Publié le 14 oct 2013Lecture 4 min
Prise en charge de l’insuffisance cardiaque : changeons de paradigme
M. DEKER
ESC
Le devenir des insuffisants cardiaques a profondément changé depuis les années 1980, grâce à une meilleure prise en charge et, surtout, à l’introduction de thérapeutiques efficaces. Les recommandations européennes pour la prise en charge de l’IC, publiées en 2012, ont clairement établi la stratégie thérapeutique et fixé des objectifs d’optimisation de dose. Or, en vie réelle, ces objectifs ne peuvent toujours être obtenus. Peut-être est-il temps de changer de paradigme pour un objectif visant l’atteinte d’un effet cible ?
Nous disposons d’une très vaste enquête observationnelle prospective mise en place par la Société européenne de cardiologie, ayant colligé les données de 12 440 patients souffrant d’insuffisance cardiaque inclus dans 211 centres de 12 pays européens, avec pour objectif d’évaluer l’application des recommandations de traitement pharmacologique ou non en pratique(1). Au-delà du fait que ce registre fournit des renseignements sur le profil clinique des patients selon qu’ils sont hospitalisés ou pris en charge en ambulatoire, il renseigne sur le traitement reçu, le pourcentage de patients recevant la dose maximale cible recommandée de chaque thérapeutique et les raisons pour lesquelles elle n’est éventuellement pas atteinte. Ainsi, près de 90 % reçoivent un IEC ou un ARA II (25 à 30 % environ sont à la dose cible) ; un pourcentage équivalent reçoit un bêtabloquant (moins de 20 % sont à la dose cible) ; les deux tiers reçoivent un antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes (ARMC ; 70 % à la dose cible) ; 10 % reçoivent de l’ivabradine, ce faible pourcentage étant dû à l’introduction récente de cette thérapeutique. Globalement, on peut donc considérer que les recommandations de l’ESC sont suivies, mais pas à la lettre puisque 30 % seulement des insuffisants cardiaques reçoivent la dose considérée comme optimale.
Une autre enquête prospective italienne a rassemblé plus de 5 500 patients, un tiers hospitalisés pour IC aiguë et deux tiers de patients IC chroniques ambulatoires(2). Le taux de mortalité (principalement d’origine cardiaque) est relativement bas dans l’ICC (5,9 %) comparativement à l’ICA (19,2 %) à 1 an. Cependant les taux d’hospitalisation sont respectivement de 30,7 et 22,7 %. Après une première hospitalisation, un pourcentage important de malades vont dans la première année être réhospitalisés, éventuellement pour des motifs autres qu’une pathologie cardiaque dans la moitié ces cas, d’où l’importance de prendre en considération l’ensemble des comorbidités.
Évitons les hospitalisations
Une fois diagnostiqué insuffisant cardiaque, le patient peut, grâce à l’optimisation de ses traitements, éviter les hospitalisations itératives motivées par des rechutes qui sont synonymes pour lui d’une altération de la qualité de vie et d’un déclin rapide préludant une mort prochaine. On sait en effet que les réhospitalisations pour insuffisance cardiaque en poussée sont un puissant marqueur de risque de décès dans l’année à venir. Il importe donc de s’intéresser aux réhospitalisations qui accélèrent la survenue d’une défaillance multi-organique et de prévenir les épisodes de décompensation afin de stabiliser le statut fonctionnel de l’insuffisant cardiaque et d’éviter la survenue d’autres pathologies cardiovasculaires. On sait que la majorité des réadmissions (70 %) sont dues à une cause cardiaque, en particulier à une défaillance cardiaque. Qui plus est, les hospitalisations alourdissent considérablement les coûts de santé. Comparativement, le coût des médicaments est infiniment moins élevé, d’où l’intérêt d’optimiser la prise en charge : revoir très rapidement les patients après leur sortie de l’hôpital (dans les 2 semaines selon les recommandations américaines) et optimiser le traitement (blocage neurohormonal et contrôle de la fréquence cardiaque) en ajustant les doses de médicaments et/ou en introduisant d’autres thérapeutiques. Ainsi, la sortie d’hospitalisation marque plutôt le début d’un parcours de soins, que sa fin.
Optimiser le traitement sur quelle cible ?
Selon les recommandations, les thérapeutiques devraient être introduites à faible dose et progressivement augmentées. Dans la vraie vie, l’obtention de la dose cible est rarement atteinte. Ainsi dans l’étude CIBIS-ELD(3), seulement 20 % des patients ont pu atteindre 100 % de la dose recommandée en 3 mois et 30 % d’entre eux, 50 % de la dose. Sans doute est-il temps de changer de paradigme et de considérer que l’objectif n’est pas la dose mais l’effet souhaité. Concernant les bêtabloquants, c’est la diminution de la fréquence cardiaque de repos (FCR) qui importe. Dans une métaanalyse ayant regroupé les données de près de 20 000 patients insuffisants cardiaques traités par bêtabloquant, la réduction de la FCR est significativement corrélée au bénéfice en termes de mortalité contrairement à la dose de bêtabloquant(4).
La réduction rapide de la fréquence cardiaque via l’ivabradine entraîne également une amélioration du pronostic et les résultats montrent que le pronostic est directement corrélé au niveau de FC atteint après 28 jours de traitement. Les patients avec une FC < 60 bpm sont ceux ayant le meilleur pronostic.
Aujourd’hui, compte tenu de tous ces résultats, les experts s’accordent sur l’objectif d’optimiser le traitement neurohormonal et d’atteindre une FC cible en dessous de 60 bpm dans les 3 à 6 mois suivant le diagnostic.
De nombreuses analyses de l’étude SHIFT ont amplement démontré l’efficacité et les bénéfices de l’ivabradine chez l’insuffisant cardiaque : amélioration de la qualité de vie(5), réduction du risque d’hospitalisations itératives(6) et de mortalité. Un modèle de risque tiré de l’étude SHIFT a permis d’identifier les 10 facteurs pronostiques les plus importants de mortalité cardiovasculaire et d’hospitalisation pour aggravation de l’insuffisance cardiaque ; il montre, entre autres, une réduction significative du risque de 17 % (p < 0,001) chez les patients traités par ivabradine et une augmentation du risque de 31 % pour chaque augmentation de 10 bpm de la fréquence cardiaque au-delà de 70 bpm (p < 0,001)(7).
L’ensemble des analyses de l’étude SHIFT confirme l’efficacité et la bonne tolérance de l’ivabradine chez l’insuffisant cardiaque, quel que soit l’âge, la fonction rénale, la sévérité de l’insuffisance cardiaque et la pression artérielle. Cette bonne tolérance est un garant de l’adhésion au traitement et par conséquent de l’obtention des bénéfices en morbimortalité.
Symposium « A paradigm SHIFT in heart failure management », avec la participation de J. Borer, L. Tavazzi, A.P. Maggioni, M.R. Cowie, P. Ponikowski et M. Böhm, ESC 2013.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :