de mort subite ou de cardiopathie chez des parents jeunes ? Certains de ces antécédents familiaux justifient à eux seuls un bilan complémentaire, même chez un sujet totalement asymptomatique.   Antécédents personnels D’éventuelles manifestations antérieures ont-elles été recensées ? Des examens complémentaires pouvant servir de référence (ECG…) ont-il déjà été réalisés ? Exemple : Denise 25 ans, pratique la course à pied Son frère de 20 ans présente une mort subite au cours d’un exercice physique. À l’autopsie, le diagnostic de dysplasie arythmogène du ventricule droit est retenu. Dix ans auparavant, sa mère avait présenté un arrêt cardiaque inexpliqué à l’âge de 35 ans et était décédée après un coma prolongé. Tous les documents médicaux concernant cet épisode ont été détruits dans un incendie des archives du CHU et aucun ECG de la mère n’est disponible. Malgré l’absence de signes fonctionnels, Denise bénéficie d’un bilan cardiologique à la recherche d’une DVDA dont la négativité permet d’autoriser le sport sans limitation, mais une surveillance cardiologique annuelle est instaurée.   La recherche d’habitudes toxiques : dopage ? La discrétion est habituellement de mise et il est le plus souvent impossible de savoir si le sportif que vous examinez se dope : la plupart du temps, il affirmera le contraire…   Les signes fonctionnels classiques   La dyspnée Elle doit être précisée Existe-t-il un essoufflement systématique ou occasionnel, cédant à la diminution de l’effort ou se poursuivant après l’arrêt ce celui-ci ? Y-a-t-il sensation de blocage thoracique (blockpnée) associée à des manifestations respiratoires (sibilances) ? Niveau d’apparition et performances habituelles Une dyspnée apparaissant pour un niveau d’effort supérieur au niveau habituel ou une dyspnée d’effort après rupture d’entraînement sont probablement physiologiques. Quelle origine ? La dyspnée peut avoir plusieurs origines : – causes cardiologiques (dysfonction VG, trouble du rythme, ischémie myocardique…) ; – causes respiratoires (broncho-pulmonaire : asthme d’effort, infection broncho-pulmonaire, pneumothorax…).   Douleur thoracique Si elle est souvent banalement d’origine pariétale, elle peut également accompagner un trouble du rythme ou être le témoin d’une ischémie, aussi on ne la banalisera jamais sans preuve. Particulièrement, il ne faut jamais négliger une douleur qui survient à l’effort (thorax, abdomen, membres supérieurs, dorsale, etc.). La coronaropathie du sujet entraîné peut prendre des masques cliniques trompeurs : angor très atténué ou absent. Exemple : Michel, 38 ans, guide de haute montagne très entraîné Celui-ci ne présente aucun antécédent ni facteur de risque. Depuis 2 mois, il ressent des brûlures rétrosternales légères, uniquement le matin au froid, en début d’échauffement, cédant après quelques minutes d’effort. La veille de la consultation, il réalise 800 m de dénivelé en 50 minutes. Les bilans de l’examen clinique, de l’ECG, de l’échocardiographie et de la biologie sont normaux. L’épreuve d’effort est litigieuse. Une coronarographie est réalisée (figure 1) et montre une sténose très serrée et longue sur l’IVA moyenne. Figure 1. Michel, 38 ans, guide de haute montagne très entraîné : peu de manifestations cliniques, performances conservées d’excellent niveau. Coronarographie : sténose serrée et longue sur l’IVA moyenne non levée par molsidomine. Palpitations Chez un sportif, elles correspondent effectivement le plus souvent à un trouble du rythme. L’analyse peut donner des indications importantes sur leur signification : – la fréquence : chronologie par rapport à l’effort, association à une lipothymie, modification concomitante de la performance, etc. ; – le contexte : surentraînement, fatigue, type d’exercice déclenchant etc. La mise en évidence d’un trouble du rythme chez un sportif peut être difficile et faire appel à des examens de provocation en laboratoire mais aussi des enregistrements au cours d’entraînements dans les conditions déclenchantes. Auparavant, il est fondamental de s’être assuré de l’absence de pathologie cardiaque.   