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Cardiologie générale

Publié le 14 sep 2013Lecture 6 min

Prise en charge d’un cardiaque « hostile »

H. HOOREMANa, K. LAHLOU LAFORÊTb a.Centre hospitalier d’Argenteuil. b.Psychiatre, HEGP

Une matinée de consultations n’est pas toujours « un long fleuve tranquille »… 
Un patient adressé récemment en vue d’une réadaptation nous a quelque peu « interpellés » avec une prise en charge assez « combative » ; le contexte était très brièvement le suivant : homme de 55 ans, informaticien, marié, 4 grands enfants, terrain artéritique connu sur tabagisme encore actif, et finalement malheureuse constitution d’un infarctus antérieur vu relativement tardivement ; angioplastie de sauvetage d’une IVA, fraction d’éjection initiale proche de 25 %. Sortie autorisée avec un traitement conventionnel par bêtabloquants, IEC, statine, double traitement antiplaquettaire… et conseils pressants de bénéficier d’une prise en charge en réadaptation ambulatoire.  

Le premier contact nous amène à évoquer le tabac : « Il faudrait déjà que les tabacologues se mettent d’accord entre eux »… On tente alors de s’enquérir du niveau d’activité physique antérieur : « Je n’ai pas un jardin qui me permette de marcher 1/2 h par jour »…  Nouvelle tentative d’approche en enquêtant sur le passé sportif : « De toute façon, comment voulez-vous que je refasse du sport avec une tension à 11 ? » On dévie alors sur les médicaments et leur tolérance : « Je vous préviens tout de suite ; je sais que bêtabloquant s et sexualité c’est zéro, et je préfère vous le dire, je vais les arrêter. »  Il nous a paru utile de prendre rétrospectivement l’avis d’un médecin psychiatre en revoyant ce dossier.   H. HOOREMAN - Le terme de cardiaque "hostile" est-il approprié à ce type de patient ? K. LAHLOU LAFORÊT - Certainement. Le terme « hostilité » cache en réalité un concept de « lutte ». Le patient est en lutte d’abord contre le temps : il vit à 100 à l’heure, est toujours pressé et impatient. Il ne supporte pas les temps morts, ni le moindre retard. C’était l’une des caractéristiques de ce que l’on appelait les personnalités de type A. Le patient hostile lutte aussi contre les autres avec un esprit de compétitivité associé à une notion de méfiance : il n’attend rien des autres et ne croit pas qu’on puisse l’aider. Indépendamment du comportement ponctuel de ce patient lors de votre consultation, il faut savoir que l’« hostilité » joue un rôle néfaste au long cours, avec incontestablement, de nombreux travaux en attestent, une plus grande fréquence de maladies cardiovasculaires chez les patients de ce type.    HH - Est-ce que le niveau socioculturel influe sur la fréquence de ce trait de caractère ? KLL - Non, toutes les classes sociales sont concernées.    HH - Êtes-vous amenée à rencontrer ce type de personnalités "hostiles" dans d'autres domaines médicaux ; cancérologie, hématologie par exemple ? KLL - Le comportement hostile est plus spécifique des maladies cardiovasculaires. On n’a pas rencontré d’aspect équivalent en cancérologie par exemple. La dépression pourrait être un facteur de risque commun à plusieurs pathologies somatiques.    HH - Comment faire, en pratique, dans la prise en charge initiale de ce type de patient ? Y a-t-il des écueils à éviter d'emblée ? Que conseilleriez-vous au clinicien quelque peu désemparé au cours de ce type de consultation ? KLL - Il faut évidemment éviter d’installer une relation trop conflictuelle, même si ce patient est évidemment « agaçant ». Le soignant doit prendre conscience qu’il est « contrarié », et en quelque sorte l’admettre, afin d’adapter sa propre attitude et ne pas vouloir imposer sa propre vision : « J’ai raison contre vous », ce qui serait alors l’échec assuré. Ce n’est pas par un argumentaire fondé sur la preuve que l’on va gagner.    HH - On ne peut pas se borner à simplement "écouter"... KLL - Effectivement. On peut en revanche nuancer, lui dire que l’on est intrigué par ses réflexions, essayer de faire une alliance, lui renvoyer une image de patient peut-être « difficile », mais que l’on a envie de soigner. En quelque sorte, que son cas est « intéressant », qu’il représente pour vous une sorte de défi. Il faut souligner les éléments « valorisants ». Par exemple, que ce caractère « entier » signifie aussi que lorsque le patient se fixe un objectif, il fera le maximum pour l’atteindre. Dès que le patient aura fait un petit effort, il sera important de le lui faire remarquer, quitte à amplifier un peu ce progrès.    