Publié le 01 juin 2022Lecture 8 min
Thrombus intraventriculaire gauche : pronostic et prise en charge thérapeutique
Audrey CAILLIAU1, Thiziri SI MOUSSI2, Jean-Guillaume DILLINGER3*
La découverte d’un thrombus intraventriculaire gauche (intra-VG) est souvent le reflet d’une cardiopathie sévère et nécessite une prise en charge thérapeutique adaptée qui n’est parfois pas simple notamment en post-infarctus. L’objectif de cet article et de faire une mise au point sur le pronostic du thrombus intra-VG et les options thérapeutiques possibles pour sa prise en charge.
• Pronostic du thrombus intra-VG
La présence d’un thrombus intra-VG est globalement associée à un mauvais pronostic à court et à long terme pour les patients. Elle augmente de manière conséquente le risque de mortalité et de morbidité, notamment la survenue d’une complication thrombo-embolique artérielle, principalement l’accident vasculaire cérébral (AVC). Sa présence est également le reflet de la sévérité de la cardiopathie sous-jacente et de la dysfonction ventriculaire gauche. Dans les cardiopathies ischémiques, la survenue des complications emboliques semble être plus fréquente dans les 3 mois suivant un infarctus du myocarde (IDM). L’incidence des complications cardio-emboliques reste importante chez les patients présentant un thrombus intra-VG (traité ou non), allant de 13 % à 29 %(1,2). Dans ces études, plus de la moitié des complications emboliques survenaient en l’absence de traitement anticoagulant. En effet, la découverte d’un thrombus intra-VG est souvent consécutive au bilan étiologique d’un AVC.
Concernant le risque embolique, plusieurs facteurs prédictifs ont été isolés et sont présentés dans le tableau 1. En l’absence de traitement anticoagulant, les caractéristiques évoquant plutôt un thrombus récent semblent constituer des facteurs prédictifs d’embolisation : le caractère mobile, pédiculé et protrusif du thrombus qui suggère son caractère récent ainsi que la présence de thrombi multiples. À l’inverse, les caractéristiques évoquant un thrombus plutôt ancien : thrombus plan, immobile, organisé, calcifié ou de petite taille, semblent suggérer un plus faible risque embolique.
Sous traitement anticoagulant, les facteurs prédictifs identifiés de risque embolique sont l’existence d’un antécédent d’AVC et le sexe féminin qui pourrait, d’après les auteurs de l’étude, s’expliquer par une activité accrue du CYP3A4 chez les femmes qui augmenterait la clairance de la warfarine par rapport aux hommes(2). De plus, des différences dans le statut hormonal (ménopause) sont connues pour influencer la thrombogénicité, bien que le sexe féminin n’ait jamais été isolé comme facteur de risque de développement de thrombus intra-VG par rapport au sexe masculin.
• Traitement antithrombotique du thrombus intra-VG
L’objectif du traitement anti-thrombotique est double : d’une part, prévenir les accidents cérébraux vasculaires emboliques et les embolies systémiques (ischémie aiguë de membre, embolisation rénale ou splénique...), et d’autre part, obtenir la résolution complète du thrombus. La prise en charge thérapeutique repose sur le traitement anticoagulant curatif, mais reste encore assez empirique que ce soit pour le choix de la molécule anticoagulante ou pour la durée de l’anticoagulation. Les données scientifiques récentes commencent à nous éclairer sur la meilleure prise en charge.
Recommandations
Dans le post-infarctus, les recommandations de l’ESC 2017 ou de l’ACC/AHA 2013 préconisent la mise en place ou la poursuite d’un traitement anticoagulant pour une durée de 3 à 6 mois guidé par la répétition des imageries cardiaques (IIa, C) sans mention du choix entre les antivitamines K (AVK) et les anticoagulants oraux directs (AOD). Les dernières recommandations ESC 2021 sur l’insuffisance cardiaque, préconise la mise en place d’un traitement anticoagulant (IIa, C) chez les patients avec un thrombus intra-VG visible ou à haut risque thrombotique (antécédent d’embolie périphérique, patients avec non-compaction, patients avec cardiomyopathie du péri-partum...). Aucune mention n’est faite sur le choix du traitement anticoagulant ni sa durée. Les recommandations actuelles illustrent donc bien le manque de données prospectives solides.
