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Congrès et symposiums

Publié le 28 fév 2015Lecture 7 min

L’insuffisance cardiaque de l’octogénaire : quelles particularités ?

P. DE GROOTE, Service de cardiologie, Pôle cardiovasculaire et pulmonaire, CHRU de Lille

L’insuffisance cardiaque du sujet âgé se caractérise par la présence de nombreuses comorbidités qui implique une polymédication et par la fréquence des atteintes cognitives associées souvent à une diminution des capacités physiques. Toutes ces particularités font de l’insuffisant cardiaque âgé un patient très fragile(1).

L’incidence de l’insuffisance cardiaque aiguë en France est maintenant mieux connue. P. Tuppin et coll. ont analysé, à partir des données de la Sécurité sociale, l’ensemble des 69 958 patients hospitalisés pour un premier épisode de décompensation cardiaque en France en 2009(2). L’incidence augmente de manière exponentielle dès l’âge de 60 ans Pour les patients de 80 à 85 ans, l’incidence est estimée à 1,2 % et elle se majore à 2,1 % entre 85 et 90 ans.   Le diagnostic de l’insuffisance cardiaque du sujet âgé est très difficile. La dyspnée, maître symptôme de l’insuffisance cardiaque, peut être d’origine multifactorielle. Dans certains cas, l’unique symptôme peut ne pas être cardiologique ; confusion, asthénie, dénutrition sont parfois la seule manifestation de l’insuffisance cardiaque. Les patients âgés se déplaçant peu, les formes asymptomatiques sont fréquentes. La symptomatologie clinique est modifiée en raison de la présence des nombreuses comorbidités. Dans l’étude bien connue de Gambassi portant sur 86 094 patients avec un âge moyen de 84,9 ± 8 ans, 41 % ont entre 3 et 4 comorbidités et 32 % en ont plus de 5(3). Les bilans biologiques ou les examens complémentaires sont d’interprétation délicate. En effet, il faut arriver à établir un lien entre les symptômes du patient et les résultats. Par exemple, avec l’âge le taux des peptides natriurétiques de type B (BNP) peut se majorer sans pour autant signer la présence d’une insuffisance cardiaque. Il en est de même pour la fonction diastolique du ventricule gauche (VG) analysée en échographie cardiaque, qui se modifie avec l’âge sans être automatiquement responsable des symptômes du patient.   La comparaison des caractéristiques cliniques selon l’âge est difficile à analyser. Si la fréquence des anomalies neurologiques, dont les troubles cognitifs, augmente avec l’âge, d’autres comorbidités ont une prévalence plus faible chez la personne particulièrement âgée. La majorité des études a retrouvé le même résultat(2,4,5). Ainsi, le diabète, les pathologies pulmonaires, l’insuffisance rénale chronique, voire certains cancers, ont une prévalence plus faible chez le patient de plus de 85 ans par rapport aux patients moins âgés. Par exemple, en France, la prévalence du diabète est de 27 % chez les patients entre 70 et 79 ans et elle baisse à 18 % entre 80 et 89 ans et à 9 % au-delà. Il s’agit bien entendu d’un processus « naturel » de sélection des patients les moins sévères. La prévalence de la cardiopathie ischémique est relativement stable, celle de l’hypertension artérielle a tendance à se majorer légèrement au profit des cardiopathies idiopathiques. La prévalence de la fibrillation atriale augmente avec l’âge.   La prévalence des formes asymptomatiques est peu connue. Dans une étude anglaise, la Newcastle 85+ Study, toutes les personnes de plus de 85 ans indemnes d’insuffisance cardiaque, habitant autour de Newcastle ont été invitées à bénéficier dans leur lieu de vie de la réalisation d’une échographie cardiaque(6). L’étude a concerné 419 personnes âgées de 87,9 ± 0,4 an. Une fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) ≤ 50 % était présente chez 31,9 % de la population dont 9 % avec une FEVG ≤ 40 %. L’interprétation de la fonction diastolique est plus délicate car 88,3 % de la population présente une dysfonction diastolique, modérée à sévère, selon les critères modernes d’analyse de cette fonction. Si on ne se focalise que sur les patients avec une FEVG normale, 17,3 % et 2,3 % ont des anomalies de la fonction diastolique jugées respectivement comme modérées ou sévères. Ainsi, environ un tiers de la population de plus de 85 ans sans insuffisance cardiaque clinique est porteur d’anomalies échographiques significatives et est susceptible de présenter des symptômes d’insuffisance cardiaque. Une équipe hollandaise a suivi 2 060 patients dyspnéiques, âgés de 74 ± 6,3 ans(7). Cette population se répartit en 17 % avec une insuffisance cardiaque connue, 9 % avec une cause non cardiologique à la dyspnée, 208 patients avec un ECG et un taux de Nt-proBNP normaux. Les auteurs ont réalisé une échographie cardiaque aux 366 patients dyspnéiques avec ECG et/ou taux de Nt-proBNP anormal. Une échographie cardiaque anormale était présente chez 92 patients soit 15,7 % de population. Ces anomalies se répartissent entre 3 % avec une FEVG abaissée et 12 % avec des anomalies significatives de la fonction diastolique.   L’aspect du ventricule gauche peut nous permettre de sélectionner les patients à risque, susceptibles d’être hospitalisés pour des décompensations cardiaques. Dans l’étude Cardiovascular Heart Study, 3 181 personnes sans insuffisance cardiaque, âgées de 73 ± 5 ans à l’inclusion, ont bénéficié d’une échographie cardiaque(8). Pendant un suivi de 13 ans, 617 patients ont été hospitalisés pour un épisode de décompensation cardiaque. Dans cette population, 64 % ont une échographie cardiaque normale à l’inclusion, mais 15 % sont admis pour des décompensations cardiaques, principalement liées à des syndromes coronaires aigus ; 13 % ont un remodelage concentrique du ventricule gauche (défini comme un rapport épaisseurs du septum + de la paroi postérieure/diamètre télédiastolique du VG > 0,42) et 20 % font de l’insuffisance cardiaque dans le suivi. Enfin chez les 8 % avec une dilatation isolée du VG, 30 % font de l’insuffisance cardiaque. Les pourcentages des autres groupes de patients sont marginaux, mais en regroupant la population en fonction des anomalies échographiques, la présence d’une dilatation et surtout d’une hypertrophie ventriculaire gauche est associée à un risque plus élevé de survenue d’épisodes de décompensation cardiaque.   Le taux des peptides natriurétiques ne nous aide pas pour le diagnostic d’insuffisance cardiaque dans cette population. Dans l’étude Newcastle 85+, le taux de BNP ne nous permet pas de diminuer le nombre d’échographie cardiaque nécessaire pour faire le diagnostic des formes asymptomatiques(9). Dans le futur, il est possible que la combinaison de marqueurs biologiques et/ou leur évolution dans le temps puissent nous aider à sélectionner les patients à risque. Ceci a été évalué dans l’étude Cardiovascular Heart Study chez 2008 sujets sans insuffisance cardiaque à l’inclusion(10). Ils ont bénéficié à 2 ans d’intervalle des dosages de la troponine T ultrasensible et du NtproBNP. Une augmentation des taux était considérée comme significative si on constatait une augmentation de plus de 50 % de la troponine T et de plus de 25 % du Nt-proBNP. Pendant un suivi de 5 ans avec des échographies répétées, le pourcentage de patients avec l’apparition d’une FEVG < 45 % est plus important en cas d’élévation de la troponine T, du Nt-proBNP ou des deux marqueurs. Le risque de décès cardiovasculaire ou d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque est plus élevé en cas d’élévation des biomarqueurs. L’augmentation des deux biomarqueurs augmente le risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque de 3,56 (2,56-4,97) et de décès de 2,96 (2,09-4,26).   Le pronostic des insuffisants cardiaques âgés est très mauvais. En 2009, en France, la mortalité à un mois d’une décompensation cardiaque chez l’octogénaire était de 12,8 % avec une mortalité hospitalière à 7,6 %. À un an, la mortalité était de 34 % et elle atteignait 48 % à 2 ans(11). La moitié de la population était réhospitalisée dans l’année et seuls 15 % étaient vivants à 2 ans sans hospitalisation. Les résultats sont similaires en Europe. Dans le registre européen Euro Heart Failure Survey II, portant sur 3 577 patients hospitalisés pour une décompensation cardiaque entre 2004 et 2005, la mortalité annuelle des 741 octogénaires est de 28,4 %(4). Dans la plupart des études, les paramètres liés au pronostic des patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque aiguë se décomposent en deux catégories : les paramètres cardiologiques à l’admission (infarctus, choc cardiogénique, œdème aiguë du poumon) et les paramètres gériatriques (immobilisation, dénutrition, incapacité à se prendre en charge)(4,12). Il est donc indispensable d’évaluer avec des échelles simples l’état gériatrique du patient hospitalisé ou en consultation. Cette évaluation est faisable par des non-gériatres. Ainsi, l’étude EFICARE a évalué pendant une consultation cardiologique, la présence des troubles mnésiques chez 912 insuffisants cardiaques stables de plus de 70 ans(13). L’utilisation d’un test simple (répétition immédiate et à 10 minutes de 4 mots) permet de dépister les patients à risque avec des troubles mnésiques. La prévalence des troubles mnésiques modérés est de 45,6 % dont 23,4 % avec des troubles sévères. Un score global gériatrique simple est un des paramètres les plus puissants de pronostic(14). Il faut utiliser les échelles bien connues comme le MMS, l’échelle de dépendance de Katz. Cependant, ces constatations chez l’insuffisant cardiaque sont également retrouvées dans toutes les autres pathologies(15). L’évaluation gériatrique permet de sélectionner les patients fragiles, à très haut risque d’événements, indépendamment de la pathologie aiguë responsable de l’hospitalisation ou de la pathologie chronique sous-jacente. Cette évaluation nous permet de sélectionner les patients qui nécessitent une prise en charge « agressive » ou au contraire uniquement symptomatique.   En pratique    Le patient âgé est un patient particulièrement fragile. Sa prise en charge nécessite une évaluation gériatrique précise mais simple. Le pronostic du patient est essentiellement dominé par son état général. La prise en charge du patient dépend totalement de cette évaluation globale.

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