Publié le 31 mai 2010Lecture 5 min
Il y a une place pour les traitements anti-ischémiques à côté de l’angioplastie
Un entretien avec Jean-Louis BONNET, Hôpital La Timone, Marseille
Cath’Lab : Vous dirigez un service spécialisé dans la prise en charge de la maladie coronaire, et vous êtes également cardiologue interventionnel. Quelle prise en charge recommandez-vous pour les patients coronariens stables ?
Jean-Louis Bonnet : En tant qu’angioplasticien, cela peut sembler étonnant, mais je pense qu’il y a une place pour les traitements anti-ischémiques dans le traitement de la maladie coronaire, à côté des traitements de prévention secondaire – IEC, statines et aspirine –, et de la revascularisation.
Dans l’angor stable, il est tout d’abord prudent et logique de pratiquer une coronarographie, ne serait-ce que pour faire l’état des lieux. Ensuite, et bien que l’étude COURAGE ait montré que la revascularisation chez les patients coronariens stables n’a pas d’intérêt en termes de pronostic, une angioplastie à visée symptomatique sera généralement pratiquée si la lésion semble accessible, selon l’expérience de chaque angioplasticien, et si le patient peut a priori bien tolérer le traitement antiagrégant au long cours.
Toutefois, il persiste un nombre non négligeable de patients pour lesquels la revascularisation n’est pas possible : sténoses coronaires distales, lésions multitronculaires, vaisseaux étroits… Chez ces patients, les traitements antiischémiques ont pour objectif de limiter la gêne fonctionnelle, qui se présente sous forme de crises d’angor typiques ou parfois de simple limitation à l’effort, mais qui retentit toujours sur la qualité de vie.
Cath’Lab : Quelle est alors votre démarche thérapeutique ?
JLB : Dans l’angor d’effort, le premier objectif d’un traitement anti-ischémique est de réduire la fréquence cardiaque à l’effort. C’est la raison pour laquelle les bêtabloquants ont été proposés en première intention. Cependant, ils sont fréquemment mal tolérés (asthénie, dysérection), ce qui ne permet pas toujours d’atteindre la fréquence cardiaque cible de 50-60 bpm, et de plus, ils ont des effets délétères athérogènes, diabétogènes et vasoconstricteurs.
Ces effets inacceptables ont ouvert la voie aux anticalciques bradycardisants, mais ces derniers ont aussi des effets indésirables, avec des oedèmes périphériques particulièrement mal tolérés dans les climats chauds. La seule indication incontournable des bêtabloquants dans l’angor stable est le postinfarctus et, probablement, l’existence de troubles du rythme cardiaque. Mises à part ces situations particulières, l’ivabradine est pour moi un traitement antiangineux que l’on peut proposer en première intention, avec l’objectif de réduire la fréquence cardiaque à une valeur voisine de 60 bpm au repos, qui se traduit également par une réduction de la fréquence cardiaque à l’effort et une amélioration fonctionnelle significative, qui ont bien été mises en évidence par les études de Tardif.
Cath’Lab : Quelles surveillance ou précautions nécessite le traitement par ivabradine ?
JLB : La posologie de 7,5 mg matin et soir est le plus souvent justifiée et très bien tolérée dans la majorité des cas. Il est cependant conseillé de débuter par 5 mg matin et soir et d’augmenter la dose 15 jours plus tard après contrôle de la fréquence cardiaque. Il est, par ailleurs, important d’informer le médecin référent de l’intérêt de surveiller régulièrement la fréquence cardiaque.
Chez les patients qui ne tolèrent pas les bêtabloquants et n’ont pas d’indication formelle à leur prescription, je propose un relais par ivabradine à la dose optimale d’emblée. Chez les patients qui présentent un angor malgré un traitement bêtabloquant bien conduit, une fréquence cardiaque voisine de 60 bpm n’interdit pas l’adjonction d’ivabradine.
Il a été démontré que son effet bradycardisant est d’autant plus marqué que la fréquence cardiaque de référence est élevée et inversement. Je propose par précaution d’associer, à l’évaluation de la fréquence cardiaque au repos, une évaluation à l’effort sur tapis roulant ou bicyclette, de débuter par une posologie de 5 mg deux fois par jour, et de renouveler le contrôle de la fréquence cardiaque au repos et à l’effort 15 jours plus tard. Dans cette situation, une réduction modeste de la fréquence de repos est souvent associée à une amélioration fonctionnelle significative qui peut être confirmée par l’évaluation ergométrique.
Cath’Lab : Quelle est votre réaction aux nouvelles analyses de l’étude BEAUTIFUL ?
JLB : L’étude BEAUTIFUL suggère un bénéfice de l’ivabradine sur le pronostic de la maladie coronaire. Chez des patients insuffisants cardiaques (> 80 % en classe NYHA II/III) et coronariens dont la fréquence cardiaque de repos est ‡ 70 bpm, l’ivabradine réduirait le risque de survenue d’un infarctus à moyen terme. La dernière analyse post-hoc de cette étude permet d’envisager un bénéfice plus marqué chez les patients ischémiques non insuffisants cardiaques. En effet, elle porte sur un sous-groupe de 1 500 patients décrivant un angor limitant équivalent aux stades II ou III de la CCSA. Leur pronostic dépendait essentiellement de l’évolutivité de la maladie coronaire et l’ivabradine a permis une réduction significative du nombre d’infarctus du myocarde, encore plus marquée chez ceux dont la fréquence cardiaque était ‡ ≥ 70 bpm (figure).
Nous attendons avec impatience les résultats de l’étude SIGNIFY qui s’intéresse spécifiquement à cette population (coronariens sans insuffisance cardiaque) et qui pourrait pour la première fois démontrer que l’ivabradine non seulement améliore le pronostic fonctionnel de la maladie coronaire, ce qui est déjà démontré, mais aussi peut-être le pronostic vital.
Figure. Résultats de l’analyse post-hoc de l’étude BEAUTIFUL sur les événements coronaires dans le sous-groupe des patients souffrant d’angor limitant.
Propos recueillis par E. Millara
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