Traitement anticoagulant par AVK ou AOD
Le traitement historique du thrombus intra-VG repose sur l’utilisation d’une anticoagulation par AVK (warfarine) avec un objectif d’INR entre 2 et 3 même s’il faut rappeler qu’aucune étude randomisée n’a validé cette stratégie. En pratique, l’obtention rapide d’un INR stable en zone thérapeutique et le risque hémorragique du triple traitement antithrombotique en cas d’angioplastie primaire restent des difficultés pour le cardiologue. Une alternative possible est l’utilisation des héparines de bas poids moléculaire (HBPM) le premier mois post-infarctus. Leur action fibrinolytique et leur efficacité anticoagulante stable sont en effet intéressantes lors de la découverte d’un thrombus intra-VG après un infarctus du myocarde. Plus récemment, l’emploi des AOD dans le traitement anti-thrombotique de la fibrillation auriculaire a montré sa supériorité sur la balance bénéfice-risque par rapport aux AVK. Les données des études lors d’une angioplastie ou d’un syndrome coronaire aigu (études PIONEER AF-PCI, REDUAL-PCI, AUGUS- TUS) ont confirmé ces résultats avec une meilleure tolérance sur les hémorragies des AOD. Il est, dès lors, tentant d’extrapoler et d’utiliser ces molécules comme traitement anticoagulant du thrombus intra-VG. Plusieurs études ont comparé de manière rétrospective l’utilisation des AOD vs AVK dans cette indication. L’étude la plus large(3), incluant 514 patients, certes rétrospective, a montré un taux plus élevé d’événements emboliques sous AODS vs AVK (hazard ratio = 2,64 ; IC95% : 1,22-3,72 ; p = 0,01). D’autres études ont montré l’absence de différence ou parfois même un bénéfice (notamment sur les saignements) des AOD par rapport aux AVK. Récemment, plusieurs méta-analyses incluant l’ensemble de ces études ont montré l’absence de différence des deux stratégies sur la résolution du thrombus intra-VG, sur les événements ischémiques et hémorragiques(4). Si les AOD semblent donc une alternative intéressante aux AVK notamment pour réduire les saignements, le choix de la molécule la plus adaptée et sa dose restent mal connus, car non évalués. Il faut bien rappeler que contrairement à la fibrillation auriculaire où le traitement anticoagulant est très souvent prescrit en prévention d’un éventuel thrombus, ici, le thrombus intra-VG est toujours présent et le but de l’anticoagulation est d’obtenir sa résolution le plus rapidement possible. Il faut donc utiliser une anticoagulation efficace et les faibles doses (rivaroxaban 15 mg ou apixaban 2,5 mg x 2) ne sont probablement pas les plus adaptées même si elles diminuent le risque hémorragique. Rappelons aussi que dans la maladie thromboembolique veineuse (MTEV), en présence d’un thrombus, les doses d’AOD sont majorées la première semaine avec l’apixaban ou les trois premières semaines avec le rivaroxaban. Bien évidemment, les patients ne sont pas les mêmes et ne se posent pas ou peu dans la MTEV, la problématique de la gestion des antiagrégants plaquettaires. Quelques études prospectives ont comparé AOD vs AVK dans le traitement du thrombus intra-VG. En 2021, une première étude randomisée a comparé chez 35 patients en post-IDM immédiat, un traitement par apixaban 5 mg 2 fois/jour par rapport aux AVK et a montré une résolution identique du thrombus (94 % vs 93 %). Une autre étude randomisée prospective sur 79 patients (rivaroxaban 20 mg vs warfarine) a montré une résolution plus rapide du thrombus intra-VG sous rivaroxaban. Le taux de régression était similaire à 6 mois dans les deux groupes (87 % vs 80 %). Un PHRC français, l’étude prospective ARGONAUT, va prochainement commencer et comparer chez 340 patients avec thrombus intra-VG, une stratégie par AVK vs AOD. L’ensemble de ces études permettront, on l’espère, de confirmer l’efficacité équivalente des AOD et des AVK. Nous proposons ci-après un algorithme du traitement anti-coagulant du thrombus intra-VG prenant en compte l’état actuel de la littérature (figure 1).
