Publié le 11 oct 2005Lecture 7 min
En dehors de l'urgence : quand confier l'aorte thoracique au chirurgien ?
A. VAHANIAN, hôpital Bichat, Paris
La prise en charge de la pathologie de l’aorte ascendante est devenue un sujet de préoccupation de plus en plus important pour les cardiologues, en raison des implications diagnostiques et pronostiques de l’augmentation de la fréquence des étiologies dégénératives qui sont, dans l’étude Euro Heart Survey, responsables de 60 % des insuffisances aortiques, loin devant le rhumatisme articulaire et l’endocardite.
Nos connaissances actuelles de l’histoire naturelle concernent essentiellement le syndrome de Marfan, dont la mortalité et la morbidité ont significativement diminué grâce à une prise en charge plus précoce. Néanmoins, le pronostic reste péjoratif et l’espérance de vie moyenne < 50 ans.
Les facteurs de risque de survenue d’une dissection aortique sont mieux identifiés :
• antécédents familiaux,
• diamètre de l’aorte ascendante > 50 mm
• rapport diamètre observé/diamètre théorique (en fonction de l’âge et de la surface corporelle) > 1,3,
• progression de la dilatation de l’aorte ascendante de plus de 5 % par an.
Les preuves s’accumulent aussi pour dire que les patients porteurs d’une valve aortique bicuspide ont un risque de complication au niveau de l’aorte ascendante beaucoup plus important qu’en cas de valve tricuspide (figure 1 A et B). Mais les seuils n’ont pas été déterminés avec la même précision que dans le cadre du syndrome de Marfan. Les données dont nous disposons pour les autres étiologies des anévrismes de l’aorte ascendante, qui sont les plus fréquentes, sont encore plus limitées (figure 2).
Figure 1 A. Association bicuspidie aortique et anomalies de la paroi aortique. Comparaison de la dimension de l’aorte chez les patients avec valves bicuspides versus tricuspides.
Figure 1 B. Association bicuspidie aortique et anomalies de la paroi aortique (pointillés). Nécessité d’une réopération après remplacement de valve.
Figure 2. Étiologies des anévrismes de l’aorte ascendante.
Enfin, l’expérience acquise après remplacement valvulaire aortique a clairement mis en évidence un risque accru de dissection secondaire en cas de remplacement valvulaire isolé chez les patients avec dilatation de l’aorte ascendante incluant les sinus de Valsalva.
Thérapeutiques disponibles
Les techniques chirurgicales se résument essentiellement au remplacement de l’aorte sus-coronaire ou au remplacement total de l’aorte ascendante avec remplacement (technique de Bentall ou de Cabrol [figure 3]), ou conservation valvulaire (technique de Yacoub ou de Tyrone-David) (figure 4). Le remplacement de l’aorte ascendante avec remplacement valvulaire donne de bons résultats à moyen et long terme si les patients sont opérés en dehors de l’urgence (figure 5). Les résultats de la chirurgie conservatrice sont satisfaisants à court et moyen termes (figure 6). Cette chirurgie évite la morbi-mortalité liée à la présence d’une prothèse valvulaire, mais nous manquons de données à long terme et les résultats sont beaucoup plus dépendants de l’opérateur que lors du remplacement valvulaire.
Figure 3. Résultats de la chirurgie. Remplacement de l’aorte ascendante avec réimplantation des artères coronaires.
Figure 4. Résultats de la chirurgie de remplacement de l’aorte ascendante avec conservation valvulaire.
Figure 5. Résultats de la chirurgie : survie en fonction du degré d’urgence de l’intervention.
Figure 6. Résultats de la chirurgie de remplacement de l’aorte ascendante avec conservation valvulaire. Intervention chez des patients asymptomatiques.
Le traitement bêtabloquant, qui ralentit la progression du diamètre de la racine aortique et réduit la survenue de complications pariétales dans le cadre du syndrome de Marfan, est le seul traitement médical qui ait fait la preuve de son efficacité dans ce contexte.
Bilan
- En tenant compte de toutes ces données, l’évaluation du patient doit commencer par un examen clinique recherchant des stigmates, même frustes, de maladie de Marfan (figure 7).
Figure 7. Examen clinique de Marfan.
- L’échographie est le maître examen et doit comporter une mesure soigneuse des diamètres aortiques à plusieurs niveaux (figures 8, 9 et 10). L’échographie recherchera aussi l’existence d’une complication et enfin appréciera l’état valvulaire : nombre de valves, texture du tissu, importance d’une régurgitation associée. Il est logique d’indexer systématiquement les diamètres aortiques à la surface corporelle, en particulier chez les femmes de petite taille (figure 11).
Figure 8. Analyse de l’aorte ascendante ETT-ETO.
Figure 9. Mesures de l’aorte ascendante (ETO).
Figure 10. Analyse de l’anatomie valvulaire.
Figure 11. Diamètre de l’aorte en fonction de l’âge et de la surface corporelle. Implications pronostiques (Marfan).
- Les autres méthodes non invasives sont le scanner et l’IRM qui donnent des informations quantitatives et qualitatives sur l’anévrisme ou l’existence d’une complication au niveau des différents segments de l’aorte (figure 12).
Figure 12. Analyse de l’aorte ascendante. Autres techniques non invasives.
- Enfin, l’aortographie n’a quasiment plus de place aujourd’hui puisque les méthodes non invasives donnent une meilleure appréciation de l’aorte ascendante et des valves.
En dehors de l’urgence, les interventions sur un anévrisme de l’aorte ascendante sont à visée prophylactique pour éviter une complication pariétale aortique et la progression de l’insuffisance aortique.
Recommandations
Les indications
Les recommandations nord-américaines, publiées en 1998, conseillent un remplacement valvulaire aortique et un remplacement de l’aorte ascendante, quelle que soit l’importance de l’insuffisance aortique, lorsque le diamètre de l’aorte ascendante est Ž 50 mm.
Les recommandations du groupe de travail de la Société européenne de cardiologie, publiées en 2002, sont plus nuancées et recommandent une intervention lorsque la dilatation de l’aorte ascendante est > 55 mm quel que soit le degré d’insuffisance aortique. Dans le cas du syndrome de Marfan ou des bicuspidies, le seuil est abaissé à 50 mm.
Enfin, dans les autres étiologies, le seuil pour la chirurgie est situé entre 50 et 55 mm, et doit tenir compte des constatations opératoires : type de dilatation, épaisseur pariétale aortique et état du reste de l’aorte (figure 13). Cette dernière condition souligne la nécessité d’une évaluation médico-chirurgicale et aussi l’importance de l’expérience chirurgicale.
Figure 13. Risque de rupture en fonction de la localisation de l’anévrisme.
Dans les très récentes recommandations de la Société française de cardiologie sur l’insuffisance aortique chronique, il y a indication « formelle » pour une chirurgie si la dilatation de l’aorte ascendante dépasse 55 mm. Les indications sont « admises » dans le syndrome de Marfan ou la bicuspidie, si les diamètres de l’aorte dépassent 50 mm, en particulier s’il y a une progression rapide de ces diamètres au cours du suivi ou des antécédents familiaux de dissection aortique. Enfin, les indications sont discutées dans le syndrome de Marfan ou la bicuspidie lorsque le diamètre aortique est compris entre 45 et 50 mm. Il faut alors tenir compte des possibilités de chirurgie conservatrice, de la notion d’évolutivité du diamètre de l’aorte, de l’âge du patient et de sa stature.
Le choix de la technique chirurgicale
Le type de chirurgie au niveau des valves aortiques n’est pas codifié dans les recommandations actuelles. Le choix entre remplacement valvulaire et conservation valvulaire tient compte de variables liées au patient : état anatomique des valves, des sinus de Valsalva, âge et espérance de vie, risque du traitement anticoagulant, et aussi de l’expérience du chirurgien. Une chirurgie conservatrice n’est pas recommandée en cas de dilatation importante de l’aorte ascendante, d’altération importante du tissu valvulaire avec zone de non-coaptation étendue, ou si l’insuffisance aortique est importante. Pour de nombreux auteurs, la bicuspidie aortique reste une contre-indication, au moins relative à la conservation valvulaire.
Le traitement médical
Toutes les recommandations sont en faveur d’un traitement bêtabloquant chez les patients porteurs d’un syndrome de Marfan avec dilatation aortique Ce traitement doit être poursuivi à vie après la chirurgie. Certains conseillent aussi ce traitement dans les bicuspidies mais son efficacité n’a pas été prouvée.
Une surveillance est nécessaire
Lorsqu’un patient n’a pas atteint le seuil requis pour l’intervention, une surveillance clinique et échocardiographique annuelle est recommandée.
Enfin, les femmes atteintes du syndrome de Marfan sont exposées à un risque de dissection dès que le diamètre de la racine aortique > 40 mm. La grossesse est alors déconseillée, une surveillance clinique et échographique étroite est impérative, en association au traitement bêtabloquant.
Ces recommandations concernent surtout les patients avec une insuffisance aortique ; en effet les anévrismes de l’aorte ascendante sont peu fréquents dans les sténoses aortiques et justifient rarement un traitement spécifique qui sera alors le plus souvent un remplacement de l’aorte sus-coronaire.
Au total
Les indications de chirurgie de l’aorte ascendante reposent sur une évaluation préopératoire précise dans laquelle l’échographie a la première place. C’est à partir des constations morphologiques et des données cliniques que les date et mode de la chirurgie seront fixées.
Beaucoup a été fait mais beaucoup reste à faire pour mieux cibler, grâce à des études génétiques, les caractéristiques des patients atteints du syndrome de Marfan :
- explorer plus précisément les frontières nosologiques entre les Marfan et les non-Marfan ;
- améliorer la stratification du risque dans les non-Marfan ;
- poursuivre l’évaluation des techniques de conservation valvulaire aortique en prenant modèle sur ce qui a été fait pour la conservation valvulaire mitrale, c’est-à-dire standardiser l’analyse échographique initiale pour mieux codifier les indications chirurgicales et enfin évaluer les résultats à long terme.
Si ces techniques tiennent leurs promesses, il sera possible de poser des indications opératoires plus précoces.
Enfin le traitement médical bénéficiera peut-être dans le futur de la mise au point de nouvelles molécules tels les inhibiteurs des métalloprotéases.
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