HH - Est-on obligatoirement dépressif lorsque l'on est hostile ? KLL - Non, ce n’est pas obligatoirement lié, mais il faut néanmoins rechercher la dépression. Si vous avez un doute, le recours au psychiatre est nécessaire.    HH - De quelle façon rechercher une dépression ? KLL - Sur de petits signes, comme des troubles du sommeil ou une irritabilité, qui est un bon signe de dépression chez le cardiaque. C’est souvent l’entourage qui confirme que le patient est devenu « invivable ». Attention aussi aux attaques de panique, qui peuvent se manifester par des palpitations et des précordialgies. Ces attaques de panique peuvent se compliquer de dépression et aussi de phobies : peur de reprendre son travail, de reconduire.    HH - Précisément, pensez-vous que l'entourage du patient doit être rencontré ? KLL - Il est nécessaire de demander au patient s’il souhaite la présence de son conjoint. En tant que psychiatre, il ne nous est en revanche pas possible de rencontrer le conjoint isolément ; en fait, les problèmes se règlent surtout au cas par cas.    HH - Lorsque le contact est manifestement difficile, est-ce qu'il y a intérêt, et alors quand, à diriger le patient vers un autre collègue cardiologue ? KLL - C’est toujours blessant pour un patient de se voir adressé à quelqu’un d’autre. Cela peut être vécu comme un rejet. Néanmoins, on peut évidemment en parler entre collègues. Alterner les consultations avec l’un ou l’autre peut aussi être utile, à condition que le patient sache bien qui est son « référent ».    HH - Lorsque la consultation ne se passe pas bien, on peut être amené à se poser la question de suites juridiques éventuelles. Le patient "hostile vous paraît-il fréquemment aussi procédurier ? KLL - Non, pas vraiment, pour moi le danger principal tient surtout au risque d’absence de soins du patient, donc sa mise en danger, et c’est là l’essentiel : c’est le risque, y compris vital, d’une sortie contre avis médical. Parfois, la situation est assez délicate, lorsque nous sommes appelés auprès d’un patient, refusant la coronarographie, ou le défibrillateur, ou la greffe…    HH - Pour revenir au patient en question, je me souviens qu'il acceptait éventuellement de se traiter mais après que son dernier enfant fut tiré d'affaire et bachelier. Que vous suggère cette attitude ? KLL - Ce patient confond la maladie et le traitement : si je n’ai pas le traitement, je n’ai pas la maladie… C’est évidemment une forme de déni. La maladie est vécue comme une injustice. L’écueil à éviter est d’insister sur les aspects les plus graves de la maladie. Mettre en avant les possibilités d’amélioration est sans doute plus rassurant et plus payant.    HH - Il n'est pas toujours facile de s'attaquer à tous les facteurs de risque : abstinence tabagique, exercice physique, restriction calorique, etc. En tant que psychiatre, avez-vous des conseils touchant à la hiérarchie des actions à proposer ? KLL - Il est effectivement nécessaire de hiérarchiser les objectifs, mais de façon individuelle à chaque patient. Plus il y a de facteurs à corriger, plus c’est angoissant. On ne peut pas tout faire en même temps. Il faut se donner du temps, mais aussi se mettre clairement d’accord sur l’objectif prioritaire. Le patient adhérera alors plus facilement.   HH - En deux mots, quel serait votre message de conclusion ? KLL - Le patient hostile (qui peut paraître désagréable) est un patient en difficulté. Il déteste que les choses lui échappent. Il faut gagner sa confiance et lui redonner des responsabilités. Le dialogue entre cardiologues et psychiatres peut apporter un complément à la prise en charge de ces patients.  Attention aux patients « trop faciles », d’accord pour tout, c’est souvent ceux que l’on revoit 6 mois plus tard, toujours fumeurs ou avec des conduites alimentaires inadaptées…   Remerciements au Dr Valérie Beauchais pour son aimable autorisation.

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