Lipothymies et syncopes Les syncopes vasovagales sont assez rares chez les sujets bien entraînés. Dans cette population, il faut bien étudier le mode de survenue des malaises et les interpréter dans le contexte général : surmenage, anxiété, surentraînement, modifications de l’entraînement, etc. Devant une lipothymie ou une syncope chez un sportif, s’il existe la moindre suspicion autre qu’une cause vasovagale, il convient de suspendre l’entraînement et de réaliser un bilan cardiovasculaire. Exemple : Bernard, 28 ans, cycliste Depuis quelques semaines, il se plaint de sensations de palpitations avec malaise lors d’entraînements soutenus, l’obligeant à arrêter l’effort. Une normalisation s’opère en quelques minutes mais il y a récidives à l’effort. Le tracé en cours d’épreuve d’effort montre une tachycardie ventriculaire cédant rapidement à l’arrêt de l’effort (figure 2). Figure 2. Bernard, cycliste, 28 ans : palpitations et lipothymie au cours d’entraînements. Les manifestations atypiques Chez le sportif, la symptomatologie peut être atypique et l’on se méfiera de tous les événements qui surviennent de façon itérative à l’effort (douleurs curieuses, signes neurologiques divers, etc.). Exemple : Paul, 28 ans, basketteur professionnel présente des phosphènes au cours d’efforts intenses À l’épreuve d’effort, on note une extrasystolie monomorphe augmentant avec l’effort. Le Holter de 24 heures pendant un entraînement montre une tachycardie ventriculaire soutenue à l’acmé de l’effort (figure 3). Figure 3. Paul, basketteur, 28 ans : « mouches volantes » pendant l’effort, Holter avec enregistrement d’un entraînement et tachycardie ventriculaire soutenue pendant l’effort. Les manifestations spécifiques Gêne brutale en plein effort avec sensation de « jambes coupées » : ce signe peut être provoqué par une tachycardie ventriculaire. Symptomatologie du cardiofréquencemètre : le seul signe est l’accélération inadaptée de la fréquence cardiaque enregistrée sur le cardiofréquencemètre, la tachycardie n’étant pas perçue par le sportif pendant l’effort. Ce « symptôme » est de plus en plus souvent à l’origine de consultations.   L’examen clinique Les pathologies cardiaques à l’origine de morts subites chez les jeunes sportifs sont par nature difficiles à détecter. L’examen clinique au cours de ces pathologies est souvent pauvre ou normal. Il faudra prêter une attention particulière à l’auscultation cardiaque.   Souffles cardiaques Les souffles systoliques sont souvent anorganiques chez le sportif. Mais ils peuvent également témoigner d’une cardiomyopathie hypertrophique (CMH), d’un rétrécissement aortique, d’une insuffisance mitrale, etc. Les souffles diastoliques sont toujours organiques. Un souffle régurgitant d’insuffisance aortique, même peu intense, fera systématiquement rechercher une dilatation anévrismale de l’aorte thoracique.   Athérome Un contexte de facteurs de risque fera rechercher des signes cliniques en faveur d’un athérome périphérique. Une hypertension artérielle devra être confirmée, surveillée et éventuellement traitée selon son importance et le contexte. Elle doit faire évoquer, chez un sujet jeune sans antécédents, une très éventuelle cause primaire, mais aussi la prise de substances dopantes (anabolisants, cortisone, etc.).   En pratique   L’interrogatoire du sportif est un temps capital particulièrement chronophage. Ce temps passé à interroger est un préalable indispensable avant d’indiquer et d’interpréter les examens complémentaires. C’est aussi le temps de la mise en confiance. Si vous êtes d’un tempérament impatient, si vous ne supportez pas les frustrations, si vous attendez de la reconnaissance de la part de vos patients, si vous n’aimez pas les romans policiers… et que votre objectif est la rentabilité, alors, sans hésiter, confiez le cœur des sportifs à un correspondant !

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