Durée du traitement anticoagulant
La durée recommandée du traitement anticoagulant est de minimum de 3 à 6 mois pour obtenir la résolution du thrombus intra-VG. En revanche, aucune étude randomisée n’a comparé l’arrêt versus la poursuite du traitement anticoagulant après cette période chez ces patients. La question qui se pose donc : « Faut-il ou non poursuivre le traitement anticoagulant après 6 mois ? » Les études ont montré que chez les patients avec thrombus intra-VG, la poursuite du traitement anticoagulant (après régression ou non du thrombus) est associée à un moindre risque d’événements ischémiques, mais à un risque hémorragique plus élevé. Par ailleurs, il faut rappeler que la disparition thrombus intra-VG ne signifie pas disparition du risque thrombo-embolique chez ces patients. Voici les critères de risque thrombo-embolique retrouvés dans la littérature en faveur de la poursuite du traitement anticoagulant (tableau 2).
La poursuite du traitement anticoagulant doit donc être envisagée chez tous les patients avec persistance ou récidive du thrombus intra-VG et chez un certain nombre à haut risque d’événements thrombo-emboliques. Enfin, il faut rappeler que le traitement anticoagulant est un traitement efficace pour la pathologie athéromateuse comme dans l’étude COMPASS qui a montré le bénéfice du rivaroxaban sur les AVC ischémiques chez les patients coronariens ou artéritiques. La poursuite du traitement anticoagulant majore le risque hémorragique et le traitement doit donc être réévalué régulièr ment au cours du suivi du patient. À l’inverse, un arrêt de l’anticoagulation peut être envisagé après régression complète du thrombus, et en cas de normalisation de la fraction d’éjection VG ou de troubles de la cinétique limités, et en l’absence d’antécédent thromboembolique. Cette décision reste encore à adapter au cas par cas. La figure 1 propose un algorithme décisionnel pour la durée du traitement anticoagulant.
Traitement anticoagulant prophylactique
À ce jour, aucune étude n’a montré un bénéfice du traitement anticoagulant pour prévenir la formation du thrombus. En post-infarctus (notamment dans les infarctus du myocarde antérieur), plusieurs études ont été réalisées et n’ont pas montré de bénéfice d’une anticoagulation prophylactique pour prévenir la formation du thrombus intra-VG qui en revanche majore le risque hémorragique notamment du fait de l’association avec la double anti-agrégation plaquettaire. Dans l’insuffisance cardiaque, l’étude randomisée COMMANDER-HF chez des patients avec une FEVG ≤ 40 %, mais sans fibrillation auriculaire a évalué l’ajout du rivaroxaban 2,5 mg deux fois par jour en plus du traitement habituel. Il n’y a pas eu de bénéfice sur le critère primaire ischémique et sur les AVC ischémiques de l’ajout du rivaroxaban. Actuellement, l’étude française APERITIF évalue en post-infarctus l’intérêt d’une faible dose de rivaroxaban (2,5 mg x 2/j) dans le premier mois d’un infarctus du myocarde antérieur sur l’apparition d’un thrombus VG à l’IRM à un mois. Pour l’instant, il n’y a donc pas de place pour un traitement prophylactique systématique pour prévenir l’apparition du thrombus VG. Dans certains cas plus spécifiques, compte tenu du risque embolique très élevé, une anticoagulation peut être discutée au cas par cas (dysfonction VG très sévère, contraste spo tané important, non-compaction VG, cardiomyopathie du péripartum ou le risque thrombotique est majorée durant la grossesse et le post-partum).
* 1. Département de cardiologie, CHU Bichat-Claude-Bernard, AP-HP, Université de Paris
2. Service de cardiologie, CHU FÉlix Guyon, Ile de La Réunion
3. Département de cardiologie, CREATIF, hôpital Lariboisière, AP-HP, Université de Paris (www.cardiolarib.com ; http://creatif-cac.fr/)
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