Publié le 15 jan 2021Lecture 6 min
Syndrome cardio-rénal - En pratique, quel traitement utiliser ?
Marine LIVROZET*, Antoine FAYOL*/**, *Centre d’investigation clinique, **Unité médico-chirurgicale d’insuffisance cardiaque sévère Hôpital européen Georges Pompidou, AP-HP, Paris
L’objectif de ce second article est d’explorer les données cliniques actuelles et de discuter des possibilités thérapeutiques pour ce syndrome.
Données épidémiologiques
Il existe à ce jour peu de données fiables permettant d’estimer précisément la prévalence du SCR en France, en Europe ou dans le monde. On estime que 25 à 30 % des patients présentant une insuffisance cardiaque décompensée présentent un SCR de type I(1-3). Parallèlement, aux États-Unis, l’insuffisance rénale chronique a été rapportée chez 30 % des patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque dans le registre national de l’insuffisance cardiaque décompensée aiguë (ADHERE), contre un peu plus de 10 % dans la population générale adulte américaine(2).
Nous n’avons pas de données épidémiologiques fiables sur les différents types de SCR. Cela tient probablement aux difficultés inhérentes à la classification. Les études thérapeutiques portent d’ailleurs principalement sur la prise en charge en aigu des SCR de type I. On retiendra notamment : l’étude DOSE(4) avec une évaluation des diurétiques à différents dosages, en bolus ou en IVSE, l’étude UNLOAD qui compare les diurétiques à l’ultrafiltration (en dehors des cas de figures de résistance aux diurétiques)(5), l’étude CARRESS-UF qui compare de nouveau les diurétiques à l’ultrafiltration(6).
Le tableau 1 présente les principales caractéristiques cliniques des patients inclus dans les essais cliniques portant sur le syndrome cardio-rénal.
Globalement, les patients atteints de syndromes cardiorénaux (I et II) sont majoritairement des hommes ayant des comorbidités (hypertension, diabète dans plus de la moitié des cas, et fibrillation atriale). Dans ces essais, la cardiopathie responsable du syndrome cardio- rénal est dans 50 à 60 % des cas une cardiopathie ischémique, généralement associée à une altération de la FEVG. Il n’y a pas d’étude qui évalue spécifiquement sur le long terme les différents types de SCR.
Traitements actuels
Traitement pharmacologique
Il n’existe à ce jour aucune recommandation internationale sur le traitement d’un patient atteint de SCR, quel que soit son type. Pour le volet cardiaque, la littérature est cependant en faveur d’une optimisation des thérapeutiques reconnues dans l’insuffisance cardiaque pour diminuer la mortalité :
– les traitements cardio- et néphroprotecteurs (IEC et ARA 2) chez les patients insuffisants cardiaques et rénaux sont aussi efficaces que chez les patients ayant une fonction rénale normale(7-9) ;
– il en est de même pour les bêtabloquants, bien que la posologie doive parfois être adaptée à la fonction rénale(9,10). La place des antagonistes du récepteur aux minéralo-corticoïdes reste plus controversée mais sera probablement rediscutée à l’avenir, notamment avec les résultats d’études de phase III en cours concernant la finérénone.
Pour le volet rénal, la prise en charge habituelle de l’insuffisance rénale chronique s’applique aux patients atteints de SCR. Les IEC et les ARA 2 ont une place centrale, notamment via la vasodilatation de l’artériole efférente qui est bénéfique à terme sur la préservation du DFG et ce, quelle que soit la glomérulopathie. Chez les patients diabétiques, l’atteinte rénale initiale correspond à une hyperfiltration secondaire à une vasoconstriction de l’artériole efférente (activation du SRAA) et une vasodilatation de l’artériole afférente (liée au feed back tubulo-glomérulaire activé par l’augmentation couplée de la réabsorption de glucose et de Na au niveau proximal). L’intérêt des ARA2-IEC n’est plus à démontrer pour limiter l’hyperfiltration du patient diabétique qui est néfaste à terme. L’utilisation des gliflozines chez les patients diabétiques est maintenant elle aussi validée avec un effet bénéfique rénal présumé via le feed back glomérulaire (vasodilatation de l’artériole afférente). Les inhibiteurs de SGLT2 augmentent la quantité de Na délivré au niveau de la macula densa et diminueraient ainsi l’hyperfiltration secondaire à la vasodilatation de l’artériole afférente (figure). Nous discuterons dans l’article 3 de la place des gliflozines en dehors de la néphropathie diabétique.
Figure. Mécanisme d'action des iSGLT2 sur l'hyperfiltration glomérulaire au stade précoce de la néphropathie diabétique.
La prise en charge néphrologique est résumée de façon simplifiée dans le tableau 2.
L’introduction des IEC et des ARA2 doit être la plus précoce possible dans l’histoire de l’insuffisance rénale, qui ne doit pas être un frein à leur utilisation ; la kaliémie et la créatininémie doivent être contrôlées 2 à 4 semaines après l’introduction des ARA2 ou des IEC. Une augmentation de la créatinine de 30 % est tolérée. L’hyperkaliémie induite peut le plus souvent être contrôlée par un régime pauvre en potassium, l’association à des diurétiques hypokaliémiants et une alcalinisation (au moins par optimisation du régime en favorisant la consommation de légumes si le bicarbonate de sodium ne peut être envisagé). Une réduction de la posologie des ARA2 ou des IEC ne peut s’envisager qu’après, si la kaliémie n’est toujours pas contrôlée. Si l’introduction des IEC et ARA2 peut être difficile chez un patient stade 4 ou 5, l’évolution naturelle de la néphropathie vers le stade 5 ne doit pas entraîner un arrêt des traitements.
Les antagonistes des récepteurs aux minéralo-corticoïdes classiques ne devraient pas être utilisés chez les patients stade 4 et 5 (que ce soit à visée tensionnelle ou cardiaque) à cause du risque d’hyperkaliémie et de dégradation de la fonction rénale. La place de la finérénone reste cependant à déterminer.
Les complications de l’IRC, notamment les troubles phospho- calciques, doivent être prises en charge.
Chez le patient insuffisant rénal comme cardiaque, le régime tient une place primordiale et doit être associé à une lutte contre la sédentarité et un arrêt du tabagisme. Les facteurs de risque cardiovasculaire doivent être optimisés.
Dialyse péritonéale
Dans les formes chroniques, la dialyse péritonéale (DP) pourrait être une alternative thérapeutique intéressante, mais jusqu’ici il n’y a eu aucun essai thérapeutique contrôlé. L’initiation d’une dialyse, en particulier péritonéale, pourrait être considérée pour traiter la surcharge hydrique lorsque les décompensations sont fréquentes et semblent de plus en plus résistantes aux diurétiques. On s’attend a priori avec la DP à : une ultrafiltration plus douce qu’en hémodialyse avec moins d’àcoups hémodynamiques, une diminution de la surcharge, une diminution de l’ascite, une diminution du nombre d’hospitalisations pour décompensation cardiaque. La DP pourrait donc améliorer sensiblement la qualité de vie des patients rechutant fréquemment. Quand la fonction rénale est conservée, l’ultrafiltration sur la nuit est suffisante et limite encore les contraintes de la technique. L’utilisation restreinte de cette technique est probablement liée à l’absence d’étude prospective randomisée dont l’on comprend la difficulté. Les patients mis en DP sont des patients en impasse thérapeutique très sélectionnés (insuffisance cardiaque réfractaire) récusés aussi bien pour la transplantation cardiaque que rénale. L’impasse thérapeutique dans laquelle se trouve ces patients rend difficile l’existence d’un bras témoin « sans traitement ». L’étude rétrospective de Courivaud(14) met en évidence une diminution du nombre de jours d’hospitalisation avant et après la mise en DP.
L’étude prospective de Koch(15) met en évidence une amélioration de la dyspnée pour les patients en DP et confirme les spécificités de la population sélectionnée avec une mortalité à 1 an de 55 %. La DP a certainement une place à trouver dans la prise en charge des patients multi-hospitalisés pour décompensation cardiaque malgré une optimisation des traitements.
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